(Ottawa) Le gouvernement Trudeau fait fausse route avec son projet de loi anti-briseurs de grève, selon le Conseil du patronat du Québec (CPQ). Le regroupement, qui représente les intérêts de 70 000 employeurs, s’y oppose fortement. Dans un mémoire déposé récemment en comité parlementaire, il presse les élus d’élargir la notion de services essentiels dans le Code canadien du travail pour faire un contrepoids.

« La loi que le ministre veut mettre en place va fragiliser les chaînes d’approvisionnement de tous les secteurs qui risquent d’être affectés par cette modification législative et c’est pour ça qu’on la dénonce », affirme sans détour le président du CPQ, Karl Blackburn, en entrevue. Il précise s’appuyer, entre autres, sur des consultations effectuées auprès de ses membres.

Le projet de loi C-58 est présentement à l’étude au Comité permanent des ressources humaines. Il vise essentiellement à interdire le recours aux travailleurs de remplacement dans les secteurs sous réglementation fédérale comme ceux du transport aérien, ferroviaire et maritime, le secteur bancaire et les télécommunications.

Le dépôt de ce projet de loi avait été salué par tous les grands syndicats au pays, y compris la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). C’était l’un des points les plus chers aux néo-démocrates dans l’entente de « soutien et de confiance » qui permet au gouvernement libéral minoritaire de gouverner comme s’il était majoritaire. Il s’agissait également d’une promesse électorale des libéraux.

« C’est bien évidemment la situation fragile dans laquelle le gouvernement fédéral se retrouve qui fait en sorte qu’il est obligé d’aller de l’avant avec une modification de cette nature, observe Karl Blackburn. N’eût été cela, le politique n’aurait pas eu besoin de se mêler de cet enjeu parce que l’environnement du marché du travail fédéral ne requiert pas une telle modification qui va simplement fragiliser, alourdir et briser les chaînes d’approvisionnement de quelque nature que ce soit avec les conséquences que celles-ci vont avoir sur l’application de cette loi. »

Pour le CPQ, l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement déstabilisera « l’équilibre des forces » en multipliant le déclenchement de grèves et en allongeant inutilement leur durée.

Les syndicats estiment plutôt que ce sont les lock-out qui perdurent, vu l’absence de législation fédérale anti-briseurs de grève. Le Syndicat canadien de la fonction publique a rappelé lundi que les travailleurs du port de Québec en sont à leur 19mois de lock-out et a dénoncé le refus de négocier de l’employeur.

Assurer les services essentiels

Il estime qu’Ottawa doit tirer des leçons de l’expérience du Québec où il est interdit depuis 1977 d’avoir recours à des briseurs de grève lors de conflits de travail. C’était l’époque des grands affrontements entre syndicats et patronat où les grèves s’étiraient et tournaient à la violence. Cinq ans plus tard, l’État québécois crée le Conseil des services essentiels qui vise à assurer la continuité de ces services en cas de grève.

« Si le gouvernement [fédéral] décide d’aller de l’avant avec son projet de loi et d’interdire totalement les travailleurs de remplacement, c’est d’au moins s’assurer qu’il y ait une exception qui soit prévue et qui tienne en compte la santé et la sécurité publique et sécurité économique du Canada », explique la directrice principale de l’équipe de travail, santé, sécurité et affaires juridiques du CPQ, Sandra De Cicco.

En vertu du Code canadien du travail, les activités d’une entreprise peuvent être maintenues lors d’une grève ou d’un lock-out seulement « pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public ».

« Ça, c’est trop restrictif. Il faut prendre en considération tout l’aspect de la vitalité et de l’importance des chaînes d’approvisionnement », poursuit-elle.

Le CPQ cite en exemple la grève qui a paralysé les ports de la Colombie-Britannique l’été dernier et l’imprévisibilité causée par l’incertitude des négociations pour les débardeurs du port de Montréal. Il rappelle qu’en plus d’interrompre la chaîne d’approvisionnement au pays, un conflit de travail dans des industries sous réglementation fédérale aurait un effet domino sur « des milliers de petites et moyennes entreprises ».

Il demande également que ce soit la Cour fédérale qui tranche en cas de conflit de travail, et non le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) comme le prévoit le projet de loi. La Cour est plus apte à juger de la notion d’intérêt public que le CCRI qui est formé de membres représentant les parties patronales et syndicales, croit-il.