Question quiz : le Canada attrape-t-il plus de gros poissons qu’ailleurs dans le monde ? Ou, au contraire, s’acharne-t-il plutôt sur les petits poissons, comme on l’entend souvent ?

Vous l’aurez compris, je parle du taux de succès de Revenu Canada dans sa lutte contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal, voire la fraude. Pour connaître la réponse au jeu-questionnaire, suivez ma chaloupe.

Le Directeur parlementaire du budget (DPB) vient de publier une étude intitulée « Comparaison internationale du rendement de l’Agence du revenu du Canada ». Et en fouillant, on en apprend beaucoup sur l’hameçonnage du Canada et des grands pays.

D’abord, voyons le portrait de pêche canadien. En 2019, les agents de Revenu Canada ont effectué 3,8 millions de vérifications, grâce auxquelles ils ont récupéré 17 milliards de dollars. L’argent vient de l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés, ainsi que de la TPS ou de la taxe de vente provinciale (TVH).

Et quelle proportion des 17 milliards vient des gros poissons ? Réponse : 45 %, ou 7,7 milliards. Par gros poissons, j’entends les dossiers des grandes sociétés pour l’impôt sur le revenu.

Je vous sens réfléchir, chers lecteurs, mais attendez avant de tirer vos conclusions. Oui, les petits poissons représentent donc 55 % des récupérations fiscales (1), mais il faut savoir que les gros poissons sont beaucoup moins nombreux. De fait, leur petit nombre fait faire à Revenu Canada seulement 3200 vérifications par année, soit 0,1 % des 3,8 millions de vérifications annuelles.

Dit autrement, Revenu Canada récupère 45 % de ses « extras » avec 0,1 % de ses dossiers. Pas pire travail de repérage marin, si l’on peut dire !

Et ailleurs ? Le Canada se compare plutôt bien à ce chapitre, selon les chiffres du DPB.

Les fonds récupérés chez les gros poissons représentent 39,3 % du total au Royaume-Uni, 38,1 % aux États-Unis et seulement 10 % en Australie. Bref, le Canada, avec 45 %, est au-dessus de la moyenne des pays calculée par le DPB, de 37,2 %.

Une autre façon de juger le travail de Revenu Canada est de calculer son taux additionnel d’évidage des poissons, selon leur grosseur, si l’on peut dire.

En 2019, Revenu Canada a collecté 377 milliards de dollars dans les poches des contribuables, que ce soit avec l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés ou avec les taxes de vente. Selon ce qu’indique le DPB, 4,5 % de cette somme est récupérée après une vérification, soit 17 milliards, ce que j’appelle le taux additionnel d’évidage des poissons.

Qu’en est-il des seuls gros poissons ? En 2019, le taux d’évidage additionnel a été bien plus important, soit 10,5 % (7,7 milliards sur 75 milliards de dollars d’impôt sur le revenu). Et en comparaison, ce taux est de 1,5 % pour les petits poissons (les particuliers).

Ailleurs dans le monde ? Pour les petits poissons, le taux de récupération des 9 pays comparés équivaut à 1,4 % du total de leurs impôts sur le revenu, selon les données disponibles du DPB. À 1,5 %, le Canada est donc semblable à la moyenne.

Aux États-Unis, où l’agence est sous-financée depuis des années, ce taux est de 0,4 % pour les petits vertébrés marins, bien moins qu’au Canada. En Italie, où la délinquance fiscale est bien documentée, le taux est le plus élevé, à 3,1 %.

Cela dit, ces résultats ne font pas du Canada un pêcheur modèle, loin de là. D’une part, Revenu Canada semble compter davantage de fonctionnaires que ses comparables ailleurs dans le monde. D’autre part, l’agence compte une proportion plus importante de comptes impayés.

Selon l’analyse du DPB, les arriérés représentaient 13,4 % des recettes perçues à la fin de 2019 au Canada, soit six fois plus que des pays comme le Royaume-Uni ou la Norvège. Le Portugal, hors norme à 36 % de comptes impayés, dope la moyenne.

Selon le DPB, il est possible que « l’administration fiscale canadienne préfère ne pas poursuivre activement certains types de contribuables ».

Autre point mitigé : le poids des dépenses de l’agence. À Revenu Canada, pour chaque dollar de dépenses de fonctionnement – principalement des salaires –, les recettes perçues dans les poches des contribuables avoisinent les 74 $. Ailleurs, on parvient à collecter beaucoup plus, par exemple 117 $ en Australie, 135 $ au Royaume-Uni et 163 $ en Norvège.

Cette situation peut toutefois s’expliquer, en partie, par le fait que la facture fiscale globale au Canada est généralement plus faible que dans les pays comparés (19,8 % du PIB contre 32,2 % en Norvège, 28,3 % au Royaume-Uni et 14,5 % aux États-Unis). Dit autrement, les fonctionnaires collectent moins aussi parce que nos taux d’imposition sont moindres.

Les comparaisons internationales de différents systèmes sont fort difficiles. Par exemple, l’analyse du DPB pour le Canada, basée sur les données des administrations centrales du Fonds monétaire international (FMI), exclut les données du gouvernement du Québec, en raison de son système fiscal distinct. Ainsi, seuls les revenus payés par les Québécois au fédéral sont inclus, notamment.

Il faut donc voir ces comparaisons comme des ordres de grandeur, qui donnent tout de même un bon aperçu des tendances.

1- Les 55 % de récupération fiscale englobent les revenus récupérés de la TPS et de la TVH. Le Québec est exclu des calculs de l’étude, en raison de son système fiscal distinct.