On s’y attendait, mais pas à ce point. Les deux principaux partis ont déversé une véritable pluie de bonbons fiscaux, lundi, du jamais-vu dans une campagne électorale au Québec depuis près de 25 ans.

Les deux camps ont choisi de cibler la classe moyenne, ce qui n’est guère surprenant. L’allégement fiscal se fera essentiellement en augmentant la dette du Québec, de quelque 7,2 milliards pour la Coalition avenir Québec (CAQ) et d’environ 16 milliards pour le Parti libéral (PLQ), peut-être plus.

Il faut dire que le boom économique qui a suivi le grand confinement au Québec a permis de dégager d’importants surplus comptables dans le budget de la province. Une baisse d’impôt est aussi tentante dans le contexte où le Québec a le troisième fardeau d’impôt sur le revenu des particuliers en importance du monde industrialisé, après le Danemark et l’Islande. Et que l’inflation frappe durement le portefeuille des ménages.

Voyons d’abord la CAQ.

Comme vous le savez, les impôts sont progressifs, c’est-à-dire qu’ils frappent davantage les tranches de revenus les plus élevées. Au Québec, il y a quatre taux distincts qui augmentent avec les revenus, en plus d’un taux de 0 % imposé aux revenus de 16 214 $ et moins, appelé montant personnel de base.

La CAQ veut réduire les deux premiers taux d’un point de pourcentage en 2023. Ils passeraient de 15 % à 14 % (portion des revenus entre 16 214 $ et 46 295 $) et de 20 % à 19 % (portion des revenus entre 46 295 $ et 92 580 $).

Au bout du compte, les personnes seules verraient leur facture fiscale dégonfler jusqu’à environ 760 $ par année, et les familles de deux enfants, jusqu’à 1530 $, selon l’excellent simulateur de la Chaire en fiscalité et en finances publiques (CFFP) de l’Université de Sherbrooke. Les chiffres diffèrent légèrement des données communiquées par la CAQ(1).

La facture totale sera de 1,8 milliard de dollars, selon le simulateur, c’est-à-dire que l’État se privera de cette somme chaque année après 2023.

D’où viendra l’argent ? La CAQ a choisi de réduire les versements annuels au Fonds des générations, qui servent à réduire la dette du Québec. Dit autrement, c’est en rognant sur les paiements de la dette que la CAQ soulagera le fardeau des Québécois.

Comme l’allégement débuterait en 2023, promet la CAQ, la dette sera réduite moins que prévu d’environ 7,2 milliards durant la portion restante du mandat (1,8 milliard X 4 ans).

En fin de journée, la CAQ a ajouté un autre bonbon fiscal : elle veut verser une somme ponctuelle de 400 $ à 600 $ d’ici la fin de l’année aux personnes qui gagnent moins de 100 000 $. La facture de 3,5 milliards, non récurrente, serait financée autrement que par le Fonds des générations.

Le bouquet de mesures du PLQ est nettement plus généreux. D’abord, comme la CAQ, le parti de Dominique Anglade réduirait lui aussi les deux premières tranches d’imposition sur le revenu, mais de 1,5 point de pourcentage. L’argent serait versé dès la prochaine déclaration de revenus, le printemps prochain, donc pour l’année fiscale 2022.

L’allégement atteindrait 1150 $ pour une personne seule et jusqu’à 2290 $ pour une famille de quatre, selon le simulateur de la CFFP. Environ 10 % de cette baisse d’impôt serait financé par une hausse de l’impôt des plus riches (ajout d’une tranche d’imposition pour les revenus de 300 000 $ et plus).

Facture nette estimée : 2,5 milliards par année, selon le simulateur (le PLQ arrive à une somme semblable), soit environ 12,5 milliards durant le mandat de 5 ans.

Autres mesures fiscales : le PLQ éliminerait la TVQ pour les produits de première nécessité (brosse à dents, etc.), en plus de bonifier le crédit d’impôt pour solidarité. Une famille pourrait y gagner plusieurs centaines de dollars par année, surtout celles qui ont des revenus de moins de 60 000 $ (2).

Ces deux mesures devraient coûter chacune 450 millions par année et globalement environ 3,2 milliards durant le mandat de 5 ans.

Comment le PLQ financerait-il ces 3,2 milliards, qui s’ajoutent aux 12,5 milliards pour les baisses d’impôt sur le revenu ? En repoussant l’atteinte du déficit zéro de quelques années (sur sept ans), me dit-on au PLQ. Autrement dit, on fera augmenter la dette d’une somme équivalente, entre-temps, donc de quelque 15,8 milliards. Wow ! (3)

Ce que j’en pense ? Que l’utilisation de la dette pour financer les incontournables réductions d’impôt n’est pas une mauvaise idée, mais qu’on exagère, surtout au PLQ.

Pourquoi une bonne idée ? D’abord, parce que le Québec a ramené son endettement relatif (40 % du PIB) sous le niveau fixé il y a plusieurs années (45 % du PIB). C’est mission accomplie. Ensuite, parce que malgré cela, le dernier budget fait exploser les versements annuels au Fonds des générations d’ici cinq ans. Trop, c’est trop.

Pourquoi on exagère ? Parce que l’économie s’en va tranquillement vers une récession. Et parce qu’il faudra tout de même attendre l’équilibre budgétaire pour financer adéquatement les missions de l’État, que ce soit la santé d’une population vieillissante ou l’éducation d’une jeunesse malmenée par la pandémie. Et bon, nous ne sommes qu’au jour 2 de la campagne…

1– Pour comparer les deux partis, notre simulation se base sur l’année 2022, tandis que la promesse de la CAQ (jusqu’à 810 $ pour une personne seule) est pour 2023.

2– Le PLQ a aussi une mesure visant les tarifs d’Hydro-Québec, mais nous l’avons exclue de nos calculs, puisque ce n’est pas une mesure fiscale.

3– Le PLQ a aussi promis d’autres mesures, dont une allocation pour les aînés de 70 ans et plus atteignant jusqu’à 2000 $, qui coûterait 2 milliards par année, et d’autres allégements non encore annoncés, dont on ne connaît pas le mode de financement.