Le Groupe Juste pour rire (JPR) a perdu des millions de dollars l’an dernier en présentant un festival d’humour à Londres ainsi que son grand rendez-vous estival dans la métropole même en sachant que l’évènement – qui a obtenu 3,3 millions de subventions gouvernementales – se solderait par un déficit important. Tout s’est écroulé l’an dernier pour ce géant de l’humour maintenant insolvable.

L’histoire jusqu’ici

  • Octobre 2017 : Gilbert Rozon est accusé d’inconduites sexuelles par une dizaine de femmes. Il est acquitté en décembre 2020.
  • Mars 2018 : ICM Partners – qui appartient maintenant à Creative Artists Agency – achète Juste pour rire.
  • Mai 2018 : Bell (26 %) et le Groupe CH (25 %) deviennent actionnaires.
  • 5 mars 2024 : JPR se place à l’abri de ses créanciers et sabre 70 % de son effectif, soit 75 postes. Le festival Juste pour rire/Just For Laughs est annulé.

C’est ce qui ressort du rapport rédigé par le contrôleur Christian Bourque, de la firme PwC, qui supervise la restructuration judiciaire du groupe, qui s’est placé à l’abri de ses créanciers le 5 mars dernier en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.

Le document lève le voile sur les finances de JPR, présente dans des créneaux comme l’organisation de festival et la production télévisuelle, en plus d’identifier une série d’évènements et de décisions d’affaires ayant précipité sa chute. La perte nette s’est élevée à 8 millions en 2023, tandis que ses revenus étaient d’environ 28,5 millions.

D’une ampleur comparable aux éditions d’avant la pandémie, le festival Juste pour rire qui s’est tenu en juillet dernier – et qui a coïncidé avec la fin des traditionnels galas – a fait perdre 2 millions à l’entreprise.

« Cette décision fut prise en considération de l’édition 2022 du festival qui n’avait pas été satisfaisante aux yeux des différents commanditaires, écrit M. Bourque. Le groupe a pris cette décision en sachant qu’une perte en résulterait et qu’il s’agissait d’une décision stratégique. »

Quelques mois auparavant, en avril 2023, le groupe engloutissait 800 000 $ dans un festival d’humour à Londres, au Royaume-Uni, organisé en partenariat avec la division européenne du géant américain du divertissement AEG Worldwide. Selon PwC, les investissements, qui ne sont pas chiffrés, étaient « importants » et la vente de billets s’est avérée « en deçà » des attentes. Ces deux évènements ont été beaucoup plus coûteux à organiser dans le contexte inflationniste d’après la pandémie.

Il n’a pas été possible de s’entretenir avec JPR, jeudi. Patrick Rozon, chef de la direction de la création, n’a pas répondu à un message envoyé par La Presse. La firme de relations publiques National, qui représente le groupe, n’avait pas fait de commentaire au moment où nous écrivions ces lignes.

D’autres coups durs

Parallèlement à ces décisions d’affaires, trois autres évènements ont grandement fragilisé les finances de JPR – propriété de Bell, du Groupe CH et de Creative Artists Agency. Les revenus audiovisuels et de distribution ont plongé d’au moins 35 % après des modifications décrétées par Facebook et YouTube sur leurs plateformes respectives, souligne PwC. Ces changements favorisaient la présentation de vidéos en format court (reels), alors que le contenu du spécialiste québécois de l’humour est axé sur les plus longs formats.

« Cette source de revenus, qui générait de 3,5 à 4 millions de [bénéfices par année], a été significativement affaiblie », souligne M. Bourque.

De leur côté, les recettes générées par les licences des Gags ont été amputées de 550 000 $ quand le Groupe TVA a décidé de ne pas acheter la 24e saison de cette série. Finalement, les ventes de billets de la comédie musicale Hair ont été « significativement inférieures aux attentes », ce qui a entraîné d’autres pertes notables, selon le contrôleur, qui ne les chiffre pas.

En déposant son bilan, la semaine dernière, JPR avait justifié sa décision par les interruptions pandémiques, les pressions inflationnistes et les difficultés dans l’industrie des médias. L’organisation avait néanmoins été en mesure d’engranger un bénéfice de 1,2 million en 2022.

Selon la mise à jour de PwC, les créances de JPR s’élevaient à 49 millions en date du 31 octobre dernier. Comme l’a révélé La Presse la semaine dernière, l’ex-président et fondateur Gilbert Rozon attend toujours une somme de 15,6 millions. Il s’agit d’une balance de paiement découlant de la vente de l’entreprise pour 65 millions en 2018. Rien ne garantit que l’homme d’affaires déchu récupérera cet argent.

Au moment de se placer à l’abri de ses créanciers, l’entreprise était en situation de défaillance envers la Banque Nationale, son principal créancier garanti. L’automne dernier, il ne restait que 865 000 $ dans les coffres de JPR. Un financement intérimaire de 1,8 million, qui sera accordé par la Banque Nationale, est nécessaire pour assurer la poursuite des activités pendant encore quelques mois.

Enchères rapides

Dans son rapport, M. Bourque fait part de son intention de demander à la Cour supérieure du Québec que les procédures se déroulent désormais en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Cela permettra de regrouper les différentes entités de JPR à l’abri de leurs créanciers pour faciliter le processus de sollicitation d’investissement et de vente, ce qui signifie que l’organisation pourrait être vendue en un seul morceau ou en pièces détachées.

Selon l’échéancier figurant dans le rapport de M. Bourque, le sort de JPR pourrait être scellé dans la semaine du 13 mai prochain. C’est à ce moment que les offres retenues pour le groupe ou certains de ses actifs doivent être finalisées.

Ce vendredi, PwC doit donner le coup d’envoi au processus d’enchères. On s’attend à ce que les premières offres soient reçues au plus tard le 8 avril prochain – dans environ trois semaines.

Actionnaire minoritaire de ComediHa!, Québecor, qui avait négocié avec M. Rozon en 2017, n’a pas répondu à un courriel de La Presse visant à savoir si le conglomérat s’intéresserait de nouveau aux actifs de JPR. Fondateur du Festival du rire de Montreux et président de GF Production, Grégoire Furrer avait également montré de l’intérêt à l’endroit de l’entreprise québécoise lorsque son fondateur souhaitait s’en défaire. Maintenant installé au Québec avec le festival Exclam, M. Furrer semble avoir changé son fusil d’épaule.

« J’ai investi beaucoup d’argent pour m’installer au Québec, a-t-il indiqué, dans un entretien téléphonique avec La Presse. On a une marque qui est petite, qui n’a qu’un an, mais elle est à nous. On peut investir dans notre propriété ou reprendre une marque abîmée et réinvestir des millions pour la rendre à nouveau sexy. Il faudrait être fou pour ne pas choisir la première solution. »

En savoir plus
  • 1983
    Première présentation du festival Juste pour rire
    Source : juste pour rire