La hausse des échelles salariales préoccupe les économistes, sachant que ces augmentations peuvent alimenter l’inflation, que cherche à combattre la Banque du Canada en haussant les taux d’intérêt. Notre chroniqueur fait le point après avoir épluché les ententes patronales-syndicales de 2022.

Tous les travailleurs veulent un meilleur salaire, surtout avec les prix qui explosent. Comme ces syndiqués du meuble, près de Rimouski, qui ont vu leur rémunération bondir de 26 % en 2022, ai-je découvert.

La dynamique des prix et des salaires peut toutefois devenir problématique, à un certain point, et créer un cercle vicieux : les prix montent, donc les salaires montent, lesquels font grimper encore les prix et donc éventuellement les salaires, et ainsi de suite…

D’où la question : quelles augmentations les travailleurs obtiennent-ils par les temps qui courent ? Surtout, les hausses musclées sont-elles accordées sur plusieurs années, comme ce fut le cas dans les conventions collectives des années 1970, qui avaient contribué à la spirale inflationniste, forçant une augmentation plus forte des taux d’intérêt ?

Le sujet préoccupe la Banque du Canada, comme on a pu le comprendre dans une allocution de son gouverneur, Tiff Macklem, devant des membres de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), le 14 juillet.

À son interlocutrice qui lui demandait conseil pour lutter contre l’inflation, Tiff Macklem a répondu : « En tant qu’entreprises, ne prévoyez pas que le taux d’inflation actuel demeurera à ce niveau. N’intégrez pas cela dans vos contrats à long terme. N’intégrez pas cela dans les contrats salariaux. Cela prendra du temps, mais vous pouvez être sûrs que l’inflation va baisser. […] Nous sommes convaincus que l’inflation reviendra à notre objectif de 2 % au cours des deux prochaines années », a-t-il expliqué.

Qu’en est-il des augmentations salariales, dans les faits ? Pour en avoir le cœur net, j’ai épluché la plupart des grandes conventions collectives qui ont été signées en 2022 au Québec1.

Premier constat : la progression des échelles salariales pour 2022 n’a plus rien à voir avec le passé récent. Des 47 conventions collectives analysées, seules quatre offrent des augmentations de moins de 2,5 % en 2022. Et huit entreprises ont accordé 10 % ou plus pour la seule année 2022.

En moyenne, le bond des échelles salariales de l’ensemble des conventions analysées atteint 6,5 % en 2022.

Ce chiffre est très près de l’inflation que prévoient les économistes pour l’ensemble de l’année (entre 6,5 % et 7 %). Et assez près, aussi, de l’augmentation annuelle du salaire moyen répertorié par Statistique Canada au dernier trimestre au Québec (7,5 %).

Maintenant, question cruciale : comment se sont entendus patrons et syndicats pour les années suivantes ? Résultat de mes recherches : dans les grandes conventions collectives, les hausses des échelles sont de 3 % pour 2023 et de 2,8 % pour 2024, en moyenne.

C’est à croire que les entreprises ont intégré le message de Tiff Macklem et prévu que l’inflation finirait par dégonfler, comme le prévoient d’ailleurs la plupart des économistes, quoiqu’il faille oublier la cible de 2 % de la Banque du Canada d’ici deux ans pour ces salaires.

Évidemment, rien n’est coulé dans le béton. Il faudra se montrer attentif aux prochaines conventions qui seront signées d’ici la fin de l’année. Plus le temps passe, plus l’inflation est perçue comme permanente, et plus les attentes des employés grandissent.

En outre, nul n’empêchera les parties de rouvrir les conventions collectives l’an prochain, en cas d’inflation, ce qui s’est produit à quelques reprises depuis deux ans devant le fort roulement de personnel, nourri par la quasi-absence de chômage et la pénurie de main-d’œuvre.

Le boom vient des régions

Justement, dans bien des cas, c’est la rareté de la main-d’œuvre qui force les dirigeants d’entreprise à allonger les bidous, bien davantage que le seul rapport de forces syndical ou la volonté des employés de rattraper l’inflation. Et ce carburant pour les hausses de prix m’apparaît bien davantage préoccupant, surtout au Québec.

Ainsi, les 10 plus fortes hausses de salaire des grandes conventions au Québec ont toutes été répertoriées en région, loin de Montréal, là où la pénurie se fait le plus cruellement sentir.

Par exemple, le fabricant de meubles de cuisine et de salle de bain Miralis, de Saint-Anaclet-de-Lessard, près de Rimouski, a accordé à ses 252 employés des hausses moyennes de 26 % pour la première année. Au moment de la signature, les salaires des ébénistes variaient entre 21,02 $ et 24,35 $ l’heure.

Le fabricant de pièces de véhicules Soucy International, de Drummondville, a aussi fait bondir son échelle salariale de 22 % cette année, un peu plus que le chantier naval Verreault Navigation, dans le Bas-Saint-Laurent (environ 16 % cette année, selon mes estimations).

Dans les deux cas, les salaires oscillent entre 23 $ et 35 $ l’heure et les électromécaniciens sont parmi les mieux payés, à près de 33 $ l’heure.

Autres conventions dignes de mention, celles récemment signées dans les secteurs du papier et du sciage par Produits forestiers Résolu. Contrairement à la plupart des autres conventions, qui retournent vers des horizons de hausse de 3 % en 2023 et 2024, les majorations salariales de Résolu atteignent quelque 4 % en 2023 et près de 6,5 % en 2024, en moyenne2.

Les conventions de Résolu sont également particulières, car elles servent d’entente de référence pour l’industrie du papier et du sciage.

Évidemment, à ces augmentations salariales s’ajoutent souvent des améliorations des conditions de travail (vacances, retraite, etc.).

Pour s’entendre, patrons et syndicats s’en sont parfois remis au futur indice des prix à la consommation (IPC) de 2023 à 2025. C’est le cas pour 7 des 47 conventions analysées.

Par exemple, chez le constructeur d’autobus Microbird, de Drummondville, on a convenu de fixer la hausse en 2023 à l’évolution de l’IPC, après une progression des salaires de 16 % en 2022, en moyenne. En 2024, c’est l’IPC avec un minimum de 2,5 % et un maximum de 4 %.

Autre exemple : l’usine de Sandoz, récemment rachetée par Delpharm, qui fixe la hausse de 2023 à l’IPC, avec un plafond de 4 %.

Visiblement, les récentes ententes syndicales-patronales ne sont pas de nature à contribuer à l’inflation à long terme. Reste à voir comment se dérouleront les négociations des prochains mois, notamment au gouvernement du Québec…

1. J’ai retenu 47 conventions collectives, notamment celles qui visent 100 employés ou plus. L’information est disponible sur le site internet Corail. J’ai raffiné le travail avec des appels auprès des grandes centrales syndicales.

2. Les ententes de Produits forestiers Résolu sont très complexes. Elles comprennent des ajustements salariaux en dollars de l’heure, en plus de hausses en pourcentage ou en dollars de l’heure pour certaines années. Il y a également des augmentations distinctes pour les employés de métier et de production. Les hausses globales calculées par La Presse sont donc des approximations. Et elles n’englobent pas les primes de rétention.

Bonds des échelles salariales

Fabrication, matériel de transport

C’est dans le secteur manufacturier que les majorations salariales des grandes conventions collectives sont les plus fortes, notamment pour le matériel de transport. Quatre des huit entreprises répertoriées offrent 10 % ou plus en 2022. Et encore, pour une cinquième entreprise – Bombardier –, l’entente récemment conclue inclut une hausse de 6,5 % pour décembre 2021, et cette hausse ne figure donc pas dans notre compilation des majorations de 2022. Une exception notable : le motoriste Pratt & Whitney. L’entente de 5 ans n’offre que 2,4 % en 2022 et guère plus par la suite. Elle comprend toutefois un mécanisme complexe d’allocation au coût de la vie, qui n’est cependant pas incorporé au taux de salaire.

Fabrication diverse

Les meubles, le textile, les cheminées, les transformateurs électriques : peu importe le secteur, les majorations des échelles salariales sont plutôt généreuses dans le secteur manufacturier. C’est le cas, en particulier, des fabricants de meubles, frappés par la pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, Miralis offre 30,5 % d’ici trois ans et Ameublements El Ran, environ 14,3 %, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC). Fait à souligner, c’est dans ce tableau que l’on compte les plus fortes hausses pour la deuxième année de la convention collective (2023), par exemple quelque 4 % pour les entreprises Cheminées Sécurité International, de Laval, et Hitachi Énergie, de Varennes.

Alimentation et commerce

Plusieurs entreprises du secteur de l’alimentation ou du commerce ont dû accorder des majorations salariales substantielles à leurs syndiqués. C’est le cas d’Olymel, notamment à l’usine de Saint-Hyacinthe (11 % en 2022), chez le fabricant de pogos Aliments Conagra, de Boisbriand (7,1 %), chez Boulangerie Canada Bread, de Montréal (6 %), et même à l’entrepôt de Sobeys, à Terrebonne (6 %). Dans cette bataille contre l’inflation, la PME qui brasse la Boréale (Les Brasseurs du Nord), de Blainville, avait conclu une entente avant la guerre en Ukraine et la montée du prix de l’essence, au début de 2022. Elle a réparti les hausses sur six ans, essentiellement, offrant à ses employés 2,75 % par année pendant cinq ans et 3 % à la dernière année du contrat.

Secteur des services

Dans ce secteur, les chauffeurs obtiennent le gros lot. L’entreprise Lanau Bus, de Repentigny, a fixé les hausses à l’inflation en 2022 – qui sera probablement de 6,5 % – en plus d’ajouter 1,5 point de pourcentage à l’IPC pour les deux années suivantes. Autocar des Chutes, de Québec, a consenti 11,2 % en 2022, puis 2 % par année pendant neuf ans. Chez Autobus Galand, Théberge Transport et Victor Transport, les bonds sont de 20 % la première année, selon le porte-parole des Teamsters, Stéphane Lacroix (ces quatre dernières entreprises ne figurent pas dans notre tableau, car leur convention vise moins de 100 employés). Une collision frontale est en vue cet automne pour certains des transporteurs encore en négociation.

Services publics, forêts et mines

À voir les récentes conventions collectives, le secteur public demeure, pour l’instant, le parent pauvre des hausses salariales. Les policiers de Sherbrooke ont certes obtenu 4 % en 2022, mais la Ville de Québec limite à 2 % la majoration des échelles salariales en 2022 et 2023. Il faut dire que certains, comme les professeurs de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, attendent la politique salariale du gouvernement du Québec, dans les prochains mois. En revanche, dans le secteur des ressources, l’entente signée chez Résolu (environ 9 % en 2022, 4 % en 2023 et 6,5 % en 2024) risque de hausser les prix des produits forestiers, puisqu’il s’agit de l’entente de référence dans l’industrie.

1. Il s’agit de la progression au sommet de l’échelle de la plupart des grandes conventions collectives visant 100 employés et plus au Québec. Sept des 47 conventions collectives analysées lient l’augmentation des salaires à l’IPC (taux d’inflation usuel). Pour estimer ces hausses, nous avons postulé que l’inflation serait de 6,5 % en 2022, de 3,5 % en 2023 et de 2,5 % en 2024.

2. Pour 2022, il s’agit d’une moyenne des hausses pour les 4 premières classes de la convention d’Olymel de Saint-Hyacinthe.

3. Bombardier a accordé une hausse de 6,5 % à ses employés pour l’année syndicale commençant en décembre 2021. Hausse semblable en décembre 2021 pour Laurier Architectural (6 %).

4. Le nom légal d’Hôtel Bonaventure sur la convention est 9312-5581 Québec inc.

5. Les ententes de Produits forestiers Resolu sont très complexes. Elles comprennent des rajustements salariaux en dollars de l’heure, auxquels s’ajoutent des hausses des grilles salariales en pourcentage ou en dollars de l’heure pour certaines années.
Il y a également des augmentations distinctes pour les employés de métier et de production. Les hausses globales calculées par La Presse sont donc des approximations. Elles n’englobent pas les primes de rétention.