L’acquisition de Produits forestiers Résolu par la société Domtar vient clore un nouveau chapitre – peut-être le dernier – du vaste mouvement de consolidation qui a marqué la grande industrie forestière québécoise au cours des 30 dernières années. Résolu, qui a été le consolidateur de l’industrie et la dernière grande entreprise forestière québécoise inscrite à la Bourse, est en voie d’être consolidé à son tour, mais par une société étrangère.

En mai 2021, le Groupe Papier Excellence, division d’Asia Pulp and Paper, contrôlée par un riche homme d’affaires indonésien, a déboursé 3 milliards US pour mettre la main sur Domtar, et le groupe asiatique vient de récidiver en offrant cette fois 2,7 milliards US pour acquérir tous les actifs de Produits forestiers Résolu, de même que sa dette et le déficit de son régime de retraite.

« C’est une très belle transaction qui accorde une prime de 64 % sur la valeur des actions de Résolu et qui prévoit le remboursement d’un droit conditionnel à la valeur de 500 millions US pour les dépôts sur les droits compensateurs qu’on a payés au gouvernement américain », s’est réjoui au bout du fil, mercredi, Rémi Lalonde, PDG de Résolu.

On peut comprendre que sur le strict plan financier, cette transaction représente une belle occasion pour les actionnaires de Produits forestiers Résolu, mais cette offre publique d’achat marque aussi la fin d’une époque et d’une périlleuse épopée qui a duré près de 50 ans.

L’entreprise que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de Produits forestiers Résolu est le résultat de 200 ans d’histoire de l’industrie de la forêt au Québec et de l’accélération de sa consolidation à partir des années 1960.

Ce qui fut au départ, en 1820, la William Price Company a progressivement absorbé au fil des dernières décennies certains de ses concurrents, au gré de fusions et d’acquisitions diverses.

Price a été rachetée dans les années 1970 par la société Abitibi pour former le groupe Abitibi-Price, alors que la Consolidated, qui avait racheté la société Bathurst en 1966, a été achetée par Stone qui est devenue la Stone-Consolidated à la fin des années 1980.

En 1997, Abitibi-Price a fusionné avec Stone-Consolidated pour devenir Abitibi-Consolidated. En 2000, Abitibi-Consolidated a racheté Donohue avant de fusionner avec Bowater en 2007 et d’être renommée Abitibi-Bowater.

En 2009, Abitibi-Bowater s’est mise à l’abri de ses créanciers avant de renaître en 2011 sous le nouveau nom de Produits forestiers Résolu, dernière mouture en date… Depuis, Résolu a racheté Fibrek et des actifs de l’ancienne Tembec.

Sièges administratifs dégarnis

La transaction annoncée mercredi entre Domtar et Résolu va confirmer la perte du contrôle québécois de deux grandes entreprises forestières. Domtar, qui avait déjà été rachetée en 2007 par l’américaine Weyerhaeuser, avait son siège social à Fort Mill, en Caroline du Nord, mais avait conservé un centre administratif à Montréal qui emploie 350 personnes.

Depuis que Domtar a été rachetée l’an dernier par Papier Excellence Canada, qui a son propre siège social à Richmond, en Colombie-Britannique, on peut se demander comment Montréal pourra conserver et le siège social de Résolu, et le centre administratif de Domtar.

Rémi Lalonde, PDG de Résolu, me disait mercredi que le siège social montréalais de son entreprise n’était nullement menacé et que c’est à partir d’ici que le groupe allait continuer de coordonner les activités de ses 40 installations industrielles québécoises et américaines.

Il y aura toutefois d’incontournables doublons avec le bureau montréalais de Domtar, où des coupes sont à prévoir, tout comme ultimement certaines activités du siège social de Résolu feront double emploi avec celles du siège social de Richmond, on pense ici aux finances ou aux affaires juridiques.

C’est ce qui se produit quand on devient le consolidé plutôt que le consolidateur.

Sur les activités globales de l’industrie de la forêt et les 130 000 emplois qui y sont rattachés dans les secteurs des première, deuxième et troisième transformations, l’impact de la vente de Résolu ne devrait pas trop se faire sentir, même si l’entreprise génère 30 % de l’activité de cette filière importante pour l’économie des régions.

Michel Vincent, directeur de l’économie et des marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec, rappelle que ce sont les entreprises familiales et les coopératives forestières qui constituent les fondements de l’industrie.

Outre les grands groupes comme Kruger ou la famille Filion, propriétaire de Chantiers Chibougamau, ou la famille Saputo, qui contrôle Produits forestiers Arbec, plusieurs grandes entreprises familiales sont actives dans le Bas-Saint-Laurent, sur la Côte-Nord, en Estrie, en Beauce ou dans les Laurentides.

« Cette activité-là va se poursuivre tout comme celle de Résolu. Le nouvel acheteur ne peut pas déplacer les usines, elles dépendent de la forêt, elles vont rester en opération », estime Michel Vincent.

Ce qui est théoriquement vrai. Mais si un coup dur arrive, si les résultats ne sont pas ceux attendus, le nouveau propriétaire n’aura pas nécessairement la patience et la sensibilité d’exploiter ses usines à perte dans l’attente d’une embellie. C’est le privilège du consolidateur, c’est le lot du consolidé.