Après avoir lu bien des trucs sur ce qui arrivera en 2020, voici notre série de cinq idées – radicales aux yeux de certains – qui ne se concrétiseront pas… du moins pas cette année. Mais il peut être bon d’en débattre.

L’idée

Toute personne devrait pouvoir vivre avec un revenu minimal qui lui est garanti par la société (ex. : 1000 $ par mois). Au contraire des programmes actuels d’aide sociale ou d’assurance-emploi, le gouvernement accorde ce montant sans aucune contrainte (ex. : pas besoin de prouver qu’on cherche un emploi). Ce montant est le même, peu importe si la personne est en couple ou non, ou si elle a des actifs ou non.

La situation actuelle

Il n’y a pas de revenu minimum garanti (RMG) de façon générale au Québec ni dans aucun des pays de l’OCDE. En Alaska, chaque résidant reçoit une part des revenus du pétrole générés par cet état américain, soit 1600 $US par personne en 2019.

À compter de 2022, environ 85 000 Québécois handicapés avec de sévères contraintes à l’emploi auront droit à une forme de RMG, qui passera de 12 000 $ à environ 18 000 $ par an. Le montant ne sera pas diminué si une personne admissible a des actifs ou forme un couple.

En 2017, les gouvernements de l’Ontario et de la Finlande ont fait des projets pilotes sur le RMG. La conclusion en Finlande : il n’y a pas d’effet direct sur le retour sur le marché du travail, mais les gens étaient moins stressés.

Le débat

« L’aide sociale est un programme d’une autre époque, qui ne répond plus à nos besoins comme auparavant », dit l’ancien ministre libéral François Blais, qui s’intéresse au concept du revenu minimum garanti depuis des décennies comme chercheur universitaire. (M. Blais a publié en 2001 une étude sur le RMG avec un autre futur politicien : Jean-Yves Duclos, aujourd’hui ministre du gouvernement Trudeau à Ottawa.)

Si le Québec instaurait un RMG, il remplacerait probablement le programme d’aide sociale, qui coûte environ 3 milliards par an. La grande différence entre les deux systèmes : on réduit l’aide sociale si la personne gagne un revenu de travail (sauf une exemption pour les premiers 200 $ par mois de revenu de travail), alors que le RGM est accordé sans aucune condition.

« C’est le plus grand défaut [de l’aide sociale], qui piège les gens dans la pauvreté, dit François Blais, professeur en sciences politiques à l’Université Laval et ancien ministre de l’Emploi de la Solidarité sociale dans le gouvernement Couillard. Vous devez vous appauvrir pour y avoir droit. Si vous perdez votre travail, vous devez vous départir d’une partie de vos actifs [ex. : maison, REER] pour avoir droit [à l’aide sociale]. »

Une autre différence importante : l’aide sociale varie selon son statut conjugal, alors qu’un RMG est généralement donné à chaque personne de façon individuelle, peu importe son statut conjugal.

Aucun pays de l’OCDE n’accorde un RMG à l’ensemble de ses résidants. L’idée fait toutefois du chemin, que ce soit dans les milieux universitaires, chez les milliardaires de la Silicon Valley (Mark Zuckerberg, Elon Musk) ou sur le plan politique. Aux États-Unis, le candidat à l’investiture démocrate Andrew Yang propose un RMG de 1000 $US par mois pour chaque Américain. Selon Politico, il est sixième dans les sondages avec 4 % des intentions de vote. Au Canada, le NPD et le Parti vert proposaient un revenu minimum garanti lors de la dernière campagne électorale.

Si le RMG est une si bonne idée, pourquoi aucun pays n’en a-t-il instauré un ? À cause de la facture (énorme) d’un tel programme.

Faisons l’exercice au Québec avec trois types de RMG, chacun à 10 000 $ par an, qui seraient assumés par le gouvernement du Québec. À titre de comparaison, l’aide sociale accorde 8280 $ par an à un adulte célibataire. Le seuil de faible revenu au Québec est de 18 408 $ par an en 2019.

10 000 $ par an à tous les Québécois

Objectif  

Accorder 10 000 $ à tous les Québécois, peu importe leur niveau de revenu

Nombre de personnes admissibles

Environ 6,7 millions

Coût total (après impôts retournés à l’État) 

47 milliards/an (En fait, c’est 67 milliards de dollars, mais les gouvernements récupéreraient environ 20 milliards en impôts supplémentaires payés sur les montants de RMG.) C’est l’équivalent du budget de la santé et des services sociaux au Québec (45 milliards en 2019-2020). Pour vous donner une idée, Québec a perçu environ 91 milliards en revenus en 2019-2020. En comptant les transferts fédéraux de 25 milliards, le gouvernement du Québec a un budget annuel de 116 milliards.

Financement

Option A 

Hausser de 260 % les revenus de la TVQ (18 milliards/an), qui passerait de 10 % à 40 %

Option B 

Hausser de 150 % les revenus provenant des impôts des particuliers (33 milliards/an).

10 000 $ par an à tous les Québécois gagnant moins de 25 000 $

Objectif 

Aider davantage les Québécois les moins nantis

En pratique, il serait plus juste et efficace de réduire progressivement le RMG sur plusieurs milliers de dollars de revenu (ex. : entre 20 000 $ et 30 000 $), mais nous avons mis la barre à 25 000 $ pour simplifier les calculs.

Nombre de personnes admissibles

Environ 2,5 millions

Coût total (après impôts retournés à l’État) 

19 milliards/an

Financement

Option A

Doubler les revenus de la TVQ (18 milliards/an), qui passerait de 10 % à 20 %, et augmenter de 20 % les revenus des sociétés d’État (5 milliards/an)

Option B 

Augmenter de 224 % fois les revenus des impôts des entreprises (8,5 milliards/an)

10 000 $ par an à tous les Québécois gagnant moins de 35 000 $

Nombre de personnes admissibles

3,4 millions de Québécois

Coût total (après impôts retournés à l’État) 

27 milliards par an

Financement

Augmenter de 150 % les revenus de la TVQ (18 milliards/an), qui passerait de 10 % à 25 %

Québec ou Ottawa instaurera-t-il un jour un revenu minimum garanti pour tous les citoyens ou pour les citoyens sous un certain niveau de revenu ? François Blais suggère de commencer par des montants modestes. « Ce serait la réforme fiscale la plus importante depuis 40 ans, dit-il. Si vous la faites mal, vous pourriez faire beaucoup de perdants, même du côté des gens plus pauvres. Il faut y aller de façon progressive. L’enjeu, c’est la transition, et de commencer modestement. »

Les calculs économiques sont des estimations et ne tiennent pas compte des changements des comportements économiques des gens. Pour les fins de nos calculs, le gouvernement fédéral redonnerait au gouvernement du Québec les impôts fédéraux perçus sur la somme de 10 000 $ afin de payer une partie du RMG.

> Lisez Give People Money, de la journaliste Annie Lowrey (en anglais)

> Lisez Vive le travail libre, du journaliste Pierre Sormany