Pour contrer les récidives de harcèlement sexuel au travail, Québec veut éliminer les clauses d’amnistie contenues dans de nombreuses conventions collectives, autant dans le secteur privé que dans le secteur public. Le ministre du Travail, Jean Boulet, entend également s’attaquer aux clauses de non-divulgation, larges et à durée indéterminée, dans les ententes négociées avec une victime.

« Je ne veux plus qu’un travailleur ou une travailleuse cache son passé. C’est essentiellement mon état d’esprit à ce stade-ci », affirme le ministre en entrevue à La Presse.

Les auteurs de harcèlement sexuel sont souvent des récidivistes, avait souligné le comité d’expertes mandaté par le ministre dans son rapport rendu public en mai dernier.

Des clauses d’amnistie figurent dans de très nombreuses conventions collectives, tant au public qu’au privé. Elles limitent le temps durant lequel les fautes disciplinaires en tout genre figurent aux dossiers des syndiqués.

Ça peut permettre à une personne de commettre une violence à caractère sexuel, d’attendre son effacement de son dossier disciplinaire après un ou deux ans, et de récidiver sans que la sanction à laquelle elle s’expose ne tienne compte du caractère répétitif, ou de la survenance d’un comportement antérieur.

Jean Boulet, ministre du Travail

« Donc la personne qui est récidiviste pourrait poursuivre ses comportements problématiques […] et pourrait, on l’a vu, changer d’employeur. »

Amnistie dénoncée

Le fait que des clauses d’amnistie permettent d’effacer des fautes de nature sexuelle d’un dossier disciplinaire a été vivement dénoncé au cours des derniers mois.

En avril dernier, une trentaine de syndicats et d’associations étudiantes ont demandé que cela soit interdit dans les conventions collectives des cégeps et des universités.

Le mois suivant, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a écrit aux universités pour leur demander de renégocier ce type de clause qui « entraverait l’application » de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur.

Pour le collégial, des démarches ont été entamées avec le Conseil du trésor « avec comme objectif, justement, de viser un peu l’ensemble des conventions qui rendent inopérantes ces fameuses clauses d’amnistie dans le cas des violences à caractère sexuel », a ajouté la ministre en commission parlementaire.

« Je n’exclus pas du tout le recours à avoir […] un amendement à la loi actuelle », avait-elle précisé. « Il y a d’autres scénarios, j’en ai discuté avec mon collègue ministre du Travail. »

Québec devrait « étudier la possibilité d’éliminer les clauses d’amnistie relativement aux inconduites de nature sexuelle et aux comportements violents », a aussi recommandé un rapport d’enquête accablant sur des abus dans les écoles primaires et au secondaire.

Projet de loi

Un Québécois sur deux (49 %) a observé ou subi un comportement sexualisé inapproprié ou discriminatoire en milieu de travail dans la dernière année, rappelle le ministre Jean Boulet en entrevue.

« Mon intention, c’est de réformer le cadre juridique, et ça passe par un projet de loi que j’ai toujours l’intention de déposer avant la fin de la session [parlementaire] », signale-t-il.

Légiférer pour éliminer les clauses d’amnistie aurait un impact sur des centaines de conventions collectives, dans tous les milieux de travail.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le ministre du Travail, Jean Boulet

Ce n’est pas une intention qui, si elle est concrétisée, va nécessairement faire l’unanimité. Mais moi, ce qui me préoccupe, c’est la population, ce sont les milieux de travail. Et qu’on s’assure qu’on ne puisse pas se cacher, qu’on ne puisse pas dissimuler son passé.

Jean Boulet, ministre du Travail

« Je pense que, socialement, il y a une forte acceptabilité sociale. »

Les clauses d’amnistie ne font pas partie des 82 recommandations du comité d’expertes. Son rapport propose toutefois d’autres changements législatifs pour éviter de réduire les victimes au silence.

En effet, la majorité des plaintes pour harcèlement psychologique à caractère sexuel faites à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) se règlent en médiation.

Or, lorsqu’une entente pour régler une plainte à caractère sexuel se conclut, « une clause de non-divulgation à large portée et de durée indéterminée [est] systématiquement incluse », signale le rapport.

Ces clauses « représentent une préoccupation grandissante, surtout lorsqu’elles sont imposées aux personnes victimes ». Leur durée « doit être limitée et précisée dans l’entente », recommandent donc les expertes.

« Ça fait partie de mon attention », assure le ministre du Travail.

« L’intérêt public exige que rien ne puisse empêcher une personne de signaler un risque de harcèlement sexuel ou d’agression à caractère sexuel à l’employeur, aux acteurs de la prévention ou à la CNESST », lit-on dans le rapport du comité d’expertes.

Nouvelle division au tribunal du travail ?

Le printemps dernier, Jean Boulet avait promis que le rapport du trio d’expertes présidé par MRachel Cox « ne sera pas tabletté ».

La quasi-totalité des 23 recommandations visant des procédures de la CNESST sont déjà en mises en œuvre ou en voie de l’être avant la fin de l’année, a-t-il annoncé le mois dernier.

L’une des recommandations phares du rapport Cox risque toutefois de rester lettre morte.

L’idée de doter le Tribunal administratif du travail (TAT) d’une division spécialisée en matière de violence à caractère sexuel pourrait ne pas se concrétiser, admet le ministre.

« C’est une avenue, ce n’est pas la seule […], c’est une avenue avec les avantages et les inconvénients. »

Cette division spécialisée s’inspire du nouveau Tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale, créé par le gouvernement Legault. Elle permettrait « d’envoyer un message clair », d’accroître la confiance des victimes et « d’augmenter la qualité et la cohérence des décisions du TAT », plaidait le rapport Cox.

« Ça pourrait être une autre façon : il y avait trois ou quatre avenues que j’ai analysées », répond le ministre du Travail.

« Je veux surtout que ce soit simple, pratique et que ça donne des résultats », fait-il valoir. « C’est une des avenues que j’ai analysées, je ne dis pas que c’est écarté. »

Lisez « Les comportements déplacés sont “monnaie courante” » Consultez le rapport du comité Cox Lisez « Drainville “extrêmement préoccupé” par un rapport accablant »
En savoir plus
  • 49 %
    Proportion de la population ayant observé ou subi un comportement sexualisé inapproprié ou discriminatoire en milieu de travail en 2020
    Source : Statistique Canada
    26 %
    Proportion des femmes ayant indiqué avoir subi un comportement sexualisé inapproprié ou discriminatoire en milieu de travail. Elles sont ainsi deux fois plus nombreuses que les hommes (13 %).
    Source : Statistique Canada
  • 4909
    Nombre de demandes de recours concernant du harcèlement psychologique ou sexuel ayant été formulées auprès de la CNESST en 2022.
    Source : CNESST