(Ottawa) Le gouvernement fédéral a peu d’outils pour intervenir à Kanesatake, font valoir les ministres Patty Hajdu et Steven Guilbeault en entrevue. La communauté est aux prises avec des eaux toxiques qui se déversent d’un dépotoir illégal appartenant à deux frères qui ont des liens avec le crime organisé. Il revient également à la Sûreté du Québec (SQ) de faire appliquer la loi, plaident-ils.

Ce qu’il faut savoir

  • En 2015, le gouvernement du Québec a autorisé le centre de tri G & R Recyclage sur le territoire mohawk de Kanesatake.
  • Les propriétaires y ont aménagé illégalement un dépotoir où des centaines de tonnes de déchets de construction de toutes sortes ont été empilées.
  • Une enquête de La Presse révélait lundi que des milliers de litres d’eau contaminée se déversent vers les ruisseaux qui se jettent dans le lac des Deux Montagnes.

« S’il y a des problèmes de criminalité, il existe des corps policiers au Québec qui peuvent certainement assurer la sécurité », a affirmé la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu.

« Ce n’est pas le gouvernement fédéral qui s’occupe des forces de l’ordre au Québec », a ajouté le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault. Il a indiqué avoir participé à plusieurs rencontres en compagnie du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, avec le ministre québécois responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, Ian Lafrenière, sur le rôle de la SQ.

« Ils ne sont pas nécessairement les bienvenus pour bien des raisons que vous connaissez très bien », avait indiqué le ministre Miller en mêlée de presse plus tôt dans la journée, en faisant allusion à la crise d’Oka en 1990.

PHOTO SPENCER COLBY, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marc Miller

La SQ n’avait pas répondu aux questions de La Presse au moment de publier. Le ministre québécois de la Sécurité publique, François Bonnardel, a indiqué que « des échanges ont aussi lieu avec le fédéral et toutes les parties prenantes ».

À la communauté de décider

Mme Hajdu, de qui relève ce dossier à Ottawa, nous a finalement accordé une entrevue mercredi après-midi en compagnie du ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, sur la question du dépotoir illégal situé sur le territoire mohawk de Kanesatake, près d’Oka.

Une enquête de La Presse révélait plus tôt cette semaine que des eaux toxiques s’écoulaient du centre de tri G & R Recyclage. Il appartient aux frères Robert et Gary Gabriel, qui ont des liens avec le crime organisé. Des membres de la communauté déplorent la « zone de non-droit » qu’elle est devenue et craignent des représailles s’ils osent parler à visage découvert de ce dépotoir illégal aux fuites toxiques.

Le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois pressent le gouvernement d’agir. Le député Alexandre Boulerice a dénoncé le jeu de ping-pong auquel se livrent Ottawa et Québec. « Ça fait deux ans qu’ils dorment au gaz […] et c’est la communauté mohawk qui souffre », a-t-il dit.

« Le lac des Deux Montagnes, la nappe phréatique et le sol sont probablement tous compromis », a rappelé le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, lors de la période des questions.

Ottawa dispose d’une enveloppe budgétaire de 1,16 milliard sur quatre ans pour sécuriser et nettoyer des sites semblables, dans le cadre de son Plan d’action pour les sites contaminés. Toutefois, la ministre Hajdu a confirmé que son ministère ne peut intervenir pour décontaminer ce dépotoir illégal tant qu’il appartient à des propriétaires privés. La communauté de Kanesatake doit d’abord décider d’en faire l’acquisition.

De toute évidence, le gouvernement du Canada ne peut pas imposer une solution à la communauté et nous ne voudrions pas non plus imposer une solution à la communauté.

Patty Hajdu, ministre des Services aux Autochtones

Elle fait valoir que le rôle de son ministère est plutôt de la soutenir une fois qu’elle aura choisi une solution. Elle dit avoir offert au conseil de bande de financer l’embauche de professionnels pour gérer le dépotoir illégal et y déterminer le degré de contamination. Une solution qui peut être appliquée à court terme même si le site n’appartient pas à la communauté.

« J’espère que le conseil et le chef accepteront cette offre parce que ce seront des conversations difficiles à avoir », a-t-elle souhaité. Son ministère peut également fournir des facilitateurs pour aider le conseil de bande à aborder cette question épineuse. Or, il est aux prises avec des conflits entre les élus, ce qui entraîne des problèmes de gouvernance.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Services aux Autochtones Patty Hajdu

« Nous sommes d’accord sur le fait qu’une solution est nécessaire et nous sommes également préoccupés par les conséquences sur cette communauté, mais c’est une situation très difficile premièrement pour la communauté, mais aussi pour le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral », a-t-elle dit.

« Nous comprenons et acceptons certainement la responsabilité du gouvernement fédéral, et le rôle qu’[il] peut et doit jouer sur cette question-là, mais on n’a pas tous les leviers », a renchéri le ministre Guilbeault.

Il souligne que la responsabilité du ministère fédéral de l’Environnement se limite à l’application des dispositions de la Loi sur les pêches qui interdisent le rejet de substances nocives dans des eaux où vivent des poissons. Des agents du Ministère surveillent le site de G & R Recyclage et n’y ont repéré « aucune nouvelle infraction » selon leur dernier rapport daté du 8 mai, a-t-il indiqué.

Avec la collaboration de Tristan Péloquin, La Presse