Depuis le printemps érable, la facture imposée aux étudiants des universités a augmenté deux fois plus vite que l’inflation. Malgré tout, la fréquentation universitaire a bondi, même dans un contexte où la population en âge d’entreprendre un bac a stagné. Le chroniqueur Francis Vailles explique ce phénomène remarquable.

J’étais un carré vert, je l’avoue. Pourquoi ? Parce que je jugeais notre système inéquitable.

Avec nos faibles droits de scolarité, les contribuables québécois se trouvent à subventionner de futurs travailleurs aisés, dont le diplôme universitaire rapportera beaucoup. Ne serait-il pas plus équitable de laisser ces futurs riches avocats et ingénieurs financer eux-mêmes leur avenir ?

Je le pense encore, mais j’avais sous-estimé deux choses. D’abord, qu’un grand nombre d’étudiants n’avaient pas autant d’aide financière de leurs parents que je me l’imaginais, rendant très douloureuse la hausse de 1625 $ sur cinq ans exigée par le gouvernement Charest. Ensuite, que les faibles droits de scolarité sont vus au Québec comme un acquis de la social-démocratie.

En fin de compte, la solution négociée par le gouvernement de Pauline Marois en 2013 était probablement optimale, dans le contexte tendu de l’époque. Les droits sont indexés chaque année, comme le réclamaient les universités, et les moins nantis sont entièrement dédommagés pour ces hausses. Et bien sûr, on a mis de côté l’idée déconnectée de la gratuité.

Presque deux fois l’inflation

Dix ans plus tard, où en sommes-nous ? Les étudiants ont évité les hausses massues du gouvernement Charest, mais paient-ils moins qu’à l’époque, compte tenu de l’inflation ?

Voyons voir. Pour l’année débutant en septembre 2021, les étudiants du premier cycle paient 2725 $ de droits de scolarité pour 30 crédits, selon les données du ministère de l’Enseignement supérieur. Ces droits excluent les autres frais (admission, services aux étudiants, etc.).

En vertu de l’entente de 2013, ces droits augmentent au même rythme que le revenu disponible par habitant et non pas en fonction de l’inflation.

La nuance est importante. Quand l’économie du Québec fait du surplace, le revenu des ménages stagne, et donc les droits de scolarité aussi. Par exemple, en 2015, pendant l’ère dite d’austérité, la hausse des droits fut de 0,9 %.

À l’inverse, quand l’économie roule à fond de train, comme c’est le cas depuis cinq ans, le revenu des ménages bondit. Cette année, la hausse annuelle des droits atteint 3,9 %.

Tout compte fait, depuis le printemps érable, les droits de scolarité ont augmenté de 26 % (2,3 % par année en moyenne). Cette hausse est passablement plus importante que l’inflation (1,5 % par année), mesurée par l’indice des prix à la consommation.

Ce n’est pas tout. Les étudiants se voient aussi facturer d’autres frais, appelés frais afférents, que ce soit pour payer l’admission, les services aux étudiants et bien d’autres choses encore. Et à chapitre, force est de constater que la facture s’est alourdie.

Cette année, ces frais sont en moyenne de 1036 $ au Québec, selon Statistique Canada, et ils sont en hausse de 44 % depuis le printemps érable (moyenne de 3,7 % par année).

Tout pris en compte, les étudiants québécois ont donc vu l’ensemble des droits et autres frais pour leurs études s’accroître de 875 $ depuis 10 ans, soit 2,7 % par année, ce qui est presque deux fois l’inflation.

La hausse peut paraître musclée, mais elle demeure nettement moindre que celle qui aurait eu lieu avec la réforme du gouvernement libéral de l’époque. Sur 10 ans, la réforme se serait traduite par une hausse probable des droits de scolarité de 1985 $, soit un bond annuel moyen de 6,7 %. En ajoutant les autres frais, la hausse aurait pu atteindre 2300 $. Ouf ! 1

Réaction de Jean Charest

En réaction, l’ex-premier ministre Jean Charest a fait valoir, dans un texte de mon collègue Tommy Chouinard publié dimanche, qu’il manque un morceau au casse-tête, soit la baisse importante du crédit d’impôt pour droits de scolarité qui a accompagné la solution Marois.

Selon mes calculs, la prise en compte de ce facteur ferait passer la hausse nette de l’ensemble des droits et autres frais de 2,7 % à environ 4,4 % par année. La hausse sur 10 ans serait alors de quelque 1020 $.

Première objection : cette hausse de 1020 $ serait tout de même inférieure à celle de la réforme Charest (1497 $ en maintenant l’ancien crédit d’impôt, selon mon calcul). L’écart entre les deux est de 477 $, assez proche de l’estimation de Jean Charest dans le texte de dimanche (367 $).

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean Charest en 2012

Deuxième objection : le crédit n’est pas versé automatiquement, il dépend des revenus et de l’impôt à payer de l’étudiant et il peut être versé aux parents. Troisième objection : le gouvernement Marois a entièrement réinvesti la perte attribuable au crédit d’impôt dans l’aide financière aux étudiants, à la demande même de ces derniers. Difficile, dans ce contexte, d’intégrer ce facteur dans l’équation.

Quoi qu’il en soit, malgré ces hausses, les étudiants du Québec paient encore bien moins qu’ailleurs au Canada, selon Statistique Canada, qui englobe dans ses moyennes les droits payés par les étudiants résidant dans une autre province (moins de 10 % des étudiants au Québec).

Cette année, par exemple, les droits et autres frais au Québec (4310 $) sont deux fois moindres que ceux en Ontario (8969 $), tout compris. Seuls les étudiants de Terre-Neuve-et-Labrador ont une facture plus légère (3932 $).

La comparaison dans le temps nous permet de constater que le Québec rattrape le reste du Canada, quoique très lentement. Lors du printemps érable, en 2012, les frais du Québec représentaient l’équivalent de 42 % de ceux payés en Ontario. Aujourd’hui, nous sommes à 48 %. Le rattrapage est semblable avec les deux autres grandes provinces.

Cela dit, le pacte du Sommet sur l’enseignement supérieur de 2013 ne portait pas seulement sur les droits de scolarité, mais aussi sur les prêts et bourses. Et à cet égard, les étudiants ont fait de beaux gains.

Avant le printemps érable, le montant des prêts et bourses commençait à fondre dès que les deux parents faisaient plus de 23 274 $ de revenus, entre autres. Bref, l’aide financière baissait rapidement. Ce seuil a grimpé jusqu’à 45 000 $ en 2015 et il est aujourd’hui de 55 000 $, selon les données du ministère de l’Enseignement supérieur2.

Ces bonifications de 2013 ont été entièrement financées avec les fonds récupérés par la baisse du crédit d’impôt pour frais de scolarité, qui est passé de 20 % à 8 %. Elles ont pour effet de protéger de toute hausse des droits de scolarité les étudiants à faibles revenus ou dont les parents ont de faibles revenus, grâce à une hausse équivalente des bourses.

Aujourd’hui, la part versée en bourse représente 52,4 % de l’aide aux étudiants à l’université, contre 50,6 % en 2011. Et l’aide financière moyenne pour ces étudiants universitaires, prêts et bourses confondus, atteignait 7931 $ en 2019, contre 7075 $ en 2011.

Paradoxalement, un moins grand nombre d’étudiants reçoit l’aide de l’État malgré les bonifications du programme (38 % des étudiants universitaires contre 41 % en 2011). Ce recul s’explique par l’amélioration de la situation financière des étudiants ou de leurs parents depuis 10 ans, entre autres, et par le fait que davantage étudient à temps partiel tout en travaillant, ce qui élimine ou restreint l’accès aux prêts et bourses.

Voilà qui fait le tour des dollars.

Il reste LA grande question qui se pose, au bout du compte : notre régime de hausse des droits de scolarité – plutôt que le gel ou la gratuité réclamés – a-t-il freiné l’accès aux études universitaires ? Pas du tout, au contraire.

Depuis le printemps érable, l’effectif au bac à temps plein a augmenté de 8,7 % au Québec, à 144 021 étudiants. La hausse est remarquable, sachant que pendant la même période, la population généralement en âge d’étudier au bac (les 20-29 ans) n’a augmenté que de 1,8 %, à 1,06 million de personnes3.

Tout compte fait, donc, même si les frais imposés aux étudiants ont augmenté presque deux fois plus vite que l’inflation et même si la population stagne, le volume d’étudiants au bac s’est sensiblement accru depuis le printemps érable. N’est-ce pas surprenant ?

1. Nous avons appliqué les hausses proposées par le gouvernement libéral de l’époque (jusqu’en 2018-2019), que nous avons ensuite majorées de l’inflation (entre 2018 et 2021). Et pour l’ensemble des frais, nous avons supposé que la hausse effectivement constatée depuis 2012 aurait été la même, dans le pire des cas, ce qui donne une hausse nette de 2300 $ des droits et frais sur 10 ans.

2. L’aide financière s’éteint complètement lorsque les deux parents font plus de 106 000 $ aujourd’hui, dans le cas où l’étudiant n’a aucun revenu. Par ailleurs, le seuil de revenus des étudiants qui sert au calcul a aussi grimpé, passant de 1110 $ à 2011 à 1494 $ en 2021.

3. Voyez les données :

Consultez la Banque de données des statistiques officielles du Québec Consultez le site de l’Institut de la statistique du Québec