Sabrer le crédit d’impôt, comme l’a annoncé lundi Québec, vient carrément « briser le parcours de financement » et « couper l’herbe sous le pied » de la majorité des studios, estime le président de la Guilde du jeu vidéo du Québec, Christopher Chancey.

L’organisme regroupe quelque 300 studios québécois, dont de grandes entreprises comme Ubisoft et WB Games, mais surtout quelque 280 petits studios de moins de 25 employés. Ce sont ces derniers, a indiqué en entrevue M. Chancey, « qui vont vraiment avoir du mal » avec la réduction du crédit d’impôt pour la production de titres multimédias (CTMM), essentiellement destiné à l’industrie du jeu vidéo.

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Christopher Chancey, président de la Guilde du jeu vidéo du Québec et cofondateur du studio indépendant ManaVoid

Cette mesure fiscale, qui a coûté 409 millions à Québec en 2023 en offrant un crédit maximal remboursable de 37,5 % sur le salaire, sera graduellement remodelée d’ici 2028. La portion remboursable, qui est versée même si le studio ne paie pas d’impôts, passera à 27,5 %. Le plafond salarial de 100 000 $ est aboli, mais un montant personnel de base, équivalant à 18 056 $ en 2024, est exclu du calcul. Une nouvelle portion de 10 % de crédit non remboursable sera versée seulement si le studio paie des impôts.

Pour le président de la Guilde et cofondateur du studio indépendant ManaVoid, ces modifications montrent « une grande incompréhension du gouvernement face à l’industrie du jeu vidéo », essentiellement basée au Québec en 2024 sur de petits studios.

« Pour un petit studio, ça prend trois ou quatre jeux avant d’avoir l’expérience, le réseau, six à huit ans avant de commencer à faire des profits intéressants. C’est là que tu prends ton envol, que ta communauté te suit, qu’on a des Red Barrels et des Behaviour. »

Aide réduite de moitié

Il estime que l’abolition du plafond salarial de 100 000 $ touche peu les petits studios, où la moyenne des salaires tourne autour de 50 000 $. En revanche, l’exclusion des premiers 18 056 $ fera mal, particulièrement pour les jeunes artisans qui auront plus de difficultés à se faire embaucher, prévient M. Chancey.

« C’est un des éléments les plus graves. Entre prendre un junior à 40 ou 50 000 $ et un senior à 120 000 $, je fais mieux de prendre le senior. C’est grave pour les finissants. On forme de 900 à 1000 personnes par année pour plein de postes en jeu vidéo, ils sont sacrifiés dans tout ça.

« L’impact que ça a sur les petits studios, c’est qu’ils vont avoir de 50 à 70 % moins de liquidités pendant la production. » Globalement, estime-t-il, l’ensemble des nouvelles mesures viendra à terme réduire de moitié l’aide de Québec à ces entreprises.

Les principaux gagnants, prévient le président de la Guilde, sont l’Ontario, qui offre toujours un crédit de 40 %, et d’autres pays comme l’Australie et l’Allemagne, qui seront dorénavant plus séduisants pour les grands studios internationaux. « Je me trouve chanceux d’avoir démarré [ManaVoid] en 2014 : ça m’affecte, ça va faire mal, mais ça ne me tuera pas. Mais un nouveau studio aujourd’hui qui rêve de faire un jeu vidéo, qui prend une production de deux ans, c’est une autre affaire. »

Le président de la Guilde espère tout de même arriver à faire fléchir le gouvernement. « On invite le gouvernement à revoir sa position sur le CTMM. Comme représentant de l’industrie, la Guilde du jeu vidéo du Québec sera heureuse de s’asseoir à la table avec eux pour en discuter. »

Les innovateurs satisfaits

L’accueil était nettement plus positif du côté du Conseil canadien des innovateurs (CCI), qui regroupe quelque 150 dirigeants canadiens, 25 au Québec, du secteur technologique. On se félicite d’entrée de jeu de l’harmonisation de deux crédits destinés aux entreprises technologiques, celui pour la production de titres multimédias ainsi que celui pour le développement des affaires électroniques (CDAE).

« Le contexte n’était pas facile, il y a eu des choix déchirants à faire, des décisions difficiles à prendre, mais on considère que c’est très positif, dit Jean-François Harvey, directeur du CCI pour le Québec. C’est un bon présage pour la suite, même s’il reste quand même pas mal de travail à faire. »

Comme plusieurs analystes, le CCI était particulièrement critique des subventions dans les domaines technologiques, particulièrement du CDAE.

« Ce qui nous chicote le plus, c’est une question d’équité, explique M. Harvey. Quand on regarde les montants de ce crédit, on a environ 200 millions sur 350 millions qui étaient accaparés par quelques grandes entreprises étrangères. Il n’en restait pas beaucoup pour les entreprises d’ici. Quand on regarde l’ensemble des mesures qui ont été proposées dans le budget, c’est globalement un pas dans la bonne direction. »