Devant le faible taux de chômage, le gouvernement Legault tente de pousser des organismes d’aide à l’emploi à fusionner ou même à fermer boutique, a appris La Presse.

Dans une lettre acheminée ces derniers jours à plusieurs dirigeants d’organismes d’aide en employabilité, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale annonce qu’il a débloqué une enveloppe de 5 millions afin de « réduire le nombre d’organismes sur un même territoire, lorsque c’est possible ».

Le programme de « réorganisation territoriale » vise aussi à « éviter de poursuivre le financement » d’organismes qu’une « légère diminution de clientèle » serait susceptible de « mettre en péril financièrement », indique la lettre.

Le Ministère soutient actuellement environ 400 organismes d’aide à l’emploi à travers la province, grâce à un financement récurrent de près de 250 millions.

La lettre obtenue par La Presse précise que l’enveloppe de 5 millions sur deux ans pourra servir à payer des honoraires professionnels pour superviser les aspects juridiques de fusions ou de fermeture d’organismes. Les sommes pourront aussi être utilisées pour réaliser des analyses de faisabilité ou des ajustements d’échelle salariale dans le cas de fusions, ou encore à mutualiser certaines ressources, comme les employés spécialisés.

Le Ministère justifie le programme par le faible taux de chômage et par une baisse du nombre de prestataires de l’assurance-emploi et de l’aide sociale dans la population de 15 à 64 ans.

« Il y a beaucoup d’inquiétudes » en lien avec ce programme, admet Nisrin Al Yahya, directrice générale du Réseau des services spécialisés de main-d’œuvre, qui représente une cinquantaine d’organismes d’aide à l’emploi.

Au cours de la dernière année, plusieurs de ces organismes, qui accompagnent des personnes vulnérables à obtenir et à maintenir un emploi, ont vu leur financement réduit de 33 %, faute d’avoir atteint des objectifs fixés par le gouvernement. Ils pourraient faire face à des coupes allant jusqu’à 15 % pour l’exercice 2024-2025, indique Nisrin Al Yahya.

« La pénurie de main-d’œuvre a le dos très large », déplore-t-elle, reprochant au gouvernement d’appliquer une « logique comptable » à ces organismes d’aide de première ligne alors que les besoins d’accompagnement en emploi des demandeurs d’asile et des nouveaux arrivants, notamment, sont en croissance. « On a des organismes qui atteignaient 150 % de leurs cibles d’accompagnement, mais qui se sont fait couper sur la base d’une baisse anticipée de leur clientèle. Il y a un gros manque de vision à long terme [de la part du gouvernement] », estime Mme Al Yahya.

« C’est vrai que l’année dernière, l’emploi a été particulièrement dynamique, mais les derniers mois n’ont vraiment pas été aussi favorables, constate Laurence Marin, directrice générale du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées.

L’économie s’essouffle. Il y a des fermetures d’entreprises et un ralentissement de l’embauche. C’est quand même risqué de couper dans ce type de services dans les circonstances.

Laurence Marin, directrice générale du Regroupement des organismes spécialisés pour l’emploi des personnes handicapées

L’organisme Intégration Jeunesse Québec, situé dans l’est de Montréal, craint que la réorganisation « affaiblisse un tissu communautaire essentiel ».

« Pendant la pandémie, les organismes d’employabilité ont offert énormément de soutien pour aider une bonne partie de la population », souligne sa directrice générale, Élodie Boisseau.

« Aider les gens à faire leur CV et à se préparer pour des entrevues, ce n’est qu’un très faible pourcentage de ce qu’on fait. Plus de 80 % des obstacles à l’emploi de notre clientèle sont des enjeux personnels, pour lesquels nous aidons concrètement les gens », souligne Mme Boisseau.