Le gouvernement Legault donne un avant-goût du ménage de l’aide aux entreprises qu’il prépare en réduisant la générosité de crédits d’impôt dont bénéficient plusieurs entreprises informatiques et de jeux vidéo. Elles devront payer de l’impôt ici pour avoir droit à leur pleine mesure.

Ce qu’il faut savoir :

Quoi ?

Québec réduit la générosité des crédits d’impôt aux entreprises informatiques et aux studios de jeux vidéo.

Pourquoi ?

L’aide est généreuse et la croissance dans ces secteurs demeure vive.

La réaction

« On opte pour une stratégie où l’on récompense la génération de bénéfices et de revenus fiscaux. C’est donc logique. » – Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Plus précisément, ce sont les crédits d’impôt pour la production de titres multimédias (CTMM) ainsi que pour le développement des affaires électroniques (CDAE) – qui permettent de déduire une partie du salaire admissible des salariés – qui sont modifiés par le budget déposé mardi par le ministre des Finances, Eric Girard.

Ces mesures d’aide, considérées comme parmi les plus généreuses offertes par Québec, ont coûté environ 850 millions à l’État l’an dernier. L’annonce pourrait donner un aperçu du sort qui attend plusieurs autres mesures, qui seront passées au peigne fin par le gouvernement Legault à compter du printemps. Il révisera l’ensemble de ses dépenses pour renouer avec l’équilibre budgétaire.

Ces crédits ont été créés lorsque le taux de chômage était d’environ 10 % au Québec et nous sommes [maintenant] près du plein emploi.

Eric Girard, ministre des Finances

« La plupart des experts qui se sont intéressés à cette question ont dit que ces crédits devaient évoluer », a affirmé le ministre Girard, en conférence de presse.

Québec mise sur la portion non remboursable des deux crédits d’impôt – où il faut payer de l’impôt en territoire québécois pour y avoir droit – pour donner son tour de vis. Cette modalité s’appliquera dorénavant au CTMM, tandis que le plafond sera relevé pour le CDAE.

« Les entreprises, pour être en mesure de bénéficier de la mesure non remboursable, devront changer leur comportement et payer des impôts au Québec pour obtenir la portion non remboursable des crédits d’impôt », explique Stéphane Leblanc, associé en fiscalité chez EY.

Celui-ci souligne qu’Ottawa bénéficiera également des changements prévus par le gouvernement Legault. Si les entreprises déclarent davantage de profits au Québec, le fisc canadien pourra également percevoir des impôts.

Très généreux

Des voix se sont élevées, ces dernières années, pour remettre en question la générosité de ces crédits d’impôt en dépit de la forte concurrence dans les secteurs des TI et de la production multimédia dans le monde.

La Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke s’était notamment penchée sur le cas du CDAE dans une étude dont les résultats ont été publiés en février dernier. Son constat : sur les 702 entreprises admissibles à la mesure en 2019, seulement quatre avaient payé des impôts.

À terme, Québec estime que son tour de vis lui permettra de récupérer annuellement 365 millions. Il y aura inévitablement des répercussions négatives dans certaines entreprises, reconnaît-on au sein du gouvernement, mais avec plus de 3000 postes vacants dans le secteur des TI, il y a de la marge de manœuvre pour absorber des réductions d’effectif qui pourraient survenir.

« Il y a une partie du secteur qui va grogner parce que le gouvernement avait une approche généreuse avec toute la partie remboursable des crédits d’impôt », affirme le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), Michel Leblanc. « Mais on opte pour une stratégie où l’on récompense la génération de bénéfices et de revenus fiscaux. C’est donc logique. »

La Guilde du jeu vidéo du Québec n’a pas tardé à manifester son inquiétude. En soirée, mardi, l’organisation a demandé au gouvernement Legault de « rencontrer l’industrie afin d’être sensibilisé aux impacts de sa décision ».

Environ 85 % des studios sont à « propriété québécoise », affirme la Guilde.

« En maintenant ces modifications, le grand gagnant ne serait pas le Québec ni les entreprises d’ici, mais plutôt les provinces voisines, ou encore des juridictions telles l’Australie et les pays d’Europe qui se mobilisent actuellement pour attirer des studios », souligne-t-elle.

Ubisoft, qui compte quelque 4500 employés au Québec dans ses studios de Montréal, Québec, Chicoutimi et Sherbrooke, n’a pas commenté dans l’immédiat.

Le budget Girard retire également les plafonds des salaires admissibles pour le CTMM (100 000 $) ainsi que le CDAE (83 333 $). Par exemple, cela signifie que des entreprises qui recrutent des employés dont le salaire annuel est de 150 000 $ pourront bénéficier des avantages des crédits d’impôt sur une plus grande portion du salaire admissible.

Pour un programmeur de jeu vidéo qui touche un revenu annuel de 100 000 $, le taux effectif de l’aide fiscale serait de 41,4 % au Québec au terme des changements prévus par le budget Girard, comparativement à 40 % en Ontario.

Grande révision

Ces modifications au CTMM et au CDAE s’ajoutent à la fin d’une autre mesure d’aide – le rabais d’électricité pour les grands projets industriels – annoncée lors de la mise à jour automnale. Alors que le gouvernement Legault a du pain sur la planche pour mettre fin aux déficits, le temps est venu de s’interroger sur ce qui est en place, affirme M. Girard.

« On va regarder pourquoi ces mesures ont été créées, dit-il. Quelle est l’efficacité aujourd’hui ? Est-ce que c’est toujours nécessaire ? »

Dans le milieu des affaires, des organisations comme la CCMM et Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) estiment qu’il est « sain » de mesurer l’efficacité des outils en place. L’approche doit être « cohérente », prévient la présidente-directrice générale de MEQ, Véronique Proulx.

« Il faut s’assurer que la révision soit cohérente et qu’elle rejoigne les objectifs du gouvernement visant à améliorer la productivité, par exemple », dit-elle.

En savoir plus
  • 37,5 %
    Taux maximum applicable au CTMM
    Source : gouvernement du Québec
    30 %
    Plafond du CDAE
    Source : gouvernement du Québec