(Montréal) Ottawa devra verser à trois services de police autochtones ontariens les fonds requis pour leurs activités pour les 12 prochains mois, et ce, sans conditions.

Le juge Denis Gascon, de la Cour fédérale, ordonne au ministère fédéral de la Sécurité publique de verser « au moins les montants découlant des dernières ententes tripartites pour la période fiscale 2022-2023 ». Il en va, selon la décision de 65 pages du magistrat, de la santé et de la sécurité des citoyens des communautés autochtones concernées.

Les trois corps policiers en question, les Services de police du Traité no 3 (SPT3), le Service de police anishinaabe de l’UCCM et le Service de police anishinabek (SPA), desservent 45 Premières Nations représentant quelque 55 000 personnes dans les communautés concernées.

Ils étaient privés du financement fédéral depuis l’échéance de l’entente précédente, le 31 mars dernier.

L’argent fédéral est versé en vertu du Programme des services de police des Premières Nations et des Inuit qui détermine le financement des forces de l’ordre au sein de 425 collectivités autochtones. Ottawa verse 52 % du budget, l’autre 48 % étant assumé par les provinces et territoires.

Interdictions de certaines dépenses

Le cœur du litige portait sur la volonté des communautés autochtones de s’affranchir d’une section de l’entente qui limite la manière dont les corps policiers peuvent dépenser l’argent fédéral. Ottawa soutient de son côté qu’il ne peut modifier cette entente.

Le juge Gascon n’a pas voulu aller jusqu’à invalider la section litigieuse, soulignant que le fond de cette question restait à trancher devant une autre instance, mais il en exempte les trois corps policiers. Et surtout, il donne raison aux communautés autochtones sur le besoin d’intervenir du tribunal et sa compétence à émettre une injonction « afin de prévenir tout dommage causé à la sécurité publique et à la sécurité personnelle des membres des communautés autochtones desservies ».

« Des torts irréparables »

Selon le juge, « les communautés autochtones desservies par les trois corps policiers subiront des torts irréparables si une injonction n’est pas accordée ».

La question de soutenir financièrement des corps policiers autochtones ne se pose même pas, souligne le juge Gascon, selon qui « il est incontestable que les communautés autochtones ont un long et difficile historique avec le système de justice criminelle au Canada et avec les services policiers non-autochtones ».

En repassant l’historique des négociations, le juge constate que le gouvernement fédéral avait offert en février dernier de bonifier son soutien financier pour ajouter des ressources. Les dirigeants autochtones avaient toutefois exigé que les restrictions à l’usage de l’argent soient retirées, celles-ci étant contraires au principe d’autodétermination des peuples autochtones.

Ottawa soutenait que les interdictions de dépenses contestées par les dirigeants autochtones étaient une contrainte et qu’elles étaient pratiquement immuables.

Prétentions fausses et troublantes

Le juge Gascon se montre toutefois sévère à l’endroit de Sécurité publique Canada (SPC) et de son ministre, Marco Mendicino. D’une part, il constate « l’absence de toute logique convaincante ou de justification soutenant la position de SPC » quant aux interdictions de certaines dépenses. Plus encore, il note que le ministre Mendicino a retiré une des interdictions de dépenses contestées, soit celle de payer pour faire appel à des unités de police spécialisées.

« Ironiquement, SPC et le ministre affirment à répétition qu’ils sont “contraints” par les termes et conditions du Programme, alors qu’ils ont eux-mêmes la capacité de les amender à volonté et peuvent unilatéralement et modifier ce que sont ces contraintes.

« En tout respect, écrit le juge plus loin, il est fondamentalement faux – et plutôt troublant – de voir le Canada, SPC et le ministre Mendicino continuer à qualifier les prohibitions énumérées [dans l’entente] de “contrainte” alors que la preuve démontre clairement que SPC peut décider unilatéralement de modifier toute provision [de l’entente] selon son gré et sa volonté. »

Des conséquences à travers le pays ?

Ce dénouement risque d’avoir un effet d’entraînement pour les autres corps policiers autochtones. Le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, a d’ailleurs salué cette décision par voie de communiqué.

« La Cour a clairement statué que le ministère de la Sécurité publique du Canada n’est pas limité par ses propres politiques de financement ou par les processus en cours, au contraire, il choisit plutôt de sous-financer les services de police des Premières Nations et d’appliquer des politiques discriminatoires à leur égard, ce qui est inacceptable. Bien que je me réjouisse des résultats de cette motion soumise à la Cour fédérale, nous n’aurions jamais dû en arriver là », estime M. Picard.

« Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et le premier ministre Justin Trudeau doivent cesser de mettre en danger la sécurité des membres des Premières Nations dans tout le pays », poursuit-il, concluant que ceux-ci doivent reconnaître les services de police des Premières Nations « comme le service essentiel qu’ils sont véritablement ».