Ottawa étudie un partage des commandes chez Bombardier et Boeing pour remplacer ses avions militaires de surveillance vieillissants, a appris La Presse. Le scénario, qui est à l’étude, permettrait d’apaiser les tensions dans un dossier qui a pris une tournure politique.

« C’est une proposition qui est à l’étude, indique une source gouvernementale bien au fait du dossier qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à s’exprimer publiquement. Ça pourrait être le début d’une solution. »

Le ministère de la Défense n’est pas chaud à l’idée d’acheter des avions de surveillance de Bombardier – des jets privés qui sont convertis à des fins militaires. Il préfère jeter son dévolu sur le Poseidon P-8A de Boeing, appareil qui s’apparente à la famille d’avions 737.

Mais en écartant Bombardier, le gouvernement canadien est conscient qu’il pourrait nuire aux chances de l’avionneur québécois – qui souhaite accroître son exposition au secteur de la défense – ailleurs dans le monde. C’est du moins un scénario qui circule dans les coulisses du pouvoir à Ottawa, selon des informations obtenues par La Presse.

« Ça serait étrange que l’on soit capable de vendre ce produit à d’autres pays sans avoir été considéré dans notre propre pays », avait affirmé le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, le 29 mars dernier, en marge d’une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. « Oui, ça pourrait nous nuire. »

Le gouvernement Trudeau pourrait opter pour le compromis en achetant dix Poseidon P-8A et cinq appareils construits par la multinationale québécoise. En coulisses, on explique que ce scénario permettrait d’abord d’acheter les avions de Boeing et ensuite de Bombardier. Cela lui donnerait du temps pour perfectionner son avion de surveillance, notamment au chapitre de l’armement.

Le ministère de la Défense doit remplacer d’ici la fin de 2030 les 14 CP-140 Aurora vieillissants de l’Aviation royale canadienne (ARC). Le Ministère soutient que le P-8A est le seul avion qui pourrait répondre aux exigences canadiennes. Le contrat potentiel est évalué à 9 milliards de dollars.

Bombardier s’interroge sur la démarche d’Ottawa et demande une chance de soumissionner en vertu d’un appel d’offres. Aux Communes, les trois partis de l’opposition sont du même avis depuis que La Presse a révélé que l’avion de Boeing a connu des ratés ces dernières années en demeurant trop longtemps à l’atelier, selon un rapport du gouvernement américain.

Avec des risques

Le scénario étudié par Ottawa déplaît à Pierre Rochefort, chef de la direction de la firme Cirrus Research Associates. Cet ex-commandant d’un escadron de chasseurs F-18 au sein de l’Aviation royale canadienne estime notamment que cela serait coûteux, en plus de présenter des « problèmes logistiques importants ».

« Il y aurait des défis pour l’entraînement et la formation puisqu’il faudrait former des équipes pour chacune des plateformes, explique l’expert. En matière de maintenance et de soutien logistique, ça sera la même chose. Ce n’est vraiment pas l’idéal. »

Même si le remplacement des CP-140 Aurora prend une tournure politique, M. Rochefort estime néanmoins que des éléments plaident en faveur de Boeing. Premièrement, des pays alliés comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Allemagne ont commandé ou exploitent des Poseidon P-8A. Il y a donc un avantage à acheter l’avion permettant de s’harmoniser, selon l’ancien pilote de chasse.

IMAGE FOURNIE PAR BOMBARDIER

Maquette de jet privé Global de Bombardier converti pour l’armée

L’autre argument qui joue en faveur de l’avion de Boeing, selon M. Rochefort : la capacité de Bombardier à adapter ses avions Global pour transporter des torpilles anti-sous-marines – ce que le P-8A peut faire.

« Un Global va coûter aussi cher qu’un Poseidon avec toutes les modifications qu’il faudra apporter, dit-il. L’avion de Bombardier est assemblé ici [au Canada], mais la conversion militaire se fait aux États-Unis. Environ 90 % des coûts seront les systèmes qu’on installe dans l’avion, pas l’appareil lui-même. »

Peu importe l’appareil acheté, la question des retombées économiques semble être au cœur des préoccupations du gouvernement Trudeau.

La question a même été soulevée l’automne dernier auprès du géant américain, révèle un document obtenu par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

Il s’agit d’une note préparée dans le cadre d’une rencontre entre le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, et le président de Boeing International, Michael Arthur.

« Vous avez indiqué que Boeing s’engageait à bonifier les services de soutien, de formation et de simulation avec son équipe Poseidon, peut-on lire. Les partenaires canadiens auraient-ils la possibilité d’exporter ces services à d’autres exploitants du P-8A ? »

Dans le cadre de sa proposition canadienne, Boeing s’est allié à des entreprises comme CAE, GE Aviation Canada ainsi que Raytheon Technologies, conglomérat propriétaire de Pratt & Whitney Canada. Le mois dernier, l’avionneur américain a par ailleurs élargi son partenariat avec CAE pour offrir de la formation aux exploitants du P-8A en Allemagne ainsi qu’en Norvège.

Standard & Poor’s a de bons mots pour Bombardier

Pour la deuxième fois en deux mois, Bombardier a vu sa cote de crédit être rehaussée par l’une des principales agences de notation. Standard & Poor’s vient de faire passer la note de l’avionneur à B, alors qu’elle était auparavant de B-. Une amélioration de la cote de crédit se traduit généralement par une baisse des coûts d’emprunt pour les entreprises. « Bombardier a dépassé ses – et nos – objectifs en matière de revenus, de bénéfices, de liquidités disponibles et de remboursement de sa dette en 2022 », souligne Standard & Poor’s, dans son analyse. L’agence new-yorkaise considère toujours Bombardier comme un investissement spéculatif, mais estime que sa situation financière est sur une trajectoire intéressante. Le mois dernier, Moody’s avait également relevé la cote de crédit de la multinationale québécoise. En dépit de ces récents progrès, Bombardier doit encore franchir quelques étapes avant d’obtenir l’étiquette d’investissement de qualité (investment grade).

En savoir plus
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    Nombre d’appareils construits par Bombardier appartenant au gouvernement canadien. Il s’agit de Challenger 650 et de Challenger 604.
    Source : bombardier