(Québec) Les dommages causés par les fuites de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) sont « irréparables », estime l’ancien premier ministre Jean Charest au lendemain d’un jugement qui lui donne gain de cause contre le gouvernement du Québec. Le Parti libéral demande toujours des excuses, et le premier ministre François Legault ne l’exclut pas.

M. Charest a remporté mardi le procès qu’il a intenté contre le gouvernement du Québec en lien avec la divulgation de ses renseignements personnels dans le cadre d’une enquête de l’UPAC. Québec devra lui verser 35 000 $ en dommages-intérêts compensatoires et 350 000 $ en dommages-intérêts punitifs.

Dans une déclaration écrite, il rappelle qu’il avait initialement demandé des excuses « au motif que celui-ci avait manqué à ses obligations légales et à ses devoirs en matière de protection de la vie privée de ses citoyens ».

« Pour le prix d’une feuille de papier, d’une enveloppe et d’un timbre, j’aurais accepté que cette affaire, quoique grave, soit réglée », a-t-il dit.

Mais cette demande « n’a jamais fait l’objet d’un accusé de réception ». « C’est pourquoi j’ai été contraint de de recourir aux tribunaux pour faire valoir mes droits. »

Pour ma famille et moi, les dommages causés par cette affaire sont irréparables.

L’ancien premier ministre Jean Charest

Il montre également du doigt le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui n’ont toujours pas mis la main sur les policiers responsables des « actes criminels » de fuitage, « après plus de cinq ans d’enquête ».

Dans son combat, M. Charest a l’appui du Parti libéral du Québec (PLQ), qu’il a dirigé pendant 14 ans. « Personne au Québec […] ne devrait pas avoir à subir de tels sévices de la part de l’État, ici, au premier titre, de l’UPAC. Nous croyons que le gouvernement doit reconnaître la faute qui a été reconnue elle-même par le jugement et présenter ses excuses à M. Charest », a affirmé le chef par intérim du parti Marc Tanguay lors d’un point de presse à l’Assemblée nationale mercredi.

Dans sa déclaration, M. Charest n’a pas précisé s’il souhaitait poursuivre ses démarches contre le gouvernement. Il pourrait tenter de prouver qu’il a été victime d’un abus de procédure puisque le Procureur général du Québec aurait inutilement compliqué la tenue de son procès, ce qui reste à trancher.

Jean Charest avait déposé une poursuite contre Québec en octobre 2020 pour violation de sa vie privée. Il disait avoir subi d’importants préjudices en raison de la fuite des documents d’enquête confidentiels du projet Mâchurer de l’UPAC sur le financement du Parti libéral du Québec, obtenus par le groupe Québecor et publiés à partir d’avril 2017.

Bandits

Marc Tanguay vise également la vice-première ministre Geneviève Guilbault, qui avait brandi le livre PLQ inc. au Salon bleu de l’Assemblée nationale alors qu’elle était ministre de la Sécurité publique.

Ce livre reprenait, elle le savait très bien, le fruit des 54 fuites. Puis, il y avait un procès devant les tribunaux. Elle en a rajouté une couche, imaginez-vous donc, comme ministre de la Sécurité publique. Je pense que ça prendrait des excuses.

Marc Tanguay

Comme M. Charest, M. Tanguay souhaite maintenant que les « bandits » responsables des fuites dans les médias se retrouvent « en prison ». Car ce coulage « a eu un impact dévastateur de la vie de M. Charest, sur une base personnelle », mais il a également nui « sur une base réputationnelle » au PLQ. « Ces fuites-là auront eu un impact sur la perception que les gens ont du Parti libéral du Québec », a-t-il déploré. Elles auraient d’ailleurs été un des facteurs ayant mené à la défaite du parti aux dernières élections générales, selon M. Tanguay.

Il croit que l’UPAC devra maintenant « assurer » que ce genre de fuites « n’arrive plus jamais ».

Legault ne ferme pas la porte

De son côté, le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette a refusé de commenter la victoire de M. Charest. « On est en train d’analyser le jugement, et je ne ferai pas d’autres commentaires », a-t-il dit.

Le premier ministre François Legault, lui, n’écarte pas de présenter des excuses à Jean Charest, tout en décrivant une telle initiative sous un angle bien particulier. « Ce qu’il faut se rappeler d’abord, c’est qu’il y a eu des fuites à l’UPAC sous la gestion de M. [Robert] Lafrenière, qui a été choisi par le gouvernement libéral.

« Donc, la question qui se pose aujourd’hui, c’est de savoir si moi, je dois faire des excuses au nom du gouvernement libéral qui a nommé M. Lafrenière. Je n’exclus pas ça, mais on va analyser ça comme il faut », a-t-il affirmé. Il a rappelé que son gouvernement a adopté une loi pour que le patron de l’UPAC soit nommé par l’Assemblée nationale, avec l’appui d’au moins les deux tiers des députés.

L’UPAC devrait-elle présenter des excuses à Jean Charest ? « Peut-être, oui », a répondu M. Legault. Le premier ministre considère que l’UPAC a toujours sa place.

Le chef de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, estime de son côté que l’UPAC doit offrir ses excuses aux citoyens du Québec, et pas à Jean Charest. « On a créé l’UPAC à l’époque pour attraper les bandits et pour remettre de l’argent dans les coffres de l’État. Puis finalement, on n’a pas attrapé grand monde, puis on remet de l’argent dans les poches de Jean Charest », a-t-il dénoncé.

« Je comprends le monde d’être frustré par le travail de l’UPAC. Je partage leur frustration. C’est regrettable qu’on en soit rendus là. S’il y a des excuses qui doivent être faites, c’est à l’ensemble de la population québécoise pour ne pas avoir livré la marchandise dans la lutte à la corruption », a-t-il dit. Il se questionne maintenant sur l’avenir de l’UPAC.

Le député péquiste Pascal Bérubé estime de son côté que l’UPAC devrait perdre son statut de corps de police indépendant pour être réintégré à la Sureté du Québec.

Avec Tommy Chouinard