Récolter le bois brûlé compromet le processus naturel de régénération de ces forêts. En ajoutant les milliers d’hectares de jeunes forêts carbonisées cette année, tout un défi de reboisement attend le Québec. La Presse en a discuté avec deux experts.

(Senneterre) La forêt n’est-elle pas faite pour se régénérer par elle-même ?

Absolument, les forêts du Québec sont adaptées, particulièrement dans les régions propices aux incendies de forêt comme l’Abitibi et le Nord-du-Québec. Toutes sortes d’insectes, puis d’oiseaux et de petits mammifères sont attirés par les forêts brûlées. Les arbres tombés servent d’abris à la faune, et l’humus libère des nutriments, notamment.

Consultez le document « La récolte dans les forêts brûlées »

« Le bois brûlé a une importance écologique, donc quand on récolte une forêt, on doit garder une partie du bois brûlé, soit 15 % à l’échelle du feu et 30 % à l’échelle de la région », détaille l’ingénieur forestier Jean-Pierre Jetté.

Les deux essences principales de ces forêts, soit le pin gris et l’épinette noire, ont même des graines entreposées dans des cônes qui ont besoin de chaleur pour s’activer, ajoute l’ingénieur forestier et biologiste Louis Bélanger.

Par contre, ces deux arbres ne produisent des graines qu’une fois à maturité. « Si le feu arrive trop tôt, par exemple si c’est une forêt de seulement 40 ans, là il y a un problème, parce que les cônes ne sont pas encore là », explique M. Bélanger.

Lisez le bédéreportage « Après le feu »

A-t-on beaucoup de jeunes forêts ?

Dans le secteur de Senneterre et de Lebel-sur-Quévillon, environ la moitié des incendies de cette année se sont produits dans des forêts en régénération, a indiqué Patrick Garneau, directeur des opérations forestières pour l’Abitibi et le Nord-du-Québec de Produits forestiers Résolu.

Seulement dans cette région, ce sont donc près de 500 000 hectares de forêt qui risquent de ne pas se régénérer par eux-mêmes. À titre comparatif, le gouvernement reboise annuellement environ 75 000 hectares de forêt. « Avec la saison de feux qu’on a, on va avoir un immense chantier de remise en production », observe Jean-Pierre Jetté.

Consultez le document « La récolte forestière ne cause pas de déforestation »

Qui plus est, l’industrie forestière récolte le bois brûlé dans les forêts matures. « Quand on récupère un feu, les arbres sur place n’ont pas eu le temps d’ensemencer, donc on compromet le processus naturel de régénération », renchérit M. Jetté.

Les efforts de reboisement devront donc viser à la fois les forêts jeunes et les forêts brûlées et récoltées. Selon M. Jetté, il faudrait que l’industrie forestière laisse environ 10 % des arbres dans les secteurs brûlés pour agir à titre de semenciers.

« Dans les années normales, ce n’est pas très grave, parce qu’on va aller reboiser. Mais dans une année comme celle-ci, est-ce qu’on peut se permettre de gaspiller du potentiel de régénération gratuit ? », se demande-t-il.

Quel est le plan pour le reboisement ?

Au Québec, les pratiques forestières visent à ce que 80 % du reboisement se fasse de façon naturelle, c’est-à-dire que la forêt se régénère par elle-même après le passage de l’industrie forestière ou d’un incendie.

À la suite de cette année record d’incendies de forêt, le ministère des Ressources naturelles et des Forêts a indiqué à La Presse travailler à « planifier la remise en production des superficies affectées par les feux, incluant les forêts matures et non matures ».

Mais les efforts sont pour l’instant dirigés vers la récolte de bois brûlé : « La priorité du ministère des Ressources naturelles et des Forêts est de maximiser la récupération du bois mature brûlé avant que les insectes détériorent la qualité de la fibre, a précisé le Ministère dans une déclaration par courriel. La fenêtre de temps est très courte puisque la qualité du bois sera rapidement altérée par le longicorne noir, notamment pour la production de bois de sciage. »

En savoir plus
  • 76 millions d’hectares
    Superficie du territoire forestier du Québec
    source : Gouvernement du Québec
    166 000 hectares
    Superficie de forêts récoltées annuellement au Québec
    source : Gouvernement du Québec