Ils sont gras dur. Ils ont deux mois de vacances. Ils ont un bon régime de retraite.

Combien de fois avons-nous entendu de tels propos au sujet des enseignants et enseignantes ? Qu’ils ont des conditions de rêve ? Bien des Québécois critiqueront donc la hausse de salaire de près de 11 % sur trois ans que les enseignants viennent d’obtenir.

Au sommet de l’échelle, un enseignant du primaire ou du secondaire touchera 92 027 $ par année à partir du 1er avril 2022. Quant aux nouveaux venus dans la profession, ils auront un salaire de départ de 52 954 $, en hausse de près de 15 % par rapport à l’ancienne grille de 20191.

Pour ma part, je trouve que cette hausse est pleinement justifiée. Et que le débat doit maintenant se transporter ailleurs.

Il faut être ignorant des conditions de travail des enseignants pour penser qu’ils sont si choyés. Ignorer leur stress quotidien pour la gestion de classe, notamment au secondaire. Ignorer la grande différence qu’ils peuvent faire dans la vie des élèves.

Ignorer qu’ils doivent affronter beaucoup d’enfants avec des troubles du comportement ou des parcours de vie difficiles, notamment au public. Ignorer qu’ils ont des classes écrémées par le privé et les programmes d’éducation internationale. Ignorer qu’ils doivent gérer des parents trop pointilleux, ou qui ne parlent pas le français, ou qui s’occupent trop peu de leurs enfants.

Ignorer leur bataille pour les notes de passage, leurs heures de correction les soirs et fins de semaine, les nombreuses préparations de cours dans le cas des jeunes enseignants, les séances de mutation inhumaine qu’on leur impose pour changer de poste, le bruit, le stress et tutti quanti.

Ce métier, au Québec, permet d’avoir une bonne retraite à 61 ans, mais dans les faits, peu d’enseignants se rendent jusqu’au bout, tellement le défi quotidien est imposant, surtout depuis quelques années. Oui, le métier est noble et peut être passionnant, mais la vocation s’effrite quand le salaire ne suit pas.

Ces dernières années, c’est au Québec que les enseignants gagnaient le moins au Canada. Nettement moins qu’en Ontario et en Alberta, au sommet, mais aussi moins que dans des provinces plus pauvres que le Québec comme le Manitoba ou la Nouvelle-Écosse.

Si le Québec veut consolider son système d’éducation, il doit d’abord payer les employés à leur juste valeur. Une bonne paye aura pour effet de résorber la pénurie – ou du moins de la contenir – et d’attirer des jeunes qui autrement auraient choisi une autre profession. Les nouveaux salaires placent le Québec dans la moyenne canadienne, et c’est tant mieux.

Maintenant, pour que l’exercice soit un succès, il faut non seulement que ces conditions améliorées viennent atténuer la pénurie, mais aussi qu’elles aient pour effet de rehausser la qualité du personnel de nos écoles. Il faut que les plus brillants étudiants qui entrent dans nos universités ne choisissent plus seulement le génie, la finance ou des professions sociales plus attirantes, mais aussi le métier d’enseignant, dont la formation devrait être plus exigeante.

Or, en ce moment, ce n’est pas ce qu’on voit dans nos universités. Les étudiants qui choisissent les programmes d’enseignement au primaire et au secondaire sont parmi les plus faibles à être admis dans les diverses facultés.

Pour le constater, il suffit de consulter les cotes R minimales requises pour qu’un étudiant soit admis dans les divers programmes2. Ainsi, à l’automne 2019, l’entrée au programme d’enseignement de l’Université Laval était possible avec une cote R de seulement 22. C’est bien plus bas que la cote minimale exigée pour les sciences infirmières (24,1), l’administration (24,5), le travail social (26,9), le droit (29,7) et, bien sûr, la médecine (34,9).

À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), la cote R minimale exigée pour devenir enseignant de mathématiques est de 20, ce qui est vraiment très bas.

Certes, la cote R est imparfaite et ne mesure pas, par exemple, les capacités relationnelles des candidats, leur ascendant sur les jeunes, leur autorité. Et bien qu’il eût été préférable d’avoir les cotes R moyennes, plutôt que minimales, elles apparaissent révélatrices d’une certaine situation.

Il n’est d’ailleurs pas étonnant, dans ce contexte, de constater que les futurs enseignants soient si nombreux à échouer à l’examen de français obligatoire pour l’obtention de leur brevet. Au premier essai, la proportion qui échoue dépasse souvent 50 %, selon les universités.

Lire ici :

https://www.lapresse.ca/actualites/education/2021-05-24/le-francais-ecrit-compte-t-il-encore. php

Maintenant que les salaires des enseignants sont redressés à leur juste valeur, il faut s’assurer que les meilleurs candidats suivent. Il faut aussi que la qualité de la formation des futurs enseignants s’améliore, afin qu’eux-mêmes forment par la suite de meilleurs élèves, par effet boule de neige. Un beau défi en perspective.

1. Les salaires rétroactifs de cette convention collective 2020-2023 commenceront à être versés dans deux mois.

2. Ces cotes de rendement au collégial, rappelons-le, tiennent compte des notes des élèves du cégep, mais aussi de la force des groupes où ils se trouvaient, notamment.