Vous connaissez la marotte de François Legault, son objectif ultime, soit que le Québec rattrape le niveau de vie de l’Ontario.

Or, pour y parvenir, il faudrait transformer notre économie et prendre des décisions difficiles, selon un rapport de la firme de consultants McKinsey, commandé par le ministère de l’Économie et de l’Innovation.

Le volet principal de l’étude, que j’ai obtenue, fait des constats parfois douloureux sur notre modèle économique. Et en résumé, McKinsey juge qu’il faudrait lancer plusieurs chantiers pour rattraper l’Ontario : boom des exportations, dopage des investissements, hausse des heures de travail des employés, réforme de l’aide à la recherche, augmentation du nombre de diplômés universitaires, ciblage des secteurs d’avenir et redressement des industries en retard, comme la construction et l’agroalimentaire.

Pour orchestrer le rattrapage, McKinsey suggère de créer un « bureau de transformation » économique, formé de membres du bureau du premier ministre, du ministère de l’Économie et d’autres ministères concernés. Un suivi serré de la progression devrait être fait chaque trimestre par le comité au moyen d’une quarantaine d’indicateurs clés comparant le Québec à l’Ontario, notamment.

Le rapport de 281 pages que j’ai obtenu a été remis en décembre 2021 au ministère de l’Économie. Il est fouillé, avec des exemples de gestes concrets faits dans d’autres pays, mais pas nécessairement renversants sur certains des constats de notre économie.

Pour son travail de six mois, dois-je préciser, McKinsey a reçu 4,9 millions de dollars du gouvernement. C’est l’équivalent de 20 consultants travaillant six mois à temps plein à raison de 250 $ l’heure, selon un petit calcul rapide. Hum…

Lisez l’article « Québec débourse 5 millions pour un “regard externe” »

Depuis cinq ans, le Québec a diminué son retard de niveau de vie par rapport à l’Ontario, le faisant passer de 16,4 % à 12,9 %. Pour réduire complètement l’écart, estime le rapport, le PIB du Québec doit passer de 44 000 $ par habitant en 2019 à plus de 64 000 $ en 2036.

Ce bond de 20 000 $ en une quinzaine d’années passe par une augmentation du nombre de travailleurs prévus de 630 000, notamment immigrants, ainsi que par un allongement des heures de travail des Québécois de l’équivalent de 1,5 semaine par année, entre autres.

Surtout, McKinsey calcule, comme bien d’autres études, que l’essentiel du rattrapage (78 % des 20 000 $) doit se faire par une croissance nettement plus forte de notre productivité. Le taux de croissance devrait passer d’environ 1 % par année à 1,7 %, ce qui est majeur. Ce boom serait possible avec une intensification de la recherche, mais aussi un boom des exportations et des investissements et une meilleure formation des travailleurs.

Douloureux constats

Chacun des éléments est analysé en détail, avec des stratégies visant une amélioration. Il est question, par exemple, du taux d’emploi des immigrants, des immigrants qui s’installent en région, de la part des femmes en génie, de la part des emplois à plus de 100 000 $, du taux d’absentéisme pour maladie, du capital de risque par habitant, de la recherche en proportion du PIB et du carcan réglementaire du gouvernement et des municipalités.

Les constats sont parfois durs. Dans le secteur agroalimentaire, le retard de productivité du Québec par rapport à l’Ontario est de 22 % pour la fabrication d’aliments. Toute proportion gardée, les exportations de ces aliments sont inférieures de 40 % au Québec et les investissements, inférieurs de 34 %. Le rapport donne des exemples d’initiatives porteuses en Israël (recherche), en France (marketing), aux Pays-Bas (port) et à Singapour (capital-risque).

Dans la construction, la productivité décline au Québec depuis 2012 (- 1 % par année), comme aux États-Unis (- 1,3 %), tandis qu’elle progresse en Colombie-Britannique (+ 2 % par année), en France (+ 0,7 %) ou en Allemagne (+ 0,5 %), par exemple.

Le rapport estime que le Québec réduirait notablement son retard face à l’Ontario en rehaussant sa productivité dans la construction au niveau de la Colombie-Britannique. Parmi les initiatives proposées, il est question de mieux former les travailleurs, de décloisonner les métiers réglementés, de financer l’automatisation et de rationaliser les processus d’approbation et de permis.

Autre constat douloureux : le Québec est maintenant en queue de peloton au Canada pour la création d’entreprises, et ce retard est manifeste dans les services professionnels, scientifiques et techniques. Consolation : le Québec est en avance sur l’Ontario pour les investissements dans les technologies vertes, toute proportion gardée.

Pour redresser la barre, il est proposé de faire la promotion de l’entrepreneuriat dans le système d’éducation, notamment dans les universités. À Boston, par exemple, des programmes existent pour faciliter la collaboration entre des étudiants des programmes techniques et des autres programmes (administration, etc.).

Recherche : le modèle allemand

En ce qui concerne la recherche et développement (R et D), le rapport constate que notre système de crédit d’impôt est complexe, et sert surtout les grandes entreprises. Ainsi, 3 % des entreprises québécoises absorbent à elles seules 90 % des crédits fiscaux.

Dans le système canadien, 83 % du financement de la R et D vient des crédits d’impôt plutôt que d’une aide directe, contre 38 % aux États-Unis et 9 % en Suède. Au Québec, cette proportion est de 74 %. « L’aide directe permet de cibler les champions dans des secteurs clés ainsi que les projets avec le plus fort potentiel d’apport économique », fait valoir McKinsey.

Le rapport vante le modèle allemand des Fraunhofer, qui fonctionne par contrats de recherche venant des entreprises. Le système allemand est bien mieux coordonné que celui du Québec, où la taille des organismes d’appui à la R et D est beaucoup trop petite.

Autre talon d’Achille du Québec, selon le rapport : sa rigidité pour le monde des affaires. L’indice de liberté économique, de liberté du marché du travail et de facilité à faire des affaires est parmi les plus bas parmi ses principaux concurrents. Le régime fiscal coûteux pour les entreprises et ce qui touche à notre filet social (congé de maladie, de maternité, etc.) est écorché.

Selon l’analyse de McKinsey, les pays où il est facile de faire des affaires ont une plus forte création d’entreprises. C’est le cas de pays plus sociaux auxquels on aime se comparer, comme le Danemark et la Suède, mais aussi du Royaume-Uni. La productivité s’en trouve aussi améliorée.

Le rapport traite de cinq des secteurs à privilégier, soit l’énergie, l’hydrogène, l’intelligence artificielle, les sciences de la vie et l’agriculture.

Depuis la remise du rapport, en décembre 2021, le gouvernement caquiste a modéré ses attentes face à l’hydrogène vert. Et une entreprise pharmaceutique a choisi de s’implanter à Montréal pour la fabrication de ses vaccins, soit Moderna, ce qui va dans le sens des objectifs évoqués pour les sciences de la vie.

Dans la foulée du rapport, le gouvernement caquiste n’a pas créé un « bureau de transformation » comme le suggère McKinsey, selon mes renseignements.

Néanmoins, le gouvernement aurait ajusté ses indicateurs phares qui feraient désormais l’objet d’un suivi lors de rencontres, tous les deux mois, de hauts fonctionnaires du bureau du premier ministre, du ministère de l’Économie et du ministère des Finances, m’apprend-on.

Ce que j’en pense ? Que le Québec a fort à faire pour doper sa productivité, tel que proposé, et ainsi rattraper l’Ontario. Sur 15 ans, ce sera pratiquement mission impossible, surtout dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre, de vieillissement de la population et de politique d’immigration bancale. Mais bon, toute avancée qui permettrait de réduire l’écart est bienvenue…