« Surréaliste », « scandaleux », « inacceptable » ; l’opposition et les groupes écologistes tirent à boulets rouges sur le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, qui a affirmé en entrevue avec La Presse que le projet de méga-usine de Northvolt aurait déraillé s’il avait dû être soumis à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

« Je suis indignée et les Québécois ont raison de l’être aussi. On savait le gouvernement de la CAQ insensible aux enjeux environnementaux et à la crise climatique, mais à ce point, c’est surréaliste », a réagi mercredi la critique libérale en matière d’environnement, Virginie Dufour.

La députée demande d’ailleurs une rencontre d’urgence avec le ministre « afin de faire la lumière sur le processus qui a été mis en place pour qu’on en arrive là, aujourd’hui ».

Elle réagissait ainsi à un article de La Presse dans lequel le ministre Benoit Charette avait déclaré en entrevue : « Si moi j’avais dit [aux dirigeants de] Northvolt à l’époque qu’un BAPE, ça nous amène dans 18 mois avant de pouvoir leur donner une idée de ce qui serait possible, on n’aurait pas eu de projet au Québec. »

Lisez « Méga-usine de Northvolt : “On n’aurait pas eu de projet” avec un BAPE, affirme Benoit Charette »

M. Charette considère d’ailleurs que le projet de Northvolt est essentiel pour permettre au Québec d’atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030. « Je n’ai pas 18 ou 24 mois à perdre. Je suis à six ans de devoir livrer des objectifs extrêmement ambitieux. On est dans cette course nous-mêmes », a-t-il dit.

« Jouer les cheerleaders »

Chez Québec solidaire, la députée Alejandra Zaga Mendez, aussi porte-parole des enjeux environnementaux, a évoqué une position gouvernementale « inacceptable ».

« La CAQ est en train de saboter l’acceptabilité sociale du projet et de nuire à l’image de la filière batterie, pourtant essentielle à notre transition énergétique », a ajouté Haroun Bouazzi, responsable solidaire du dossier de l’énergie, pour qui un examen du BAPE aurait pu être fait en moins de 18 mois.

« Le chat sort du sac. […] Le ministre prouve par ses déclarations qu’il renie ses responsabilités de protéger l’environnement, assurer la conservation et la mise en valeur de la biodiversité et jouer un rôle clé dans la transition climatique, dans une perspective durable, pour jouer les cheerleaders du développement manufacturier », a de son côté fait valoir le critique péquiste en environnement, Joël Arseneau.

« C’est extrêmement préoccupant », a réagi MMerlin Voghel, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE).

C’est symptomatique de ce qu’on déplore depuis le départ : des échanges non déclarés derrière des portes closes sur des enjeux d’intérêt public. Le manque de transparence qui perdure est d’autant plus inacceptable que c’est un investissement public.

MMerlin Voghel, avocat au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE)

Patrick Bonin, l’un des porte-parole de Greenpeace, a quant à lui jugé les propos du ministre « scandaleux ». « Le gouvernement change ses lignes de communication et confirme qu’un fabricant de batteries de chars lui dicte ses règles aux dépens de la démocratie et de l’environnement », a-t-il dit.

L’Ordre des chimistes était favorable

Dans des entrevues données à Radio-Canada et au 98,5 FM mercredi, le ministre Benoit Charette a par ailleurs signalé qu’à peine quatre organismes avaient déposé un mémoire l’an dernier, lors des consultations sur les changements réglementaires liés à l’industrie de la filière batterie.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette

C’est dans le cadre de cette modification réglementaire, en avril 2023, que Northvolt a demandé à Québec de relever un autre seuil qui détermine si un projet est assujetti ou non au BAPE. Il s’agit d’un indicateur de capacité annuelle de production de batteries.

Le gouvernement Legault prévoyait initialement fixer ce seuil à 30 gigawattheures (GWh), alors que l’entreprise suggérait 40 GWh, mais au lieu de rehausser le seuil, Québec a finalement écarté ce seuil de réglementation, se disant incapable d’évaluer son risque réel.

D’après nos informations, outre Northvolt, l’Ordre des chimistes du Québec, l’organisme Eau Secours et l’entreprise Énergie Valero avaient alors présenté leurs points de vue.

À l’époque, l’Ordre des chimistes avait recommandé au gouvernement de maintenir les critères ayant pour effet de faire passer le projet de Northvolt devant le BAPE.

Dans un mémoire, l’organisme avait suggéré « que le gouvernement assujettisse, comme il entendait le faire, les usines de fabrication de matières actives, de composantes destinées à la production de batteries ainsi que pour les usines d’assemblage de batteries à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement ».

« L’Ordre tient à rappeler que sa recommandation s’inscrit dans une volonté de s’assurer que l’exercice de la chimie soit encadré par les plus hauts standards possibles, de manière à protéger adéquatement l’environnement et la population », a précisé mercredi le président de l’Ordre, Michel Alsayegh.

M. Charette a plaidé mercredi n’avoir « jamais dit que nous avons aidé l’entreprise à éviter un BAPE ». « Le Québec ne disposait pas d’une réglementation pour favoriser l’implantation d’une filière batterie. C’est ce que nous avons développé dans la dernière année, mais nullement dans l’optique de favoriser une entreprise au détriment d’une autre et jamais non plus dans l’optique de contourner les règlements pour éviter un BAPE », a-t-il noté sur les ondes de Radio-Canada.

Le ministre a néanmoins promis de « se pencher sur la façon de faire nos BAPE ». « C’est une instance importante et reconnue, mais la période de 18 mois peut être problématique. Nous allons revoir comment améliorer le BAPE », a-t-il expliqué.

Avec la collaboration de Jean-Thomas Léveillé, La Presse