Boire mieux, c’est le titre d’une bible de la mixologie sobre (et à demi) que Patrice Plante a publiée en septembre dernier. Cuisinier de formation, mixologue et fondateur de l’entreprise Monsieur Cocktail et de la gamme de spiritueux sans alcool NOA, Patrice Plante nous invite à une remise en question. Celle de la place qu’occupe l’alcool dans nos vies et de notre regard sur ce qui constitue une consommation normale ou acceptable.

Après une dizaine d’années passées dans un milieu imprégné par les effluves d’éthanol et le bruit des shakers, le mixologue a entamé une réflexion sur son propre rapport à l’alcool après avoir reçu un diagnostic d’hypertension il y a quatre ans. « Pour moi, ce n’était pas un problème de consommation, c’était plus que l’alcool occupait beaucoup de place dans ma vie vu ma profession. J’ai fait un livre sur les gins, beaucoup de dégustations. Je me suis demandé : est-ce que je pourrais trouver une façon créative, agréable, de boire de façon plus équilibrée ? »

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Patrice Plante a multiplié les tests pour proposer des cocktails légers ou sans alcool qui ne tenteraient pas d’imiter les classiques.

L’apparition d’une sélection de cocktails, de bières, de vins et de spiritueux sans alcool sur la carte de nombreux bars et restaurants et sur les tablettes des magasins témoigne de l’engouement pour la sobriété.

En France, un néologisme a même été créé par le sommelier parisien Benoit d’Onofrio pour désigner son métier, soit celui de proposer des accords mets et boissons sans alcool : « sobrelier ».

Sans opter pour la sobriété tous azimuts, plusieurs mixologues et sommeliers repensent leur relation à l’alcool. Au bar Les Cousins de l’hôtel Escad Quartier DIX30, à Brossard, une partie de l’équipe participera de nouveau cette année au Défi 28 jours sans alcool de la Fondation Jean-Lapointe, tout en mettant de l’avant pendant tout le mois de février sa carte de cocktails sans alcool. « On travaille dans un bar, alors on est habitués un peu de fêter, souligne le mixologue Maxim Béland, chef de la restauration de l’établissement. On sait que ce n’est pas un truc qu’il faut faire à long terme. Des mois comme celui-là, ça fait du bien à tout le monde. »

Sans alcool, sans compromis

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Maxim Béland, chef de la restauration de l’hôtel Escad Quartier DIX30

Cette prise de conscience des travailleurs de l’industrie, couplée à une explosion de l’offre de spiritueux non alcoolisés, de sirops et de tonics, a amené à un raffinement des propositions de cocktails légers ou sans alcool. Mais comment se priver de cet important ingrédient ou en diminuer la quantité sans faire de compromis sur le goût et la texture ? Pour Patrice Plante, le défi a été tel que la sortie de son livre, qui inclut 180 recettes de cocktails, a été repoussée d’un an. Car il ne suffit pas de remplacer un gin et un vermouth par leur version non alcoolisée pour obtenir un Negroni satisfaisant.

Un bon cocktail, une bonne consommation, c’est d’abord une question de goût. Il faut que ça ait du panache, que ce soit dans un beau verre, que ça nous rappelle les mêmes saveurs, la même amertume.

Patrice Plante

Or, l’alcool possède la propriété de retenir les saveurs, donc d’amplifier la puissance aromatique d’un cocktail et de voir sa texture rehaussée, en devenant plus sirupeuse au contact de la glace. Pour pallier cette absence de texture dans un cocktail non alcoolisé, Patrice Plante utilise notamment la technique de la clarification au lait, un procédé a priori laborieux, dont l’exécution s’étale sur de 24 à 48 heures, utilisé pour créer des cocktails transparents.

Mais c’est la texture beurrée que permet d’obtenir ce procédé qui intéresse le mixologue. Pour rendre cette technique accessible, il l’a simplifiée à l’extrême de sorte qu’elle puisse être réalisée à la maison en une quinzaine de minutes. Il a fait de nombreux autres essais, certains moins concluants, comme un bouillon concentré de bananes brûlées, de maïs soufflé et de beurre pour recréer la texture du whisky.

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Créer un cocktail sans alcool demande une bonne dose de créativité.

Pour celui qui a une formation en cuisine, expérimenter ainsi est l’occasion de s’amuser. Maxim Béland est d’accord : « On ne parle plus de mélanger du sirop avec du jus et de la glace. Maintenant qu’on a de vrais produits à travailler, c’est super le fun. C’est la même chose que créer un cocktail avec alcool, tu fais des tests de goût et tu travailles sur ça. Ce n’est plus un fardeau. » Au bar Les Cousins, l’équipe se tourne notamment vers les infusions. « Nous avions un amaretto sans alcool qui goûtait bon, mais il manquait quelque chose. Une infusion avec du café lui a donné une petite amertume, un bon goût de café qui va super bien avec la noisette. »

Légèreté à la carte

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Patrice Plante

Pour Patrice Plante, boire mieux, c’est aussi boire moins en réduisant le taux d’alcool contenu dans une consommation. Certains cocktails classiques comme le martini sec, le cosmopolitain et le margarita peuvent contenir un taux d’alcool jusqu’à deux fois supérieur à celui d’une consommation standard (environ 17 ml d’alcool pur par portion). Il revisite donc les grands classiques en proposant des versions plus légères en alcool qui correspondent à au plus 75 % d’une consommation standard. Il propose également des recettes originales contenant entre 15 % et 75 % d’une consommation standard. Une stratégie simple pour réduire la quantité d’alcool dans un cocktail est de remplacer une partie du spiritueux de base par sa contrepartie sans alcool et d’utiliser un sirop riche ou de la confiture pour obtenir une texture veloutée.

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Le Pear Tree (vin blanc, poire, sauge, amaro, vinaigre de champagne, tonic), un cocktail à faible teneur en alcool servi au bar Bisou Bisou, dans le Vieux-Montréal.

Les cocktails légers en alcool, aussi appelés « low ABV » (low alcohol by volume), gagnent en popularité, particulièrement aux États-Unis. À Montréal, le bar Bisou Bisou, ouvert l’été dernier, mise sur l’apéro et sur les cocktails à faible teneur en alcool, voire sans alcool. « C’est un concept plus récent à Montréal, les gens sont encore en train de l’adopter, déclare Grace Honsberger-Grant, gérante de l’établissement. Mais après la pandémie, beaucoup de personnes sont devenues plus soucieuses de leur consommation d’alcool. Je pense que ce concept va devenir de plus en plus populaire. Au cours des deux ou trois dernières années, on a vu beaucoup de bars basés sur l’aperitivo ouvrir dans le monde. »

On retrouve ainsi plusieurs spiritueux à faible teneur en alcool sur la carte du Bisou Bisou, notamment des sherry (xérès), des vermouth et des vins fortifiés. « Nous voulions que les gens qui souhaitent quelque chose de léger en alcool ou sans alcool puissent avoir des options intéressantes, de grande qualité, fabriquées avec des produits frais, note Grace Honsberger-Grant. C’est un excellent moyen d’élargir son répertoire et je pense que cela fait de vous un meilleur barman et un meilleur serveur si vous pouvez recommander quelque chose qui est un peu différent. »

Consultez le site du bar Les Cousins Consultez le site du Bisou Bisou
Boire mieux

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Les Éditions La Presse

300 pages

En savoir plus
  • « Mocktail » ou cocktail ?
    Plusieurs bars et restaurants utilisent l’appellation « mocktails » pour désigner les cocktails sans alcool. Parce que la racine du mot signifie littéralement « imiter un cocktail », Patrice Plante préfère parler de « cocktails sans alcool ». C’est d’ailleurs le terme recommandé par l’Office québécois de la langue française qui précise que « mocktail » est un emprunt intégral à l’anglais et ne s’intègre pas au système linguistique français.