(Québec) Bernard Drainville est « extrêmement préoccupé » à la lecture d’un rapport d’enquête accablant de son ministère qui dévoile des « lacunes importantes » dans le traitement des plaintes concernant des inconduites sexuelles et des comportements inadéquats envers des élèves dans les écoles. Il y a « urgence d’agir », dit-il, alors que des employés parviennent à passer d’un centre de services scolaire à un autre sans dévoiler leur dossier disciplinaire.

Le ministre de l’Éducation a rendu public vendredi le « Rapport d’enquête de portée générale sur la gestion administrative des inconduites sexuelles et des comportements inadéquats », qui a été remis par la direction des enquêtes de son ministère au début du mois d’août. M. Drainville avait demandé la tenue d’une enquête d’une telle ampleur l’hiver dernier, dans le contexte où plusieurs reportages révélaient des allégations de crimes sexuels survenus dans le réseau scolaire au cours des derniers mois.

Le rapport du ministère, dont les travaux se sont déroulés du 21 mars au 31 juillet dernier et dans lequel 18 dossiers ont été analysés, dresse une liste de constats d’une ampleur importante.

Une série de lacunes relevée

  • L’information ne chemine pas entre les différents employeurs ;
  • Il n’existe pas de vision globale et cohérente du système d’encadrement des enseignants ;
  • Le processus de plainte en vertu de l’article 26 de la Loi sur l’instruction publique est sous-utilisé ;
  • La formation des intervenants est limitée ;
  • La gradation des sanctions n’est pas toujours possible ;
  • Le rapport de force entre le plaignant et la personne incriminée est déséquilibré ;
  • Les victimes et les dénonciateurs ne sont pas toujours informés du traitement de la plainte ou du signalement ;
  • L’adoption, la diffusion et l’utilisation des codes d’éthique ne sont pas systématiques ;
  • Il n’y a pas de suivi systématique sur la vérification des antécédents judiciaires en cours d’emploi.

Sur ce dernier point, le ministère constate que la vérification des antécédents judiciaires d’un employé au moment de son embauche « semble procurer un faux sentiment de sécurité ». Dans un centre de services scolaire, par exemple, un employé en invalidité qui revenait au travail a pu le faire sans remplir sa déclaration d’antécédents judiciaires.

« Cela a permis à [l’employé] de commencer à enseigner malgré la présence d’antécédents judiciaires mettant à risque les élèves », écrit-on dans le rapport.

Les centres de services scolaires ont également admis être « liés par la confidentialité et ne pas pouvoir partager [des éléments du dossier d’un employé] par crainte de poursuite ».

« Cette situation permet à un employé problématique de quitter un emploi avant la fin d’une enquête interne, l’imposition d’une sanction ou d’une mesure disciplinaire et de trouver un nouvel emploi dans le réseau sans avoir à subir les conséquences des allégations portées à l’attention de son ancien employeur », s’alarme le ministère.

« C’est un non-sens » et c’est « plus que préoccupant », déclare Bernard Drainville. Le ministre de l’Éducation affirme que « le manque d’information et l’absence de partage [de ces informations] constituent un grave problème qui limite notre capacité de prévenir ce genre d’actes ».

« On permet [avec ces clauses] à des personnes d’évoluer dans notre système scolaire en commettant des gestes graves sans possibilité d’en garder une trace à long terme. C’est inacceptable », ajoute-t-il.

Des plaignants mal accompagnés

Le ministère de l’Éducation affirme également que les plaignants sont mal accompagnés par le réseau scolaire et qu’ils ont l’impression que ceux qu’ils dénoncent sont mieux soutenus dans le traitement de la plainte. Le rapport indique par ailleurs que « les différentes visions du processus disciplinaire qui coexistent dans le domaine de l’éducation, soit celles des plaignants et des témoins, des [centres de services scolaires] et du ministère, ne sont ni complémentaires, ni cohérentes, ni exhaustives ».

« Aussi, les témoins d’évènements condamnables ne sont pas toujours considérés par les processus de plainte en place. Plusieurs processus exigent d’être une victime ou le parent d’une victime pour qu’ils s’enclenchent, par exemple, celui du protecteur national de l’élève, sauf dans le cas des violences à caractère sexuel », relève le ministère.

Or, « dans certaines situations, les élèves […] n’ont pas l’envie ou la capacité de dénoncer un membre du personnel directement à un membre de la direction des établissements d’enseignement ou à leurs parents et préfèrent s’adresser à un membre du personnel significatif pour eux, et ce, de manière légitime », affirme-t-on.

Questionné si le traitement des plaintes du protecteur national de l’élève (un poste nouvellement créé) devait être revu, Bernard Drainville répond qu’il faut « améliorer le processus » qu’il ne faut pas « se priver […] d’une plainte qui a été déposée en bonne et due forme par quelqu’un qui est bien intentionné et qui est capable de démontrer que sa preuve est bel et bien fondée ».

« [Il faut] prendre acte du fonctionnement de l’ensemble de l’institution qu’est le protecteur national de l’élève, et puis, s’il faut rajouter des éléments qui vont nous permettre d’assurer encore davantage la sécurité des enfants, bien, on va l’évaluer », dit-il.

Modifier le projet de loi 23

« Surpris par l’ampleur des lacunes » et disant être habité d’un « sentiment d’urgence », Bernard Drainville affirme qu’il étudie la possibilité d’ajouter des amendements à son projet de loi 23 sur la gouvernance scolaire, dont l’étude détaillée débutera cet automne.

Or, cette pièce législative est controversée et ne fait pas l’unanimité. Le ministre refuse de scinder son projet de loi afin de traiter en priorité des recommandations formulées dans le rapport. Il écarte également l’option réclamée par l’opposition d’adopter un projet de loi-cadre pour contrer les violences sexuelles en milieu scolaire, alors qu’une telle loi existe dans le réseau postsecondaire.

À ce sujet, il est écrit dans le rapport du ministère que pour « prévenir en amont, les directives devraient être encadrées par une politique comme celle découlant de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur ».

Réactions de l’opposition

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La députée libérale de la circonscription de Saint-Laurent, Marwah Rizqy.

Que [Bernard Drainville] dépose un projet de loi distinct. Il n’a pas d’affaire à faire de la politique là-dessus. Il y a un consensus général pour aller de l’avant rapidement et pour encadrer beaucoup mieux tout ce qui concerne les violences à caractères sexuels.

Marwah Rizqy, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

La députée de Québec solidaire pour la circonscription de Mercier, Ruba Ghazal.

J’ai déposé au printemps dernier un projet de loi-cadre pour prévenir et contrer les violences sexuelles en milieu scolaire, comme c’est déjà le cas dans les CÉGEPS et les universités. Je l’invite à l’appeler dès le début de la session et à ce qu’on travaille ensemble pour protéger les jeunes.

Ruba Ghazal, porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’éducation

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le député péquiste de la circonscription de Matane-Matapédia, Pascal Bérubé

Tous les gestes qui vont nous permettre d’avancer sont bien reçus. […] On va certainement collaborer.

Pascal Bérubé, porte-parole du troisième groupe d’opposition en matière d’éducation.

Extraits de constats publiés dans le rapport

Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM)

Constat : Le CSSDM a été informé de comportements problématiques [mots caviardés] plus de trois ans avant le déclenchement d’une enquête.

Recommandation : Le CSSDM doit revoir son processus d’analyse des plaintes afin d’éviter de rejeter des plaintes pertinentes sur la base d’un manque d’information. […]

Constat : Les attentes du département des ressources humaines du CSSDM en matière de dossier de plainte sont mal communiquées aux plaignants, ce qui fait en sorte que plusieurs plaintes sont jugées inadmissibles, malgré la présence d’éléments préoccupants ou dignes d’intérêt.

Recommandation : Mettre en place des mécanismes ou des outils pour mieux soutenir et accompagner les plaignants, dans le but de minimiser le nombre de dossiers jugés inadmissibles […].

Centre de services scolaire de Laval

Constat : La culture de la mansuétude [NDLR : disposition à pardonner] face aux comportements problématiques a été dénoncée par plusieurs intervenants du CSSL. [Mots caviardés]

Recommandation : Revoir les processus en place au CSSL afin de s’assurer que des mesures disciplinaires et administratives justes et favorisant la sécurité physique et psychologique des élèves sont appliquées en cas de situations problématiques.

Centre de services scolaire des Trois-Lacs

Constat : [Mots caviardés] n’est pas titulaire d’un brevet d’enseignement. Le ministre ne peut donc révoquer le brevet comme c’est le cas pour un enseignant qui aurait commis une inconduite similaire.

Recommandation : Développer un mécanisme de contrôle à l’échelle du réseau de l’éducation pour les individus ne détenant pas de brevet d’éducation et qui représente un risque pour l’intégrité physique ou morale des élèves.

Constat : Le CSSTL n’a pas fait les démarches nécessaires auprès de l’employeur précédent [mots caviardés], à la suite d’informations reçues anonymement selon lesquelles ce dernier pourrait constituer une menace pour l’intégrité physique et morale des élèves. […] Ces démarches auraient permis de savoir que [mots caviardés] avait des comportements inappropriés qui affectaient son rôle de modèle, son autorité et sa crédibilité, et ce, bien avant son entrée au CSSTL.

Recommandation : La transmission des renseignements entre les établissements doit se faire à l’intérieur d’un CSS, entre CSS ou d’un établissement public à un établissement privé, et ce, particulièrement au moment de l’embauche ou lorsque des faits préoccupants sont portés à la connaissance de l’employeur.

Centre de services scolaire des Patriotes

Constat : L’École secondaire Vanier n’a pas demandé la révocation du brevet [mots caviardés]. Cette situation a permis à [mots caviardés] de poursuivre l’enseignement [mots caviardés] et de poser des gestes inappropriés et répréhensibles envers des élèves.

Recommandation : Mettre en place un mécanisme visant à s’assurer que tout CSS et tout établissement d’enseignement privé soit tenu d’informer le ministre d’une faute grave ou d’un acte dérogatoire d’un titulaire d’une autorisation d’enseigner.

Source : Rapport d’enquête du ministère de l’Éducation.

Avec Tommy Chouinard, La Presse