Moins d’un an après son entrée à la Chambre des communes, Brian Mulroney se lance dans la première de ses deux campagnes électorales à la tête du Parti conservateur

John Turner déclenche des élections générales en juillet 1984, moins d’un mois après être devenu chef du Parti libéral. Tous les partis doivent s’organiser sur les chapeaux de roues. Pour les conservateurs de Brian Mulroney, l’organisateur Fernand Roberge peine à trouver des candidats pour les 75 circonscriptions du Québec.

Beaucoup d’ex-souverainistes seront candidats, « quelques dizaines » avaient voté Oui au référendum de 1980. Dans son autobiographie, Brian Mulroney rappelle que les conservateurs n’avaient décroché que 12,6 % des voix au Québec en 1980. Une victoire exigeait à l’évidence l’appui d’une coalition de libéraux provinciaux et de péquistes.

Brian Mulroney doit lui-même décider s’il reste candidat dans Nova-Centre, une solution simple, ou s’il se risque dans Westmount, où il habite, un château fort libéral. Ses conseillers insistent pour qu’il choisisse plutôt Manicouagan, où se trouve son patelin d’origine. Le risque est important ; un sondage interne montre que le député libéral André Maltais a une avance de 10 points. Mais son passage à Baie-Comeau laisse entrevoir un appui spontané au fils du pays.

Son manque d’expérience avec les reporters politiques lui fera faire un retentissant faux pas. Avant son départ, Pierre Trudeau avait nommé le député libéral Bryce Mackasey ambassadeur au Portugal. Dans son avion de campagne, « Manicouagan » Mulroney blague avec les reporters. « Il n’y a pas plus pute qu’une vieille pute ! », lance-t-il. Tout le monde rit.

Tardivement, Mulroney indique qu’il s’estimait « off the record », mais le représentant du Ottawa Citizen, Neil Macdonald, décide de citer le politicien. Après deux jours de tempête, Mulroney s’excusera publiquement d’avoir « badiné ». Cette gaffe « coûtera l’élan » dont les tories avaient bien besoin en début de campagne, rappelle-t-il dans ses mémoires. Il ne reparlera plus de Mackasey de toute la campagne.

Au débat, un moment crucial

La campagne de 1984 a marqué les mémoires en raison d’un instant déterminant. Dans le débat télévisé, en anglais, Turner attaque Mulroney sur le favoritisme, une brèche dans laquelle se précipite le chef conservateur. Mulroney rappelle les nominations partisanes que Trudeau avait imposées à Turner, juste avant son départ.

« Je n’avais pas le choix », laisse échapper le chef libéral. « Je réagis vivement et viscéralement », écrira Mulroney. « Vous aviez le choix ! Vous auriez pu dire : ‟Je ne vais pas le faire, ce n’est pas bon pour le Canada” […] Vous auriez pu dire non, mais vous avez choisi de dire oui aux vieilles habitudes du Parti libéral. »

PHOTO RON POLING, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre défait John Turner et le premier ministre élu Brian Mulroney, en conférence de presse à propos de la passation des pouvoirs imminente, en septembre 1984

« C’était Noël au mois d’août », ironisera Mulroney plus tard pour décrire cette gaffe inespérée de son adversaire. « Ma campagne était faite… juste avec ça », confiera-t-il à l’auteur et journaliste Peter C. Newman, un échange qui devait être « off the record », mais qui se retrouve dans Les enregistrements secrets, une série d’entrevues où Mulroney parle ouvertement.

Ce débat reste dans les manuels d’histoire comme un rare moment où une victoire est aussi nette entre deux protagonistes dans un débat télévisé.

Turner est terrassé, les conservateurs, qui traînaient 14 points derrière les libéraux, se retrouvent tout à coup avec une avance de 20 points, observe Allan Gregg, sondeur des conservateurs. Mulroney se servira de cet échange dans tous ses discours jusqu’à l’élection du 4 septembre.

Vent de changement au Québec

Au Québec, la campagne a aussi une autre facette. De passage à Sept-Îles, Mulroney promet de réparer l’absence du Québec lors du rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982. Dans ce discours du 6 août, Mulroney promet qu’une fois au pouvoir, il réussira à convaincre le Québec de « donner son assentiment à la nouvelle Constitution canadienne avec honneur et enthousiasme ! »

Il attaque les libéraux pour avoir « profité du désarroi du Québec à la suite du référendum pour le frapper d’ostracisme constitutionnel ». Mulroney propose la « réconciliation », un « authentique recommencement national ». Jean-Claude Rivest, proche conseiller de Robert Bourassa, se rappelait que la volonté de Mulroney de permettre l’adhésion du Québec était accompagnée d’une lourde crainte quant aux conséquences d’un échec. Un sentiment prémonitoire.

Le soir du 4 septembre, les conservateurs de Mulroney obtiennent 50 % des suffrages exprimés, au Canada comme au Québec. Pas moins de 58 des 75 circonscriptions du Québec sont peintes en bleu ; il s’en trouve au total 211 à travers le pays, un résultat sans précédent. À 45 ans, Mulroney devient le 18e premier ministre du Canada. Les libéraux, après 20 ans de règne quasi sans partage, sont réduits à 40 députés, seulement 10 de plus que le Nouveau Parti démocratique, éternel tiers parti.