(Ottawa) Le ministre Marc Miller se réserve le droit de ne pas appuyer la réforme de la Loi sur les langues officielles lors du vote final si l’esprit du projet de loi est trop dénaturé par les amendements des partis d’opposition. Sa collègue Emmanuella Lambropoulos, elle, est plus catégorique : dans son état actuel, le projet de loi C-13 n’aura pas son appui.

« Vous allez voir en temps et lieu », a répondu le ministre Miller à un journaliste qui lui demandait s’il allait voter pour ou contre la mesure législative. « Il reste encore des amendements à débattre et on va voir le produit final. »

Il pourrait ainsi aller à l’encontre du principe de solidarité ministérielle, en vertu duquel les membres du Cabinet doivent appuyer les décisions du gouvernement ou démissionner de leur poste si ce n’est pas le cas.

« Vous allez voir, a-t-il répondu à nouveau lorsque La Presse lui a demandé s’il allait se ranger avec le Cabinet. Ça va être une décision du Cabinet. »

La réforme de la Loi sur les langues officielles est d’ailleurs une promesse électorale des libéraux. Elle est attendue depuis longtemps par les communautés francophones et acadiennes.

« Oui, c’est une promesse de campagne électorale, mais évidemment en minorité on ne contrôle pas la donne nécessairement, a fait valoir le ministre Miller. Il y a des amendements du Bloc [québécois], du Parti conservateur qui évidemment minent complètement l’esprit de la loi. »

Il a dit vouloir s’assurer que « les droits de la minorité anglophone ne soient pas bafoués » tout en défendant le français hors Québec. Il craint également qu’une province anglophone puisse à son tour recourir à la disposition de dérogation pour imposer l’anglais dans les institutions fédérales sur son territoire, ce qui nuirait aux minorités francophones et acadienne.

Lambropoulos voterait contre

La députée Emmanuella Lambropoulos a quant à elle été catégorique sur les ondes de la station anglophone montréalaise CJAD.

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuella Lambropoulos

« Je ne voterais pas pour le projet de loi dans son état actuel », a-t-elle tranché.

Invitée à supputer sur les conséquences que son opposition pourrait avoir au sein du caucus ou du Parti libéral du Canada, elle a répondu qu’elle disposait d’une latitude en tant que législatrice.

« Je pense que pour ce projet de loi, ils [les libéraux] savent à quel point c’est important, en particulier pour les députés qui ont pris la parole en comité », a-t-elle argué, disant que « plusieurs » collègues qu’elle n’a pas voulu nommer étaient aussi contre C-13.

En ouverture de l’entrevue, la députée Lambropoulos a offert une analyse du dossier linguistique.

« Je veux être équitable pour les deux côtés : je crois qu’il y a une peur, au Québec, de perdre leur langue. Et c’est vrai que c’est la seule province francophone dans une mer d’anglais », a-t-elle dit.

« Alors je comprends d’où vient la peur. Je ne crois pas que ce soit une raison de retirer des droits d’une minorité linguistique », a ajouté l’élue.

Elle s’est aussi désolée d’avoir fait l’objet de critiques pour les propos trompeurs qu’elle a formulés sur la loi 96, après que l’animateur lui eut demandé « pourquoi êtes-vous aussi controversée ».

« Je ne pense pas être si controversée […] On m’a accusée de mentir alors que tout ce que je faisais, c’était parler de l’expérience d’une commettante pour donner plus de force à mon intervention », a-t-elle exposé.

Le député Anthony Housefather a confirmé mercredi qu’il serait difficile pour lui de voter en faveur de C-13 si la référence à la Charte de la langue française du Québec demeure. « Je vais aller en comité pour essayer d’améliorer ce projet de loi, mais s’il réduit les droits de ma communauté, ce serait un projet de loi difficile à soutenir », a-t-il dit en mêlée de presse avant la rencontre hebdomadaire du caucus libéral.

Sa consœur Patricia Lattanzio a été plus circonspecte, bien qu’elle n’ait jamais caché son opposition à la loi 96 au Québec. « On est présentement sous étude au comité comme vous le savez bien, donc rien n’est finalisé. On attendra le produit final. »

Division libérale

La question de la réforme de la Loi sur les langues officielles divise les libéraux. Récemment, l’ex-ministre Marc Garneau et le député Anthony Housefather ont tenté de faire retirer toute référence à la Charte de la langue française du projet de loi C-13, laquelle a été ajoutée par le comité des langues officielles à la suite d’une démarche du Bloc québécois.

Cette reconnaissance de la loi 96, qui fait du français la seule langue officielle et commune au Québec, cautionnerait le recours à la disposition de dérogation, selon eux.

En tentant de défendre sa position sur Twitter mercredi, M. Garneau a écrit que même si un Anglo-Québécois « vit dans un pays anglophone, il vit au Québec » et donc « fait partie d’une minorité ». Il a corrigé son erreur trois heures plus tard sur le même réseau social. « J’aurais du [sic] dire « un pays avec une majorité d’anglophones », mais j’ai manqué de lettres. Une erreur de ma part. »

Dans une lettre ouverte publiée sur son site internet et dont La Presse a obtenu une copie, il s’oppose à ce qu’une loi provinciale ait préséance sur une loi fédérale.

« Les Anglo-Montréalais présents au sein du caucus libéral semblent avoir de sérieux problèmes avec la démocratie, a réagi le chef bloquiste, Yves-François Blanchet. Le Bloc procède à l’intérieur des institutions telles qu’on les connaît. »

Le Bloc québécois réclame notamment l’application de la Charte de la langue française du Québec aux entreprises privées de compétence fédérale. Celles-ci n’auraient donc plus le choix entre l’usage de l’anglais ou du français comme langue de travail en territoire québécois. Il s’agit d’une demande du gouvernement de François Legault.

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique seraient prêts à l’appuyer, selon La Presse Canadienne. L’amendement pourrait donc être adopté étant donné que les libéraux sont minoritaires.

« On appuie le projet de loi, a réitéré le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh. Les libéraux ont écrit ce projet de loi, s’ils ont des problèmes, ils doivent les régler. » Il a rappelé que le déclin du français partout au pays.

La priorité du gouvernement demeure l’adoption de C-13 « dans les plus brefs délais », selon Marianne Blondin, l’attachée de presse de la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor. « On s’attend à ce que tous les parlementaires se rallient derrière ce projet de loi porteur et ambitieux », a-t-elle ajouté dans une déclaration écrite.

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Avec Joël-Denis Bellavance, La Presse