Majeur. Énorme. Gigantesque. Voilà comment on peut qualifier les effets des récentes ententes d’Hydro-Québec avec les Américains, notamment avec l’État de New York. Non seulement Hydro empochera-t-elle des milliards de dollars, mais les ententes permettront de réduire massivement les gaz à effet de serre (GES) dans le nord-est du continent. Alléluia !

Pour bien comprendre, il faut parler en termes relatifs. Le contrat avec le Massachusetts en 2018 et maintenant celui avec New York – dont les détails sont en négociation – permettront d’économiser 6,9 millions de tonnes de GES (3,0 millions et 3,9 millions respectivement).

C’est l’équivalent de 80 % des GES émis par tout le transport aérien intérieur au Canada. De 63 % de toutes les émissions de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Ou encore de près de 40 % de tous les GES propulsés dans l’air par les voitures et camions légers des Québécois !

Gigantesque, que je vous dis. En comparaison, l’ensemble des 114 000 véhicules électriques qui roulent au Québec font économiser environ 0,5 million de tonne de GES, soit l’équivalent de 7 % des ententes d’Hydro-Québec. Les deux REM de l’Ouest et de l’Est ? Environ 0,09 million de tonne, soit 1,3 % des ententes avec les Américains…

Bien sûr, ces GES économisés ne viendront pas améliorer le bilan environnemental du Québec, mais plutôt ceux de New York et du Massachusetts. Tout de même, ce sont nos ressources, développées depuis des années, qui permettent d’aider le sort de la planète.

Oui, mais s’agit-il vraiment de GES économisés ? Hydro-Québec ne vend-elle pas déjà des surplus à ces deux clients sur le marché de court terme (spot) ? Et conséquemment, les deux contrats à long terme de 20 ans et de 25 ans ne viendront-ils pas remplacer les ventes de court terme, tout simplement ?

Non, me répond Hydro-Québec. Notre hydroélectricité remplacera vraiment l’énergie fossile de ces clients pour combler leurs besoins.

Nos surplus actuellement vendus à court terme le sont essentiellement dans des régions, comme le nord de l’État de New York, qui s’abreuvent en énergies vertes (éolienne et solaire). Les nouvelles lignes de transmission des deux contrats permettront à notre énergie de se rendre plus au sud, comme à la ville de New York, qui est surtout alimentée avec de l’énergie fossile.

C’est ce qui explique que pour le contrat du Massachusetts, par exemple, les contestations viennent notamment des entreprises d’énergies fossiles Calpine, Vistra et NextEra, qui y perdent d’importants revenus. Et qu’on peut penser qu’il y aura une opposition semblable pour le contrat de New York.

Oui, mais aurons-nous suffisamment de surplus pour alimenter tout cela ? Tout à fait, selon Hydro-Québec.

Actuellement, notre société d’État dispose d’environ 42 térawattheures (TWh) de surplus, alors que les deux contrats américains totalisent près de 20 TWh (1). Bref, il restera environ 22 TWh d’espace disponible pour d’autres besoins.

Certes, ces 22 TWh de surplus ne seraient plus suffisants pour permettre à Hydro de continuer à vendre 32 TWh sur les marchés de court terme, comme elle le fait actuellement. Ni pour répondre aux besoins grandissants du Québec à moyen terme, notamment pour l’électrification des transports.

Mais il faut savoir qu’Hydro prévoit ajouter environ 10 TWh d’énergie à son réseau à moyen terme avec ses récents appels d’offres et ses mesures d’efficacité énergétique. De plus, elle espère tirer 8 TWh de gain d’efficacité des réfections actuelles des centrales de la Baie-James.

En somme, tout compte fait, Hydro-Québec juge qu’elle a suffisamment d’énergie pour ses besoins futurs. « À long terme, on ne peut pas exclure de nouveaux projets de centrales hydroélectriques, étant donné les avantages de cette énergie, comme la disponibilité sur demande, et son rôle essentiel dans la réduction des GES », me dit Serge Abergel, porte-parole d’Hydro-Québec.

Oui, mais les clients d’Hydro paieront-ils la facture, éventuellement, avec une hausse inhérente de leurs tarifs ? Pour le moment, le coût des surplus qui dorment dans nos réservoirs est à peu près nul, car l’énergie est inutilisée. Les profits de leurs ventes sont donc très élevés.

Les grands projets hydroélectriques – plutôt éloignés – pourraient éventuellement faire monter la facture, mais à moyen terme, les nouveaux TWh disponibles (énergie éolienne et efficacité) sont plutôt bon marché.

Certains, comme l’économiste Pierre-Olivier Pineau, croient que le Québec pourrait économiser beaucoup plus d’énergie, notamment pour ses habitations, avec une meilleure coordination des efforts entre Hydro-Québec et le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Cette énergie propre économisée pourrait être revendue aux Américains, fait-il valoir. Selon le professeur de HEC Montréal, il faudrait que les lignes de transport Québec-New York atteignent 4000 mégawatts, soit au moins trois fois celles du contrat en négociation (1250 mégawatts).

Un beau chantier en perspective pour le Québec…

1 – Le contrat avec le Massachusetts absorbera 9,45 TWh à partir de 2023 et celui avec New York, 10,4 TWh à partir de 2025.