Le projet de méga-usine de Northvolt aurait déraillé s’il avait dû se soumettre à une évaluation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), selon le ministre de l’Environnement, Benoit Charette. Son gouvernement a d’ailleurs laissé tomber un autre critère qui aurait pu assujettir l’entreprise suédoise à une évaluation publique, le tout à sa demande, a appris La Presse.

Ce qu’il faut savoir

La tenue d’une évaluation du BAPE aurait fait en sorte que Northvolt ne s’installe pas au Québec, selon Benoit Charette.

Le ministre de l’Environnement affirme que la tenue d’une évaluation publique aurait allongé le processus d’au moins 18 mois.

Northvolt a aussi demandé à Québec de modifier un autre seuil d’assujettissement à une évaluation du BAPE. Ce seuil a finalement été retiré de la réglementation par Québec.

« Si moi j’avais dit [aux dirigeants de] Northvolt à l’époque qu’un BAPE, ça nous amène dans 18 mois avant de pouvoir leur donner une idée de ce qui serait possible, on n’aurait pas eu de projet au Québec. C’est aussi simple que ça », a fait valoir M. Charette lors d’une entrevue téléphonique, mardi.

D’après lui, le temps pressait et il fallait agir rapidement dans ce dossier. Le ministre affirme en effet que les promoteurs comme Northvolt « sont courtisés par plusieurs autres États, alors qu’on est dans une course à la décarbonation ».

Le ministre considère d’ailleurs que le projet de Northvolt est essentiel pour permettre au Québec d’atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Je n’ai pas 18 ou 24 mois à perdre. Je suis à six ans de devoir livrer des objectifs extrêmement ambitieux. On est dans cette course nous-mêmes.

Benoit Charette, ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs

Aux citoyens inquiets et méfiants face à cette position, le ministre rappelle que des études environnementales sont faites et continueront d’être faites au ministère de l’Environnement, même si le projet n’est pas soumis à une évaluation du BAPE.

« Ces évaluations qu’on fait, elles sont parmi les plus strictes au monde. Et pour chacune des étapes, ces évaluations seront requises […], sans quoi l’usine ne verra pas le jour.

« Des [évaluations du] BAPE, lorsque les critères de déclenchement ne sont pas là, je n’en ai jamais demandé, affirme M. Charette. Et je peux déjà vous dire que je n’en demanderai jamais non plus à l’avenir dans le même scénario. C’est une question de prévisibilité. »

En règle générale, le mécanisme du BAPE oblige notamment le promoteur à présenter une étude d’impact et à répondre aux questions du public. Le Bureau transmet par la suite ses recommandations au gouvernement.

Northvolt n’est pas assujettie à cette procédure, sauf pour l’usine de recyclage de batteries qu’elle prévoit construire ultérieurement, parce qu’elle a entrepris ses démarches officielles en vue de l’autorisation de son projet en septembre 2023, après que Québec a eu changé les critères en vertu desquels un tel projet est assujetti au BAPE.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Une manifestation a eu lieu le 3 mars devant le bureau montréalais du premier ministre François Legault pour exiger une évaluation du BAPE pour le projet de méga-usine de Northvolt.

Avant la modification, entrée en vigueur en juillet 2023, le projet de Northvolt aurait été visé par la réglementation sur la fabrication de produits chimiques, prévoyant que tout projet dépassant une production annuelle de 50 000 tonnes devait se soumettre à une évaluation du BAPE.

La modification a remplacé ce critère par de nouvelles exigences propres à la fabrication d’équipements de stockage d’énergie, qui prévoient une évaluation du BAPE pour tout projet dépassant une production annuelle de 60 000 tonnes. Northvolt prévoit une production annuelle de 56 000 tonnes.

Un autre critère écarté

Par ailleurs, La Presse a appris que dans le cadre de cette modification réglementaire, en avril 2023, Northvolt a aussi demandé à Québec de relever un autre seuil qui détermine si un projet est assujetti ou non au BAPE. Il s’agit d’un indicateur de capacité annuelle de production de batteries. Le gouvernement Legault prévoyait le fixer à 30 gigawattheures (GWh), alors que l’entreprise suggérait 40 GWh.

« Notre production implique d’aller au-dessus de 30 gigawattheures. C’est pour ça qu’on proposait de surélever le seuil à 40 ou 50 », explique à ce sujet le directeur des affaires publiques de Northvolt en Amérique du Nord, Laurent Therrien.

Mais au lieu de rehausser le seuil, Québec a finalement écarté ce seuil de réglementation, se disant incapable d’évaluer le risque réel. « C’est le Ministère qui a jugé bon de retirer cette variable. Et il n’arrivait pas à établir une mesure de gestion de risque objective. La logique, c’était : comment pouvait-on justifier une variable si elle n’a pas d’assise par rapport au risque que ça engendre ? », affirme le ministre Benoit Charette.

Chez Northvolt, M. Therrien assure que son entreprise « n’a rien contre les processus en place ».

On n’a rien contre un BAPE ou la réglementation québécoise. Cela dit, on avait très rapidement mentionné au gouvernement que notre principale contrainte en est une de temps. On évolue dans un contexte mondial très compétitif.

Laurent Therrien, directeur des affaires publiques de Northvolt en Amérique du Nord

« Le BAPE te demande de faire une étude d’impact et ensuite d’obtenir un seul permis, mais pendant ce temps-là, tu ne peux pas commencer la construction », illustre le directeur.

Des échanges dès 2022

Tout cela survient alors qu’un peu plus tôt, à la mi-février, La Presse a révélé que Northvolt avait eu des discussions avec le gouvernement Legault sans s’inscrire au registre des lobbyistes. Contrairement à ce que l’entreprise affirmait, ces échanges ont eu lieu bien avant que le gouvernement modifie les règles pour lui éviter une évaluation environnementale.

Le 23 novembre 2022, d’abord, une personne représentant Northvolt s’était entretenue avec une conseillère en développement industriel à la direction de la métallurgie et des produits industriels du Ministère et deux employés d’Investissement Québec.

Puis, le 6 février 2023, Pierre Fitzgibbon avait lui-même eu un « déjeuner » avec le président-directeur général de Northvolt pour l’Amérique du Nord, Paolo Cerruti, indique l’agenda du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.

Deux semaines plus tard, le 22 février, Québec déposait un projet de modification réglementaire ayant pour effet d’éviter au projet de Northvolt d’être assujetti à une évaluation du BAPE. Cette chronologie contredit le PDG de Northvolt, qui a affirmé ne pas avoir eu d’échanges avec Québec avant ce changement réglementaire. « Ce règlement a été modifié avant nos tout premiers échanges avec Québec, avait assuré Paolo Cerruti. On n’a rien eu à voir là-dedans. »

Avec la collaboration de Jean-Thomas Léveillé, La Presse