(Edmonton) La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a annoncé lundi qu’elle faisait l’objet d’une enquête de la commissaire à l’éthique pour savoir si elle s’était ingérée dans l’administration de la justice dans le cadre d’une poursuite contre un citoyen liée aux mesures sanitaires pandémiques.

Il s’agit de la deuxième enquête menée par un tiers sur le gouvernement du Parti conservateur uni en un peu plus d’un an concernant des allégations d’ingérence judiciaire. Elle survient également trois semaines avant l’émission du décret d’élection en prévision du scrutin provincial du 29 mai.

Le cabinet de la première ministre a déclaré dans un communiqué que Mme Smith se félicitait de la tenue de cette enquête et qu’elle coopérerait avec la commissaire à l’éthique. La première ministre se dit par ailleurs convaincue que cette enquête déterminera qu’elle n’a rien fait de mal.

Ce même communiqué précise que la première ministre ne commentera pas davantage en raison de l’enquête en cours.

Le bureau de la commissaire à l’éthique Marguerite Trussler n’a pas répondu à une demande de commentaire. Cependant, il opère dans le cadre de contraintes strictes en matière de divulgation publique en vertu de la loi sur les conflits d’intérêts, notamment en n’étant pas autorisé à parler d’une enquête ouverte.

Mme Smith a fait face à de nouvelles allégations d’ingérence dans le système judiciaire après la diffusion d’un appel téléphonique, il y a près de deux semaines. Dans cet appel, on entend la première ministre conservatrice discuter d’une cause pénale en cours avec l’accusé dans cette affaire, le pasteur de rue Artur Pawlowski, de Calgary.

Lors de l’appel, on peut entendre M. Pawlowski exprimer ses inquiétudes au sujet de son cas et accuser le procureur d’un dépôt tardif des documents minant sa capacité à se défendre contre des accusations liées à une manifestation à la frontière américaine, en lien avec la pandémie de COVID-19, en 2022.

Mme Smith dit ensuite qu’elle ne peut pas intervenir directement dans son dossier, mais qu’elle interroge des responsables de la justice « presque chaque semaine » sur de tels cas.

De plus, elle révèle les détails d’un désaccord interne sur la stratégie de la Couronne dans cette affaire visant le pasteur Pawlowski.

On entend Mme Smith promettre de faire enquête au nom du pasteur Pawlowski et de lui revenir là-dessus, tout en affirmant que les accusations portées contre lui sont idéologiques.

L’appel de 11 minutes aurait eu lieu début janvier.

Il a été divulgué à l’opposition. Le porte-parole du NPD en matière de justice, Irfan Sabir, a fait entendre l’enregistrement aux journalistes le 29 mars.

Mme Smith a déjà défendu l’à-propos de cet appel téléphonique, affirmant que même si les politiciens ne sont pas libres de contacter des personnes accusées au criminel au sujet de leur dossier actif, c’est son rôle, en tant qu’élue, d’écouter et d’agir à l’égard des préoccupations de concitoyens.

Puis, en fin de semaine, Mme Smith a proposé une nouvelle interprétation de l’appel téléphonique. Lors de son émission radio de tribune téléphonique du samedi matin, elle a expliqué qu’elle avait accepté le coup de téléphone de M. Pawlowski parce qu’elle croyait que le pasteur l’appelait à titre de chef d’un parti politique, le Parti de l’indépendance de l’Alberta. Elle a suggéré qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’il évoque son affaire judiciaire.

« Une violation claire »

Des juristes estiment que cet appel constitue une violation claire du mur qui doit exister entre les pouvoirs politique et judiciaire. Quel que soit le motif de cet appel, Mme Smith aurait dû mettre fin à la conversation dès que le dossier judiciaire a été soulevé, croient des juristes.

Selon le politologue Duane Bratt, le Parti conservateur uni est désormais confronté à la possibilité d’une enquête sur la première ministre et le parti pendant une campagne électorale, alors que les sondages suggèrent que la confiance en Mme Smith s’érode.

« Une enquête éthique est, je pense, appropriée. C’est un grand pas en avant », a indiqué M. Bratt, de l’Université Mount Royal à Calgary.

La sondeuse de Calgary, Janet Brown, a affirmé que la controverse faisait la une des journaux au détriment du parti depuis près de deux semaines, mais que l’effet sur les électeurs n’est pas clair.

« Bien que ce soit un gros problème que le commissaire à l’éthique enquête sur cela, d’un autre côté, je ne sais pas si cela fournit beaucoup de nouvelles informations aux Albertains ou si cela va être très efficace pour changer l’esprit des gens. »

Elle a dit, cependant, que c’est un territoire inexploré.

« Quel est le précédent d’avoir une élection pendant que le commissaire à l’éthique enquête sur le premier ministre ? »

Le NPD a demandé une enquête indépendante accélérée sur l’implication de Mme Smith dans l’affaire Pawlowski et dans d’autres affaires liées à la COVID-19 devant les tribunaux.

Le 31 mars, l’élu du NPD Sabir a envoyé une lettre à la commissaire Trussler demandant une enquête sur l’appel de M. Pawlowski, accusant Mme Smith d’avoir enfreint la disposition de la loi sur les conflits d’intérêts qui interdit à un membre de la législature d’utiliser ses pouvoirs pour promouvoir les intérêts privés d’un individu.

M. Sabir a déclaré lundi que les néo-démocrates n’avaient pas eu de nouvelles du bureau de Mme Trussler quant à leur plainte.

« Les actions de la première ministre sont une violation claire de l’état de droit et elle doit en être tenue pour responsable », a souligné M. Sabir.

L’enquête de la commissaire intervient un peu plus d’un an après que le vice-premier ministre de Mme Smith, Kaycee Madu, a été retiré du portefeuille de la justice par l’ancien premier ministre Jason Kenney. Un rapport indépendant rédigé par un juge à la retraite a déterminé que M. Madu avait tenté de s’ingérer dans l’administration de la justice en appelant le chef de la police d’Edmonton pour se plaindre d’une contravention.

M. Madu a reçu un nouveau portefeuille sous le gouvernement Kenney, puis a été promu vice-premier ministre lorsque Mme Smith a remporté la chefferie du parti et est devenue première ministre en octobre.

Art Pawlowski est une figure controversée en Alberta pour ses manifestations très médiatisées et perturbatrices contre la communauté LGBTQ+ et les mesures de santé liées à la COVID-19.

Il a été jugé en février, accusé d’avoir enfreint une ordonnance de libération et de méfait pour avoir prétendument incité des personnes à bloquer des biens publics au poste-frontière de Coutts. Il est également accusé en vertu de la Critical Infrastructure Defence Act de l’Alberta d’avoir délibérément endommagé ou détruit des infrastructures essentielles.

Le procès est terminé, mais le juge n’a pas encore rendu son verdict.

Le Parti de l’indépendance de l’Alberta a annoncé qu’il se séparait de M. Pawlowski à la fin du mois dernier, affirmant que leurs valeurs ne correspondaient plus.

Avec des informations de Colette Derworiz à Calgary.