Si un enfant de 4 ans peut vous énumérer les conséquences fâcheuses d’une panne de courant, il en va autrement des pannes de réseaux informatiques. Même les adultes sont déroutés. Mais nous savons désormais qu’une mise à jour ratée chez un seul fournisseur peut paralyser les paiements Interac, les appels au 911, des tribunaux, Service Canada, les voyageurs (ArriveCAN), les systèmes d’alarme et la télémédecine.

Prenez-vous le temps de faire des sauvegardes de tous les documents sur votre ordinateur personnel ? Pas moi. Et je n’ai jamais installé de logiciel qui accomplirait automatiquement cette tâche non plus, par pure insouciance. Tout le contenu du portable fourni par La Presse se trouve pour sa part dans un nuage auquel je fais confiance les yeux fermés, de façon peut-être naïve.

À ma décharge, ce n’est pas mon expertise ni mon travail, et si je perds les photos de mon voyage en Italie en 2009, je serai la seule à les regretter.

Quand le système de Rogers Communications plante pendant près de deux jours, les effets sont immensément plus ennuyeux. Pour des millions de personnes. D’un bout à l’autre du pays. Ce n’est pas pour rien qu’une demande d’autorisation d’exercer une action collective a été déposée lundi matin au palais de justice de Montréal. Pas moins de 400 $ par client (Rogers, Fido ou Chatr) sont réclamés en compensation des services non reçus le 8 juillet ou le 9 juillet (ou les deux).

Mais le plus étonnant dans toute cette histoire de panne — qui semble être la plus importante jamais survenue au pays – est la faiblesse d’infrastructures qu’on imaginait solides.

« Qu’un réseau bancaire national comme Interac ait ce qu’on appelle un point de panne unique [single point of failure], ce n’est pas normal. Ils ont annoncé dans un tweet qu’ils auraient un deuxième fournisseur. Comme expert, je me suis dit : ‟Wow, ça prenait une panne pour réaliser que vous aviez ce problème-là ?” », s’exclame Éric Parent, PDG d’EVA Technologies.

L’expert convient qu’on peut blâmer Rogers, mais que « le vrai problème, c’est d’avoir des services critiques qui dépendent d’un seul fournisseur ». À son avis, « si tu n’as pas de plan B, tu n’es pas plus intelligent » que le fournisseur qui t’a mis dans le pétrin.

Quand sa mission est importante et qu’on emprunte une autoroute, il faut savoir s’il y a des chemins alternatifs pour se rendre à destination, insiste Éric Parent. « C’est la base ! »

« Que les clients de toutes les institutions financières se retrouvent dans l’incapacité d’effectuer des transactions parce qu’un seul des opérateurs de télécommunications tombe en panne est sidérant ! L’architecture du réseau Interac ressemble à un château de cartes qui s’effondre dès qu’on y retire une carte ! », s’étonne aussi Jean Beaulieu, consultant en informatique qui compte une trentaine d’années d’expérience.

Terry Cutler, président et fondateur de Cyology Labs et expert en cybersécurité, se montre un peu plus tendre envers toutes les entreprises qui ont pâti de la panne chez Rogers. Car les experts en informatique doivent évaluer les risques avant de prendre des mesures coûteuses de sécurité, dit-il. « C’est quoi les chances que Rogers plante ? C’est tellement rare que quelque chose comme ça arrive. »

Mais c’est arrivé. Le réseau qui prétend être « le plus fiable au pays » s’est écroulé, à la surprise générale.

Et à partir de ce moment, la négligence ou la décision éclairée d’Interac de n’avoir qu’un seul fournisseur, allez savoir, a heurté les commerçants de plein fouet.

Des ventes ont été perdues, puisque les cartes de crédit ne fonctionnaient pas partout. Les frais de transactions ont par ailleurs bondi, de nombreux clients troquant leur carte de débit pour leur Mastercard ou leur Visa, plus coûteuses pour les détaillants.

Des restaurants sans téléphone ont aussi manqué des réservations pour la fin de semaine. Dans d’autres provinces, où Rogers offre le service de l’internet, c’était encore pire qu’au Québec. Vendredi, des entreprises ne pouvaient pas passer de commandes, ne pouvaient pas conclure de ventes en ligne, ne pouvaient même pas communiquer avec leurs employés.

Tout cela dans un contexte flou et frustrant pendant plusieurs heures, Rogers ayant choisi le mutisme. « C’était un peu le néant », déplore Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). À l’ère des nouvelles instantanées sur Twitter, c’est difficile à justifier. Même si, dans bien des cas, l’information ne se serait pas rendue.

En Colombie-Britannique, une ligne téléphonique d’urgence pour les personnes suicidaires ou en crise a cessé de fonctionner. À Toronto et à Ottawa, il était difficile, voire impossible, de joindre le 911. Ça ne fait pas très sérieux. Qu’aucune conséquence tragique n’ait fait les manchettes relève du miracle.

Pendant que Rogers enquête pour comprendre ce qui s’est produit, d’autres organisations doivent se poser des questions sur leur propre fiabilité.