Si vous voulez votre vin plus vert, il ne sera peut-être pas servi dans une bouteille.

La consigne pour les bouteilles de vin arrive l’année prochaine au Québec. Malgré cette mesure, une production plus durable dans cette industrie passe inévitablement par des bouteilles de verre plus léger. Ou carrément par des emballages différents.

Pourrait-on retrouver des grands crus dans des viniers ?

Ce n’est pas demain la veille que vous allez retrouver des rouges du Bordelais ou de la Bourgogne dans un vinier. Parce que ces cuvées se conservent des années et que les boîtes à vin ne sont pas faites pour le vieillissement.

« Mais plus de 90 % des vins sont consommés dans la première semaine d’achat », dit la sommelière Michelle Bouffard, organisatrice du sommet Goûter aux changements climatiques qui se tenait à Montréal la semaine dernière, devant plus de 300 professionnels de cette industrie à la recherche de meilleures pratiques, de la vigne au verre.

Si, dès que l’on parle des dérèglements climatiques en viticulture, on pense aux effets du réchauffement pour les vignerons, il ne faut pas négliger de mesurer l’impact de la bouteille elle-même, dit-elle.

« Jusqu’à 40 % de l’empreinte carbone d’un vin est issue du conditionnement, donc de son emballage », explique Michelle Bouffard.

La solution pour diminuer cette empreinte passe par des bouteilles moins lourdes, mais aussi par plus de créativité et d’ouverture dans les contenants utilisés. Le hic, c’est qu’ils font face à des préjugés coriaces de la part des consommateurs.

« Qu’est-ce qu’on associe aux viniers ici ? », demande Michelle Bouffard, qui croit fermement que le vinier est encore synonyme de cuvée bas de gamme pour la majorité des Québécois. Et qu’il est plus que temps que cela change.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

« Si tout le monde s’y mettait, on pourrait commencer à voir des vins cools et qualitatifs dans des viniers, où il y a plein d’espace pour faire du marketing », estime Michelle Bouffard.

Combien pèse une bouteille de vin ?

La bouteille de verre pèse donc lourd dans la balance énergétique du vin. Il faut la produire et la transporter jusqu’au vignoble ; puis, jusqu’au détaillant. Qu’il soit dans le même pays ou à l’autre bout du monde.

Une bouteille de 750 millilitres moyenne classique pèse autour de 550 grammes. Mais les choses changent : au Québec, la SAQ a entrepris d’alléger le poids de ses bouteilles en 2012.

Selon la société d’État, aujourd’hui, 83 % de ses vins affichés en bas de 25 $ sont dans des bouteilles de verre léger – cela représente 40 % des bouteilles vendues à la SAQ.

Le premier défi de l’allégement de la bouteille n’est peut-être pas technique : on ne s’en sort pas, le verre léger peut sembler plus « cheap » aux yeux de certains producteurs et même de certains amateurs de cuvées prestigieuses.

« Convaincre des producteurs de grands crus d’embouteiller dans des bouteilles de verre léger ? Nous n’en sommes pas là », a déclaré Marie-Hélène Lagacé, vice-présidente des affaires publiques et des communications de la SAQ, qui participait au sommet sur le vin et les changements climatiques.

En plus des réserves basées sur la perception, il y a certains défis techniques.

Le champagne, par exemple, offre un défi de taille aux embouteilleurs, puisque sa pression peut atteindre de six à huit bars.

« On ne peut pas mettre la sécurité des gens en jeu », dit Pierre Naviaux, du service développement durable du comité interprofessionnel du vin de Champagne.

Les bouteilles ont tout de même eu droit à une réduction de poids : depuis 2011, la norme de l’industrie en Champagne est passée à 835 grammes alors qu’elle était de 900 grammes avant.

Quel est l’avenir des emballages alternatifs ?

« C’est vrai qu’il y a cette perception que les vins sont de moins bonne qualité », concède Jody Bogle, vice-présidente, relations avec les consommateurs, du groupe Bogle. Cette entreprise américaine présente certains de ses vins de la Californie dans des bouteilles d’aluminium dont le poids est de 80 grammes (vides).

Jody Bogle croit que cette perception est toutefois en train de changer, particulièrement chez les plus jeunes consommateurs, encore plus pour les amateurs de plein air qui apprécient le côté pratique des emballages alternatifs.

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Nolwenn Bénard, représentante aux ventes pour l’agence montréalaise Rézin, verse un rouge du Rhône qui boude la bouteille.

Le changement passe parfois par des chemins imprévus. En 2022, la région du Chianti s’est retrouvée avec trop de vin pour le nombre de bouteilles disponibles, relate le vigneron italien Frederico Cerelli.

Or, le chianti est protégé par une appellation qui précise qu’il doit être commercialisé en bouteille. Face à la situation, les autorités ont permis une dérogation, et les producteurs ont pu mettre leur vin en boîte et en poche, raconte le vigneron toscan, en entrevue, au sommet. « Les bars à vins servaient déjà le chianti au verre », raconte-t-il. Pour le consommateur, cela ne faisait aucune différence. Et n’en fait toujours pas, puisque la dérogation est toujours permise.

La multiplication des emballages plus durables est une excellente chose, à condition qu’on évalue le cycle de vie du produit, met en garde Barry Dick, de la chaîne de supermarchés britannique Waitrose.

Si on présente de fausses bonnes idées, notamment en offrant des emballages plus légers, mais difficilement ou non recyclables, cela ne va qu’alimenter la confusion et le scepticisme, dit-il.

Waitrose fait partie des signataires d’un accord international (Bottle Weight Accord) visant la réduction du poids des bouteilles à 420 grammes d’ici 2026. La chaîne américaine Whole Foods a aussi signé l’accord.

Barry Dick est un spécialiste de l’importation de vin en vrac. C’est aussi une façon de faire qui fait partie des options à privilégier, dit-il.

La quantité de vin vendu en vrac dans le monde est en augmentation, l’Espagne étant le plus grand exportateur de vin en vrac, suivie de l’Italie et de l’Australie.

La SAQ n’embouteille pas de vin, mais est très favorable au vin en vrac, a fait savoir sa représentante, Marie-Hélène Lagacé, lors du sommet. « C’est vraiment une option à considérer », selon elle.

Et si on veut offrir cette option et changer les perceptions des consommateurs, les cuvées embouteillées ici devraient l’afficher très fièrement sur leur bouteille, estime Marie-Hélène Lagacé.

Avant de recycler, ne vaut-il pas mieux réutiliser ?

La consigne des bouteilles de vin débute en mars 2025 au Québec. Il sera alors possible de rapporter ses bouteilles dans tous les points de dépôt autorisés – et pas seulement à la SAQ où l’on s’est procuré son Barolo.

« Ça veut dire que nous aurons l’obligation de recycler toutes ces 300 millions de bouteilles de vin que nous mettons en marché chaque année », explique Marie-Hélène Lagacé, vice-présidente des affaires publiques et des communications de la SAQ. D’après elle, la meilleure chose à faire serait de briser ce verre récupéré et d’en faire de nouvelles bouteilles localement, qui seront ensuite remplies ici.

Ce qui ne se fera pas sans défis, notamment puisque notre capacité à fabriquer des bouteilles est limitée.

Mais avant de penser à refaire des bouteilles, on devrait plutôt les réutiliser, insiste Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre.

Si l’industrie veut se distinguer, elle a beau jeu de le faire sur une bouteille uniforme, plutôt que de lancer de nouveaux emballages. « C’est la solution que l’on devrait prioriser, dit-elle, la mise en marché de contenants réutilisables et standardisés. »

Ça serait une belle option pour le vin local ou le vin embouteillé ici, dit Amélie Côté. Quitte à adopter des mesures d’écofiscalité pour inciter les producteurs et importateurs à aller vers cette option.

« Mais la tendance, concède-t-elle, est malheureusement à la diversification des contenants. »

C’est aussi le cas dans la bière : en 2009, 83 % des bières embouteillées au Québec l’étaient dans des contenants réutilisables en verre. En 2022, ça avait chuté à 15 %, relate Amélie Côté.

« On oublie que le verre est fait à partir de sable. Ça devient une ressource très exploitée et qui a certaines limites. »

En savoir plus
  • Les viniers
    La SAQ propose entre 36 à 40 viniers, selon la disponibilité. Cette catégorie est stable depuis 2017, en nombre de produits offerts. Il y aura probablement plus de viniers sur les tablettes lorsque le contenant sera recyclable, nous dit la SAQ.
    SAQ
    6000 tonnes
    En 2022-2023, la société d’État estime une réduction de plus de 6000 tonnes de GES associée à l’allégement du verre pour ses bouteilles de vin.
    SAQ