C’est l’histoire de la collision de plaques tectoniques : entre le Québec et une bonne partie du Canada anglais ; entre les souverainistes irréductibles et les partisans d’un Canada centralisé, inspirés par Pierre Trudeau.

C’est aussi celle d’une amitié, broyée par l’ambition politique. « À mes funérailles, si Lucien Bouchard se présente à l’église, sortez mon cercueil par derrière, je ne veux pas le croiser ! » Brian Mulroney, qui aimait faire rire, a répété cette blague des centaines de fois. La démission de Bouchard du cabinet Mulroney, le 22 mai 1990, a scellé le sort de l’entente du lac Meech, quelques semaines plus tard.

L’état des lieux, d’abord. Une fois à la tête des conservateurs, Brian Mulroney se montre attentif aux doléances du Québec. Aux Communes, le chef de l’opposition dénonce le projet de loi S-31 déposé par le gouvernement Trudeau, perçu au Québec comme une tentative de limiter le poids de la Caisse de dépôt et placement dans l’actionnariat des sociétés canadiennes de transport ferroviaire.

Après l’élection de Mulroney, René Lévesque accepte l’idée de négociations constitutionnelles avec Ottawa. C’est « un risque, mais un beau risque », souligne-t-il, lors d’une rencontre du conseil national du Parti québécois, fin novembre 1984, ce qui déclenche les démissions de sept ministres de son gouvernement, dont l’influent Jacques Parizeau.

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Rencontre entre les premiers ministres Robert Bourassa et Brian Mulroney à Montréal, en décembre 1985

Les péquistes avaient contribué puissamment à l’élection des conservateurs en septembre 1984. Cette alliance est reconnue : bien des collaborateurs et d’ex-ministres de René Lévesque obtiennent des nominations fédérales. Yves Duhaime se retrouve à la Banque du Canada, Denis de Belleval et Jean-Roch Boivin, chez VIA Rail, Louise Beaudoin à Téléfilm. Plus tard, la proximité de Mulroney avec Robert Bourassa assurera aussi des relations sans nuages entre Québec et Ottawa. « Robert Bourassa fut mon meilleur allié et le plus fiable. Il est aussi un ami fidèle », écrira Mulroney dans son journal en juin 1993.

Sommet de la Francophonie

Mulroney lève aussi rapidement les obstacles maintenus par Pierre Trudeau, qui s’opposait à la tenue d’un Sommet de la Francophonie. Le Québec et le Nouveau-Brunswick sont présents à la table des chefs d’État, en février 1986, un scénario que refusait de considérer Trudeau. Dans ses mémoires, Mulroney évoque avec émotion cet échange avec François Mitterrand, dans la galerie des Glaces à Versailles : « Brian, voyez ce que nous avons accompli. La Francophonie est maintenant l’équivalent du Commonwealth. »

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Conférence de presse en marge du premier Sommet de la Francophonie, tenu à Versailles, près de Paris, en 1986. De gauche à droite : le président de la France, François Mitterrand, le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, et le premier ministre du Québec, Robert Bourassa.

Décoré comme commandeur de la Légion d’honneur, en décembre 2016, il loue la détermination et l’intelligence de Mitterrand. À la blague, il ajoute : « J’aimais bien, aussi, la façon dont le président Mitterrand prononçait mon prénom, que j’entendais comme “Brillant”. C’était une prononciation qui n’était pas courante au Canada ! »

Pour Mulroney, « Mitterrand avait bien compris que le renouveau des relations Canada-France comportait nécessairement la reconnaissance explicite de la légitimité de relations directes entre le gouvernement du Québec et celui de la France, à l’intérieur du cadre constitutionnel canadien ». Les excellentes relations entre Ottawa et Paris étaient aussi le résultat du travail de l’ambassadeur nommé par Mulroney, Lucien Bouchard, « probablement le meilleur ambassadeur du Canada en France de toute l’époque moderne », écrit Mulroney dans ses mémoires. Son appréciation évoluera plus tard.

Le Canada anglais observe avec circonspection bien des décisions du gouvernement Mulroney en faveur du Québec. Ottawa donne le feu vert à la création du Fonds de solidarité FTQ. Les privatisations de Canadair et de Téléglobe profitent à des sociétés québécoises. Une décision enflamme le Manitoba : le contrat d’entretien des F-18 ira à Canadair, propriété de Bombardier à Montréal, plutôt qu’à la Bristol Aerospace de Winnipeg.