(Washington) Il n’y a pas de « menace imminente » que la canalisation 5 d’Enbridge déverse du pétrole brut au Wisconsin, affirment les avocats de la société albertaine, dans un nouveau lot de documents judiciaires à la veille de l’audience qui pourrait entraîner la fermeture du controversé pipeline transfrontalier.

Le décor est planté pour les plaidoiries, jeudi, dans la capitale du Wisconsin, Madison, alors qu’un juge fédéral sera invité par une communauté autochtone à ordonner la fermeture des robinets et la purge du contenu du pipeline, pour prévenir sa rupture et la contamination du bassin versant.

La communauté Chippewa du lac Supérieur à Bad River, sur le territoire duquel passe la canalisation 5, fait valoir dans sa requête que les inondations printanières le long des berges ont rendu le risque d’une brèche du pipeline trop important pour être ignoré.

Dans son mémoire d’opposition déposé mardi soir, Enbridge affirme que la communauté autochtone exagère les risques et qu’elle s’engage dans des « spéculations » qui ne sont pas basées sur des faits objectifs. L’entreprise de Calgary, parlant d’« alarmisme », conteste l’urgence environnementale imminente ainsi que le « remède draconien » réclamé au juge fédéral.

Le dossier de 50 pages d’Enbridge comprend notamment un échange de courriels entre l’entreprise et les responsables des ressources naturelles de la communauté autochtone, pour étayer son argument selon lequel la bande n’a pas voulu lui permettre d’effectuer des travaux de réparation sur la canalisation.

Et même si le risque de rupture était élevé, la fermeture du pipeline ne serait pas la solution appropriée, plaide Enbridge, soulignant un plan d’urgence ordonné par le tribunal qui énonce les mesures à prendre si la menace était effectivement urgente.

« Enbridge purgera et fermera la ligne de manière préventive bien avant toute rupture potentielle », indique le mémoire, ajoutant que ce secteur reste sous surveillance vidéo constante, 24 heures sur 24. « Enbridge ne sera pas prise par surprise », plaide l’entreprise.

Les fortes inondations qui ont commencé au début d’avril ont emporté des parties importantes de la rive où la canalisation 5 croise la rivière Bad, qui suit un parcours sinueux de 120 kilomètres et alimente le lac Supérieur et un réseau complexe de milieux humides écologiquement délicats.

La communauté autochtone est en cour avec Enbridge depuis 2019 dans le but d’obliger le propriétaire et l’exploitant du pipeline à rediriger la canalisation 5 pour la faire passer autour de son territoire traditionnel — ce que l’entreprise a déjà accepté de faire.

Mais l’inondation a transformé un risque théorique en risque très réel, affirme la communauté Chippewa, et elle veut que le pipeline soit fermé immédiatement pour éviter une catastrophe.

L’argument économique

Il existe par ailleurs un argument économique fort contre la fermeture de ce pipeline, qui transporte quotidiennement 540 000 barils de pétrole et de liquides de gaz naturel à travers le Wisconsin et le Michigan vers les raffineries de Sarnia, en Ontario.

Les partisans de la canalisation 5, y compris le gouvernement canadien, affirment qu’une fermeture entraînerait des perturbations économiques majeures en Alberta et en Saskatchewan, mais aussi dans le Midwest américain, où la canalisation 5 fournit des matières premières aux raffineries du Michigan, de l’Ohio et de la Pennsylvanie.

La canalisation 5 approvisionne aussi des raffineries clés en Ontario et au Québec, et elle est essentielle à la production de carburéacteur pour les principaux aéroports des deux côtés de la frontière.

« Les implications (d’une fermeture) sont importantes — non seulement pour l’aéroport Pearson (de Toronto), non seulement pour l’aéroport de Detroit, mais pour nos économies mutuelles », déclarait encore mercredi le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, à Ottawa.

Des pourparlers sont en cours depuis des mois en vertu d’un traité sur les pipelines de 1977 entre les deux pays, qui interdit effectivement à l’un ou l’autre signataire de fermer unilatéralement le flux d’hydrocarbures en transit.

Enbridge demande dans son mémoire au juge d’accorder un sursis de 30 jours, si une injonction est ordonnée, pour donner aux avocats le temps de faire appel.

Et l’ambassade canadienne a prévenu cette semaine que si cette situation d’« inondation spécifique et temporaire » devait entraîner une fermeture, le Canada s’attend à ce que les États-Unis se conforment au traité, « y compris le rétablissement rapide de l’exploitation normale des pipelines ».

Le juge du tribunal fédéral de district William Conley a prévu une audience jeudi avant de se prononcer sur la demande d’injonction d’urgence des Autochtones.