Martin Savard, directeur du service de déneigement de Montréal, « en mange », de la neige. Trop peu à son goût cet hiver.

Le « gars de la neige » à la Ville de Montréal ronge son frein, ces jours-ci, après cinq semaines sans bordée digne de ce nom.

La métropole connaît l’un de ses hivers les moins neigeux de mémoire d’homme, cantonnant grattes et souffleuses dans les cours de voirie le plus clair du temps. À peine 58 cm sont tombés, selon les calculs de la Ville.

« Dans les garages, les cols bleus doivent être impatients parce que ça leur manque. C’est comme le joueur de hockey qui veut sauter sur la glace, qui est assis sur le banc et qui dit : ça va être quand mon tour ? », a relaté le Monsieur Neige de la métropole, Martin Savard.

[Les travailleurs] aiment ça, la neige. C’est une opération qui motive les troupes. Il y a un objectif, il y a une fierté.

Martin Savard, directeur du service de déneigement de Montréal

Le directeur de service lui-même « en mange », de la neige, a-t-il assuré en faisant la tournée d’une cour de voirie presque déserte, vendredi, avec La Presse. Un col bleu terminait de réparer une sortie d’eau, un autre travaillait sous le capot d’un aspirateur de rue. Calme plat.

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La Presse a visité une cour de voirie presque déserte

M. Savard préfère toutefois la quiétude actuelle au scénario des 11 et 12 janvier, il y a un mois jour pour jour : des chutes de neige importantes, suivies d’averses qui ont transformé les trottoirs de Montréal en épaisses patinoires. « Le jour fatidique », comme le qualifie l’élue responsable du déneigement, Maja Vodanovic, elle aussi de la visite. Urgences-santé a été inondé d’appels pour des chutes. En quatre jours, près de 1000 personnes ont déposé une plainte au 3-1-1.

Avec ses 40 ans « dans la neige » au compteur, Martin Savard affirme que ces journées correspondent au « pire scénario » (ou l’un des pires, nuance-t-il ensuite) auquel il a eu à faire face dans sa carrière. Comme si plusieurs incendies majeurs s’étaient déclenchés en même temps. « À un moment donné, l’ensemble des incendies ne seront pas couverts de la même façon, on va les éteindre pareil, les feux, mais probablement que ça va prendre une heure ou deux de plus, a-t-il illustré. C’est exactement la même chose. »

« On fait notre possible »

Maja Vodanovic, qui siège au comité exécutif de Valérie Plante, s’est dite satisfaite du travail de M. Savard et de ses équipes.

Cette année, « le défi, c’est la glace », a-t-elle indiqué. Les 11 et 12 janvier, « je suis tombée, tout le monde tombait », a-t-elle relaté, qualifiant la journée de « grave ». « Mais je ne m’attendais pas à ce qu’en une heure, ils aient tout fait. C’était comme impossible. […] Le jour d’après, les requêtes avaient chuté drastiquement. »

« On fait notre possible, on met du sel, on épand », a-t-elle poursuivi.

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L’élue responsable du déneigement à la Ville de Montréal, Maja Vodanovic

Ce n’est pas facile dernièrement non plus. Il ne neige pas, mais il y a encore de la glace, il y a encore des andains [de longues buttes de neige le long des rues et des terrains].

Maja Vodanovic, élue responsable du déneigement à la Ville de Montréal

La semaine dernière, des groupes de défense des droits des personnes à mobilité réduite ont pris la parole pour dénoncer l’impact des problèmes de déneigement sur leur vie. La sortie était organisée par l’opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal, qui demandera au conseil municipal de prendre position la semaine prochaine.

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C’était le calme plat dans cette cour de voirie de Montréal, vendredi.

« Personne ne devrait être prisonnier de l’hiver », a fait valoir Martin Lalonde, de l’organisme Ex æquo. « Les lacunes flagrantes en termes de déneigement entraînent des conséquences graves dans le quotidien des personnes en situation de handicap. Rendez-vous médicaux manqués, difficulté à se rendre à l’école ou au travail n’en sont que quelques exemples. »

Maja Vodanovic et ses équipes reconnaissent l’existence d’un « défi » en la matière, mais jurent qu’ils y travaillent activement. Un plan d’action devrait être dévoilé dans les prochaines semaines.

« Une question d’instinct »

Martin Savard parle de déneigement comme d’autres parlent de stratégies de hockey ou de tactiques militaires. Vaut-il mieux saler avant, pendant ou après les précipitations ? Prioriser le déblocage des puisards ou le salage des trottoirs ? Croire les prévisions météo ou faire confiance à son pif ?

C’est sur la base de son expérience accumulée à Laval, à Québec et sur la Côte-Nord, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, que M. Savard envoie fréquemment aux 19 arrondissements ses « Bulletins opération neige information » (BONI). Il y fait des recommandations, desquelles les équipes locales s’inspirent dans leur travail.

À la Ville de Montréal, Martin Savard a évolué en parallèle de Maja Vodanovic, d’abord à l’arrondissement de Lachine, puis à la ville-centre. « Il voyait [le déneigement] à Montréal et ça l’énervait », a relaté la mairesse d’arrondissement, responsable du dossier du déneigement depuis 2021. « Un jour, il m’a dit dans le bureau : Maja, je veux être le gars de la neige. » En éclatant de rire, le principal intéressé décrit cette version de l’histoire comme « un peu romancée ».

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Le directeur du service de déneigement de Montréal, Martin Savard

Le joueur de hockey qui joue au junior majeur, il se dit : je rêve de jouer dans la Ligue nationale. Gérer un arrondissement, c’est une chose. Essayer de gérer les 19, c’en est un autre. Ma motivation, elle vient un peu de là.

Martin Savard, directeur du service de déneigement de Montréal

Il est devenu directeur de service en 2020, en pleine pandémie.

À présent, de son bureau tout près de l’hôtel de ville, Martin Savard peut se fier à six services météo distincts pour prévoir les manœuvres de ses troupes. Mais la science n’est pas tout. « Je ne suis pas sorcier, mais il y a une question d’instinct », ajoute-t-il, après avoir décrit par le menu différents types de précipitations neigeuses.

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De nombreuses chenilles à trottoir ont été peu utilisées depuis le début de l’hiver.

Et que dit son instinct pour les prochaines semaines ? « Une fois qu’on arrive en mars, il n’y a plus grand stress, dit-il. Il en tombe, mais rapidement, la météo te donne un coup de main qu’elle ne te donne pas en janvier ou en février. »

« À moins d’un revirement terrible », ajoute-t-il.