Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit le vieux proverbe d’Aristote. Tout de même, les chiffres que vient de présenter le ministère des Finances du Québec sont impressionnants.

Au rythme des deux premiers mois de l’exercice financier en cours, soit avril et mai 2021, le déficit du Québec pour l’année 2021-2022 serait quatre fois moins élevé que prévu, ce qui serait inespéré. L’information est tirée du rapport mensuel des opérations financières, publié vendredi en fin de journée.

Le déficit s’est chiffré à 640 millions au cours de ces 2 mois, et en extrapolant, le déficit annuel sur 12 mois donnerait 3,8 milliards. Pour les néophytes, cette somme peut paraître élevée, mais il faut savoir que le gouvernement prévoyait un déficit annuel de 12,3 milliards pour 2021-2022 quand il a présenté son budget en mars dernier. Au rythme actuel, le déficit serait donc dégonflé de 8,4 milliards (1).

Que se passe-t-il au juste ? Eh bien voilà, tous les postes de recettes du gouvernement du Québec sont au vert, à la faveur d’une reprise économique fulgurante. Les entreprises font des profits, les consommateurs consomment, et la construction roule à fond de train. C’est sans compter que le contexte économique et la pénurie de main-d’œuvre font pression à la hausse sur les salaires des travailleurs au Québec, ce qui augmente les recettes d’impôts des particuliers.

En mars 2021, le ministre des Finances, Eric Girard, estimait que les recettes avoisineraient les 8 milliards par mois pour l’année financière commençant le 1er avril 2021. Or, en avril et mai 2021, le rythme mensuel des revenus a plutôt été de 8,3 milliards, ce qui est 300 millions de plus, ou 4,3 %. Et pendant ce temps, les dépenses mensuelles d’avril et mai ont été environ 200 millions de moins que la prévision du budget (2).

Une telle extrapolation annuelle après seulement deux mois est, disons, téméraire. Bien des choses peuvent changer au fil de l’année financière. L’exercice permet tout de même de saisir l’ampleur de l’embellie récente des finances publiques du Québec, après le creux de 2020. Surtout, elle suit la tendance observée ces derniers mois.

À la fin de juin, rappelez-vous, le gouvernement du Québec avait révisé à la baisse son déficit de l’année précédente (2020-2021) pour la troisième fois en trois mois, du jamais-vu. Une fois tous les impôts déclarés et toutes les dépenses prises en compte, le déficit de l’exercice 2020-2021, terminé le 31 mars, n’a pas été de 15 milliards, mais de 10 milliards, un recul de 33 %.

Cette tendance se poursuivra, selon les conjoncturistes. En mars 2021, les économistes du secteur privé prévoyaient une croissance réelle du produit intérieur brut (PIB) du Québec de 5,1 % (7,4 % en incluant l’inflation) pour l’année 2021. Or, en août, ces économistes voient plutôt que l’économie croîtra au rythme de 6,5 % en 2021 (10,8 % après inflation).

L’embellie des finances publiques pourrait être ternie par l’ampleur de la quatrième vague qui débute, cela dit. À chaque confinement, partiel ou total, les recettes du gouvernement fléchissent, pendant que les dépenses augmentent, notamment en santé. Souhaitons que la vaccination relativement étendue au Québec de même que le passeport vaccinal permettent d’éviter une rechute.

Les finances publiques du Québec pourraient aussi être affectées par le résultat de la campagne électorale fédérale. Les libéraux ont promis beaucoup d’argent au Québec, notamment pour les garderies.

Le suivi des finances publiques est important, car il nous donne une idée de l’ampleur des compressions budgétaires que le gouvernement du Québec devra faire pour retomber au déficit zéro au cours des prochaines années. Et des décisions difficiles qu’il faudra prendre.

En mars, Eric Girard avait avisé les électeurs que le gouvernement ne serait pas en mesure de retourner à l’équilibre budgétaire avant sept ans. Et que le déficit passerait de 12,3 milliards durant l’exercice 2021-2022 en cours à 6,5 milliards au cours des années suivantes. Ces 6,5 milliards seraient structurels, c’est-à-dire indépendants de la conjoncture économique, essentiellement. Le ministre des Finances parlait alors d’« écart à résorber » de l’ordre de 1,3 milliard par année pendant quatre ans.

Or, avec la forte progression des revenus, cet écart serait bien moindre, d’autant moins avec les fonds d’Ottawa pour les garderies.

Pendant ce temps, au fédéral, les finances publiques ont aussi meilleure mine, mais pas de façon aussi marquée. Jeudi dernier, le ministère fédéral des Finances indiquait que le déficit s’est élevé à 36,5 milliards au premier trimestre de l’exercice, ce qui est évidemment beaucoup plus bas que l’année précédente, en plein confinement (120,4 milliards).

Ce déficit trimestriel, si on l’extrapolait, donnerait un déficit annuel de 146 milliards, ce qui serait un peu moindre que les 154 milliards prévus au budget d’avril 2021.

1- Tous les chiffres de déficit du Québec sont après les versements au Fonds des générations. En avril et mai 2021, le déficit avant les versements au Fonds des générations pour les deux mois combinés était de 197 millions, comparativement à 640 millions pour celui après le versement au Fonds des générations.

2- La comparaison avec les mêmes mois de 2020 est trompeuse, puisque le printemps de 2020 s’est déroulé en mode confinement presque total. La croissance des revenus entre les deux mêmes mois de 2020 et de 2021 est de 52 %.