(Senneterre) Au cœur des forêts calcinées d’Abitibi, des entrepreneurs forestiers sont à pied d’œuvre pour récolter le bois brûlé. Et ce, quelques semaines à peine après avoir essuyé de lourdes pertes financières dans les incendies. La Presse est allée à leur rencontre.

Début juin, Guillaume Côté est sorti de la forêt sur ordre du gouvernement en laissant ses équipements forestiers sur place. Il pensait pouvoir y retourner rapidement.

Des semaines plus tard, le feu a atteint le secteur. Son abatteuse multifonctionnelle neuve a brûlé, tout comme son transporteur forestier, son camion, ses outils, ses pièces de rechange et sa génératrice. Cet entrepreneur de 28 ans, jeune père de famille, évalue ses pertes à 2 millions de dollars.

C’est sans compter les deux mois d’arrêt, sans travailler. Donc sans revenu.

Le plus difficile, c’était l’accès barré. Si seulement on avait pu avoir deux jours pour tout sortir de là.

Guillaume Côté

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Daniel Bujold, propriétaire de Transports Hardy, et Patrick Garneau, directeur des opérations forestières pour l’Abitibi et le Nord-du-Québec chez Produits forestiers Résolu

Un témoignage semblable à celui de Daniel Bujold, propriétaire de Transports Hardy. « On a eu une quarantaine de pièces d’équipement pris dans le feu, 5 millions en pièces de machinerie ont brûlé sur le coup, lance-t-il. Les pertes de revenu, ça fait extrêmement mal. Si le gouvernement ne nous aide pas, c’est la fin. »

La Presse est allée à la rencontre de ces entrepreneurs dans des terrains forestiers près de Senneterre et de Lebel-sur-Quévillon. Depuis la fin de juillet, les autorisations pour la récolte de bois brûlé dans certains secteurs ont été délivrées par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF).

Une course contre la montre a été lancée pour récolter une quantité record de bois brûlé, avant qu’il ne se détériore.

Des hectares et des hectares carbonisés

Dans cette région de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, environ 655 000 hectares de forêt sont partis en fumée. C’est près de 14 fois la superficie de l’île de Montréal. Une surface supérieure aux incendies historiques de 1923, selon Patrick Garneau, directeur des opérations forestières pour l’Abitibi et le Nord-du-Québec chez Produits forestiers Résolu.

De ce nombre, près de la moitié sont des forêts matures, qui présentent un intérêt particulier pour l’industrie forestière. Celle-ci a d’ailleurs l’obligation de récolter le bois brûlé avant d’avoir de nouveau accès au bois vert.

Mais travailler dans la suie n’est pas une partie de plaisir.

Avec sa nouvelle abatteuse multifonctionnelle, Guillaume Côté coupe un arbre, l’ébranche et le met de côté. Autour de lui, des troncs carbonisés toujours debout tendent leurs branches nues vers le ciel. Au sol, bleuets, feuillus et fougères poussent déjà entre les troncs tombés.

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La végétation a déjà recommencé à pousser dans les zones brûlées d’Abitibi-Témiscamingue.

Une odeur de feu de camp se mêle à celle du bran de scie.

En bordure du chemin, des piles de billots brûlés attendent les camions qui les transporteront vers l’usine.

Guillaume Côté doit couper la cime de l’arbre quand elle est plus large, pour éviter que de la suie ne se retrouve dans les copeaux de bois à l’usine. Pour la même somme de travail, sa récolte sera donc moindre.

Sans compter tous les effets secondaires liés au fait de manier du bois calciné.

C’est salaud, c’est dur sur les machines. Avec la suie, ça jamme bien dur.

Guillaume Côté

Avec l’année record d’incendies de forêt, la récolte de bois brûlé devrait se prolonger jusqu’au printemps. Pendant les dix prochains mois, y compris en hiver, des entrepreneurs s’activeront 24 heures sur 24 pour sortir ces troncs de la forêt.

« Normalement, on en a pour un ou deux mois de récolte de bois brûlé, mais là, ça va durer un an, lance M. Bujold. C’est vraiment un marathon. »

  • Les autorisations pour la collecte de bois brûlé ont été délivrées fin juillet dans la région.

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    Les autorisations pour la collecte de bois brûlé ont été délivrées fin juillet dans la région.

  • Collecte de bois brûlé du haut des airs

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    Collecte de bois brûlé du haut des airs

  • Jean-François et Alexandre Gaudreault, entrepreneurs forestiers de père en fils, ont aussi subi de lourdes pertes financières à cause des incendies. Au plus fort de la crise, ils ont contribué à la création de coupe-feu pour protéger Lebel-sur-Quévillon.

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    Jean-François et Alexandre Gaudreault, entrepreneurs forestiers de père en fils, ont aussi subi de lourdes pertes financières à cause des incendies. Au plus fort de la crise, ils ont contribué à la création de coupe-feu pour protéger Lebel-sur-Quévillon.

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Une course contre la montre

Pourquoi se presser autant de ramasser le bois brûlé ? La réponse a six pattes et des antennes : à cause du longicorne. Chaque printemps, ce coléoptère noir pond ses œufs dans le bois mort. Il a une prédilection pour le bois brûlé.

Ses larves grignotent le bois, entre l’arbre et l’écorce, avant de s’enfoncer vers le cœur du tronc. Elles participent ainsi à la décomposition et à la régénération de la forêt.

À la tombée du jour, dans un boisé infesté de longicornes, il est possible d’entendre les milliers d’insectes gruger le bois en un bourdonnement omniprésent.

Mais pour l’industrie forestière, les trous qu’elles laissent derrière font baisser la qualité des produits. « Les gens ne veulent pas acheter des planches ou des 4 X 4 avec des trous, ça déclasse le bois », illustre Patrick Garneau.

Vu les coûts de production, récolter du bois infesté de larves de longicornes n’est pas rentable pour l’industrie. Au mieux, le bois troué se retrouvera sous forme de copeaux. Au pire, les arbres resteront dans la forêt.

Même une fois récoltés, les billots ne sont pas à l’abri de ces petites bêtes voraces. Les larves poursuivent leur travail de tunnelier jusqu’à l’usine. Elles survivent à toutes les manœuvres, de l’écorçage au sciage.

La ligne d’arrivée pour éliminer les longicornes se trouve à l’étape du séchage, quand la chaleur finit par les éliminer. Soit la toute dernière étape du processus de récolte et de transformation du bois.

S’adapter jusqu’à la fin

La récolte de bois calciné oblige aussi les scieries à modifier leurs pratiques.

À l’usine de Senneterre de Produits forestiers Résolu, des bâches de plastique ont notamment été installées dans certaines sections pour éviter que la suie ne se répande partout. Les billots brûlés sont arrosés pour limiter la poussière à l’étape de l’écorçage.

Les employés portent des masques ou travaillent derrière des vitres.

Une fois retirée des billots, l’écorce brûlée servira de biomasse pour la centrale thermique rachetée en 2022 par Résolu, qui produit de l’électricité, souligne M. Garneau. L’usine est en mesure de consommer environ 650 000 m3 de bois rond par année.

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Les copeaux de bois de l’usine de Senneterre de Produits forestiers Résolu sont vendus notamment à l’industrie de pâtes et papier.

Patrick Garneau estime que les droits de coupe – soit le montant que l’industrie verse au gouvernement pour pouvoir récolter le bois – devraient être réduits. Pour le moment, le gouvernement accorde notamment une aide financière à l’industrie qui varie en fonction de l’essence d’arbre brûlée et de la zone forestière. Une aide aux entreprises de 50 millions de dollars a aussi été annoncée début juillet par le ministre de l’Économie, Christopher Skeete.

Du côté des entrepreneurs, ceux qui ont perdu de la machinerie dans les incendies aimeraient que le gouvernement offre des indemnisations pour couvrir les franchises d’assurance.

Ils estiment aussi que le prix au mètre cube de bois récolté devrait être haussé pour rendre compte des difficultés liées à la récolte de bois brûlé.

« Nous sommes en échanges constants avec l’industrie forestière afin de soutenir ces travailleurs dans cette période difficile », a indiqué par écrit le cabinet de la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, rappelant les aides financières déjà annoncées. « On poursuit ainsi nos efforts afin que la filière forestière puisse se relever rapidement à la suite des feux de forêt et qu’elle en ressorte encore plus forte et solide qu’elle ne l’était au printemps 2023. »

« La forêt, en Abitibi, c’est majeur, rappelle Daniel Bujold. Les scieries font vivre nos communautés. »

« Si le bois meurt, les villages meurent, renchérit Patrick Garneau. Quand il y a des catastrophes extrêmes, ça prend des aides extrêmes. »

En savoir plus
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    Nombre de plans d’aménagements spéciaux autorisés dans le Nord-du-Québec, en Mauricie, au Saguenay–Lac Saint-Jean, en Abitibi-Témiscamingue, en Outaouais et dans les Laurentides, en date du 18 août.
    Source : Ministère des Ressources naturelles et des Forêts
    142 341
    Nombre d’emplois liés à l’industrie forestière au Québec en 2020.
    Source : Conseil de l’industrie forestière du Québec basé sur une étude de PricewaterhouseCoopers