La circulation des marchandises est entravée par les niveaux d’eau les plus bas en une décennie sur le Saint-Laurent. Un régime minceur est imposé aux porte-conteneurs et autres navires, ce qui fera grimper le prix des boîtes métalliques, en plus de gruger les revenus d’autres armateurs.

« C’est une année vraiment en deçà de la moyenne, affirme Frank Seglenieks, coprésident du Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent (CILO-FSL). Nous gardons un œil sur le niveau de l’eau dans certains ports et d’autres endroits qui sont affectés. »

La raison ? Le temps sec du printemps et de l’été. Cela a empêché la Voie maritime du Saint-Laurent, cette route commerciale mondiale qui relie la région des Grands Lacs, de retrouver un niveau jugé plus habituel. En moyenne, les seuils sont inférieurs de 40 à 50 centimètres dans certains emplacements, souligne M. Seglenieks.

Cela a un impact direct sur le tirant d’eau, la partie immergée d’un bateau qui varie en fonction de la charge transportée. Puisque cet indicateur est révisé à la baisse, les cargaisons des navires sont moins lourdes. L’un des principaux acteurs du transport maritime dans le monde, Hapag-Lloyd, refilera la facture à ses clients.

Dès mardi prochain, et jusqu’à « nouvel ordre », une surcharge de 150 $US sera imposée pour un conteneur « équivalent vingt pieds » qui transite par le port de Montréal. Le tarif doublera pour un « équivalent quarante pieds ». Ces frais varient aussi en fonction des trajets empruntés par les navires.

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Par endroits, le niveau du Saint-Laurent n’a jamais été aussi bas en 10 ans.

« Les niveaux d’eau du fleuve Saint-Laurent ont considérablement diminué et les dernières prévisions de la Garde côtière canadienne annoncent de nouvelles baisses », explique la multinationale, dans un avis récemment transmis à sa clientèle.

Il y a toutefois un prix de consolation pour les exportateurs et importateurs : le prix d’une boîte métallique est d’environ 3145 $US selon l’index World Container, le baromètre international en la matière. C’est 70 % de moins par rapport à la moyenne de 10 377 $US observée en septembre 2021.

Ces frais supplémentaires décrétés par les transporteurs maritimes sont fréquents dans l’industrie, mais cette année, ils sont imposés alors que le Conseil n’a pas observé des niveaux aussi bas depuis 2012. Les constats de l’organisme chargé de veiller sur le débit du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent surviennent aussi quelques semaines seulement après la publication du rapport d’un groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement qui concluait que celle-ci approchait de son point de rupture.

Il n’y a pas que dans le Saint-Laurent que l’eau baisse. Au sud de la frontière, le seuil du Mississippi a récemment atteint un creux historique, ce qui fait aussi grimper les coûts du transport maritime sur cette artère fluviale névralgique. La même situation a été observée en Europe (le Rhin) ainsi qu’en Chine (le Yangtsé).

Un œil attentif

L’Administration portuaire de Montréal (APM) dit surveiller le Saint-Laurent de « très près », mais il n’y a pas lieu de sonner l’alarme, affirme sa directrice des communications, Renée Larouche.

« Nous sommes dans la moyenne basse, dit-elle. On aimerait mieux que ça soit un peu plus haut, mais nous ne sommes pas encore dans une situation où nous sommes inquiets. »

Dans le fleuve, entre Montréal et Québec, la colonne d’eau disponible est idéalement maintenue à 11,3 m et plus. Un niveau d’eau qui se rapproche de ce seuil contraint entre autres les transporteurs maritimes à s’adapter, notamment en acheminant moins de marchandises sur chaque navire. Jeudi, le niveau moyen sur 30 jours était de 11,67 m. Il y a toutefois plusieurs emprises pour mesurer le niveau d’eau du fleuve, affirme Mme Larouche.

Chez les armateurs qui empruntent les Grands Lacs, le tirant d’eau permis est réduit depuis lundi entre Montréal et le lac Ontario. Certaines entreprises sont donc contraintes de réduire la quantité de marchandises dans leurs navires. C’est notamment le cas du Groupe Desgagné, dont la flotte sillonne notamment le réseau Grands Lacs-Voie maritime du Saint-Laurent.

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Des navires du Groupe Desgagné ne sont pas exploités au maximum de leur capacité en raison de la baisse du niveau d’eau dans le Saint-Laurent.

« Avec un problème de tirant d’eau, on peut moins charger, et c’est donc moins de revenus, souligne le vice-président directeur aux opérations et projets spéciaux, Claude Dumais. Un navire de 14 500 tonnes, s’il doit laisser 500 tonnes sur les quais, la capacité n’est pas exploitée au maximum, mais les coûts d’exploitation restent les mêmes pour nous. »

Les fluctuations des niveaux d’eau sont « cycliques », souligne M. Dumais, avant d’ajouter que le phénomène est « plus prononcé » en 2022.

Après avoir effectué un coup de sonde auprès de ses membres, Louise Bédard, directrice générale d’Armateurs du Saint-Laurent, affirme que les répercussions semblent limitées pour le moment. Le portrait pourrait toutefois changer si les précipitations sont rares.

Il faudra plusieurs semaines avant de voir la situation se résorber sur le Saint-Laurent. Selon un récent bulletin de la Voie maritime du Saint-Laurent, « les faibles niveaux d’eau sont prévus jusqu’à la fin novembre ».

En savoir plus
  • 40 millions tonnes
    Poids total des marchandises qui ont voyagé par la Voie maritime du Saint-Laurent l’an dernier
    Voie maritime du Saint-Laurent
    15
    Nombre d’écluses à franchir pour passer du fleuve au lac Érié
    Voie maritime du Saint-Laurent