(Ottawa) Alors que la confusion régnait quant à savoir qui avait été informé que le tueur en série Paul Bernardo était transféré dans une prison à sécurité moyenne, la grande patronne du Service correctionnel a assuré les responsables de la Sécurité publique que les procédures appropriées avaient été respectées dans ce dossier.

Les courriels obtenus par La Presse Canadienne grâce à la Loi sur l’accès à l’information semblent montrer que la commissaire du Service correctionnel du Canada, Anne Kelly, n’était pas claire sur les raisons pour lesquelles le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, n’avait pas été informé avant que Bernardo ne soit transféré au pénitencier fédéral à sécurité moyenne de La Macaza, dans les Laurentides.

Le ministre et son personnel ont fait l’objet d’un examen minutieux au cours du mois dernier, alors que de plus amples détails sont apparus sur le calendrier du transfert de Bernardo. L’opposition conservatrice a même exigé la démission de M. Mendicino.

Les courriels montrent que Mme Kelly a écrit le 26 mai au sous-ministre de la Sécurité publique, Shawn Tupper, et à la sous-ministre déléguée, Tricia Geddes. « J’avais dit que je confirmerais le transfert avec vous. Cela aura lieu la semaine prochaine », écrit Mme Kelly dans un courriel avec la mention « criminel notoire » dans la ligne d’objet.

Elle précise que le ministère fédéral de la Sécurité publique, le cabinet de M. Mendicino, le Bureau du Conseil privé et le cabinet du premier ministre « ont été informés » et que « nous avons des lignes médiatiques prêtes ». M. Tupper lui a répondu quelques minutes plus tard pour la remercier de la confirmation.

Paul Bernardo purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour l’enlèvement, la torture et le meurtre de Kristen French, 15 ans, et de Leslie Mahaffy, 14 ans, au début des années 1990 près de St. Catharines, en Ontario. Il a également été reconnu coupable d’homicide involontaire coupable relativement à la mort en décembre 1990 de Tammy Homolka, 15 ans, la sœur cadette de son épouse d’alors, Karla Homolka. Paul Bernardo a également admis avoir agressé sexuellement 14 autres femmes.

PHOTO JIM RANKIN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul Bernardo

30 ans en sécurité maximale

Bernardo a passé près de trente ans dans un établissement à sécurité maximale ; il a été transféré à La Macaza le 29 mai. Les raisons du transfert n’ont pas été rendues publiques, le Service correctionnel invoquant des enjeux de confidentialité.

Mais lorsque la nouvelle du transfert a été connue, le 2 juin, le ministre Mendicino s’est tourné vers les réseaux sociaux pour partager son indignation. M. Mendicino, un ancien procureur fédéral, a décrit le transfert comme une « décision indépendante » prise par le Service correctionnel, mais il l’a qualifiée de « choquante et incompréhensible ».

Il a ensuite déclaré qu’il prévoyait d’aborder « le processus de décision de transfert » avec Mme Kelly et s’attendait à ce que le Service correctionnel « adopte une approche centrée sur la victime et tenant compte des traumatismes » dans de tels cas.

Les documents obtenus par La Presse Canadienne montrent que Mme Kelly a écrit directement à M. Mendicino dans l’après-midi du dimanche 4 juin pour lui offrir de le rencontrer.

Dans une brève déclaration, le porte-parole de M. Mendicino a déclaré que son bureau avait informé le Service correctionnel (SCC) du micro-message du ministre avant qu’il ne soit publié. « Le SCC a été informé de la déclaration du ministre par les voies appropriées, avant qu’elle ne soit publiée », a écrit Alexander Cohen.

Le lendemain, M. Mendicino a déclaré aux journalistes qu’il avait parlé avec Mme Kelly et lui avait dit qu’il était « profondément préoccupé et […] choqué par cette décision ». Le Service correctionnel a ensuite déclaré que la décision de reclasser et de transférer Paul Bernardo, qui avait été prise selon un ensemble de critères prévus par la loi, était réexaminée.

Deux semaines plus tard, le Service correctionnel a déclaré qu’il avait d’abord informé le bureau de M. Mendicino de la possibilité d’un transfert début mars, puis à nouveau fin mai, après la fixation d’une date. Le premier ministre Justin Trudeau a été informé le 29 mai, le jour où le transfert a eu lieu, tandis que M. Mendicino a déclaré l’avoir découvert le lendemain.

Qui savait quoi, quand ?

Une porte-parole du cabinet de M. Mendicino a confirmé qu’elle avait été interrogée pour la première fois sur le possible transfert par un membre du personnel du cabinet du premier ministre, qui avait appris l’affaire du Bureau du Conseil privé, le secrétariat qui soutient et conseille le cabinet fédéral.

Les documents nouvellement publiés montrent que Mme Kelly a ensuite répondu à M. Tupper et Mme Geddes, le 6 juin, pour vérifier si le bureau de M. Mendicino avait été informé du transfert, car la greffière du Conseil privé lui avait posé la même question.

« Je comprends de mon personnel que quelqu’un au [ministère de la Sécurité publique] a dit que [le ministre] n’avait pas été informé », a-t-elle écrit dans un courriel avec pour objet « PRIVÉ – Transfert ».

« Nous avons mis en place un processus de notification, comme vous le savez, et nous l’avons assurément suivi. »

Dans un communiqué mardi, le Service correctionnel répète que le bureau de M. Mendicino a été informé du transfert. L’agence soutient aussi que le Bureau du Conseil privé a demandé si le bureau du ministre avait été avisé, et l’agence l’a confirmé.

M. Mendicino a reconnu que son personnel avait commis une erreur en ne l’informant pas, mais il a nié que cela ait été fait pour le garder intentionnellement dans l’ignorance. Le ministre n’a pas révélé pourquoi il n’avait pas été informé, mais a annoncé son intention de publier une directive indiquant qu’il devait être informé directement de ces transferts.

Le chef conservateur Pierre Poilievre a déclaré que le ministre Mendicino devrait émettre une directive similaire pour garantir que les personnes reconnues coupables de meurtres multiples, comme Paul Bernardo, doivent purger toute leur peine dans une prison à sécurité maximale.

Le gouvernement libéral plaide pour sa part qu’Ottawa doit veiller à ne pas interférer avec l’indépendance du Service correctionnel, une position que partagent des juristes et des criminologues.

Le Service correctionnel du Canada n’a pas encore fourni de mise à jour sur son examen du transfert de Paul Bernardo.

Tim Danson, un avocat représentant les familles French et Mahaffy, souhaite l’annulation de ce transfert, survenu autour de l’anniversaire de l’enlèvement et de la mort de Leslie Mahaffy.