Les amoureux de l’Europe. Les importateurs de machinerie allemande. Les exportateurs vers les États-Unis. Voilà, en principe, les grands gagnants canadiens du bouleversement économique actuel.

Car pour un bouleversement, c’en est tout un. Non seulement l’inflation n’a jamais été aussi élevée depuis les années 1970, mais les écarts varient grandement entre les pays dits avancés.

Ce qui fait surgir de grandes questions : quelles seront les conséquences de ces chemins distincts entre l’Europe et l’Amérique, voire l’Asie ? La flambée des prix en Europe finira-t-elle par couler aussi notre économie, ou est-ce plutôt l’inverse ?

D’abord, le constat. Pendant que le taux d’inflation est de 7 % au Canada, il est de 10 % en Allemagne et de 14,5 % aux Pays-Bas. La France fait cette fois mieux que les autres, à 5,6 %.

Est-ce là pour durer ? Selon le consensus des économistes, les pays à fort taux d’inflation ne verront pas le rythme des prix baisser aussi rapidement que les autres en 2023, en général. Au Canada, l’inflation devrait progresser de « seulement » 3,6 % en 2023, mais ce sera le double au Royaume-Uni (7 %), rapporte la Banque Nationale.

La forte hausse des prix, c’est connu, est attribuable à la politique expansionniste des banques centrales durant la pandémie. Elles ont inondé l’économie de capitaux bon marché — elles ont imprimé de l’argent, en quelque sorte. Si bien qu’aujourd’hui, les consommateurs et entreprises ont beaucoup d’argent, ce qui stimule la demande de biens et services davantage que ce que l’économie peut produire. Ce déséquilibre fait grimper les prix.

La flambée est plus forte en Europe en raison de la guerre en Ukraine, qui a raréfié le pétrole et le gaz naturel venant de Russie. À ces phénomènes s’ajoutent les pénuries de main-d’œuvre, variables selon les pays.

Face à cette situation, les banques centrales du Canada et des États-Unis ont fini par hausser significativement leurs taux d’intérêt directeurs pour ralentir l’économie. Le taux est maintenant de 3,25 % dans les deux pays et d’autres hausses sont attendues, surtout aux États-Unis.

Pendant ce temps, la Banque centrale européenne (BCE) est restée frileuse, maintenant son taux à 0,75 %, probablement en raison de la situation économique plus difficile en Europe.

Le huard vole plus haut

Ces différences de politiques monétaires, jumelées à une inflation bien différente dans les deux continents, se sont rapidement répercutées sur les taux de change. Les capitaux ont migré vers les taux d’intérêt les plus intéressants, faisant grimper les monnaies qui y sont associées, notamment le dollar canadien.

Par exemple, l’euro, la livre sterling et la couronne suédoise ont perdu 15 % par rapport au dollar canadien depuis le début de 2021. Pendant la même période, le dollar australien a cédé 10 % face au huard. Quant au yen japonais, il est en chute libre (— 24 %).

À l’inverse, le dollar américain et le peso mexicain sont restés fermes face au huard canadien, grimpant même d’environ 5 % depuis le milieu de l’été, après une période de relative stabilité durant l’année qui a précédé. La récente hausse du dollar américain s’explique notamment par les intentions de la Réserve fédérale de poursuivre ses hausses de taux.

Nicolas Vincent, professeur de macroéconomie à HEC Montréal, croit que les écarts des taux d’inflation entre l’Europe et l’Amérique du Nord dureront un certain temps. Il serait surpris que la situation dure cinq ans. « Si les différences de taux d’inflation persistent, on peut s’attendre à ce que l’euro continue de reculer », explique-t-il.

Ce n’est pas la première fois qu’il y a un tel écart entre les pays développés, fait remarquer Steven Ambler, professeur de macroéconomie de l’Université du Québec à Montréal. Dans les années 1970, l’inflation était maîtrisée en Allemagne, avec des taux de 3-4 %, mais hors de contrôle au Canada (jusqu’à 20 %).

Selon lui, un taux d’inflation élevé finira par nuire aux économies trop laxistes. « La BCE a laissé aller les choses trop longtemps. Ça pourrait être dangereux », dit M. Ambler.

Impact sur notre économie

Et quel est l’effet de ce choc sur notre économie, en fin de compte ? En principe, les importateurs canadiens devraient tirer profit d’un huard fort face aux devises d’outre-mer. Il devrait donc coûter moins cher d’acheter de la machinerie venue d’Allemagne, par exemple.

Mais il y a un hic : comme les prix grimpent en Allemagne et en Europe, la montée du huard s’en trouve annulée, en quelque sorte. L’avantage est donc relatif : les biens importés d’Europe ne coûteront pas plus cher pour les Canadiens, pendant que les mêmes biens seront plus onéreux pour les Européens.

En revanche, les touristes canadiens pourraient tout de même trouver de bonnes occasions sur l’Europe, en supposant qu’ils puissent dénicher des vols. Pourquoi ? Parce que les hausses de prix ne sont pas transmises aussi rapidement dans les salaires et donc dans l’industrie des services, comme le tourisme, explique Nicolas Vincent.

À l’inverse, la baisse du huard face à la monnaie américaine favorisera nos exportateurs de biens vers les États-Unis, comme nos entreprises de tourisme qui sont principalement centrées sur les Américains.

Hendrix Vachon, économiste au Mouvement Desjardins, vient toutefois tempérer ces constats. La pénurie de main-d’œuvre au Québec et au Canada rendra difficile l’augmentation de l’offre de produits vers les États-Unis.

De plus, la demande américaine pourrait se dégonfler s’il y a une récession, comme l’anticipent les marchés boursiers, qui sont en forte baisse. Même contrainte d’offres et de demandes venant de l’Europe.

Pas si simple, ce chambardement…