C’était un petit matin comme les autres au CPE La Petite Colonie, situé à côté d’un refuge pour sans-abri au centre-ville de Montréal. Comme à son habitude, le 2 février, l’éducatrice est allée jeter un coup d’œil dehors pour s’assurer que tout y était sûr avant l’arrivée des enfants. C’est en effectuant cette routine matinale qu’elle a découvert un cadavre. Là, dans la cour du CPE.

Ce qu’il faut savoir

  • Un homme a été trouvé mort dans la cour d’un CPE le 2 février, au centre-ville de Montréal.
  • Comme le CPE est voisin de la Mission St-Michael, un refuge pour sans-abri, cela relance le débat sur la difficile cohabitation entre ces organismes et leurs voisins.
  • Les changements dans la consommation de drogue compliquent cette cohabitation et la prise en charge des personnes dans la rue, constate aussi la Mission Old Brewery.

C’est le récit qu’en fait une mère dont l’enfant fréquente le CPE et qui a demandé l’anonymat parce que l’enjeu est délicat.

Pour l’heure, la police ne confirme pas que l’homme trouvé mort ait été un usager de la Mission St-Michael. La Mission Old Brewery, qui est en lien avec ce refuge (elle y offre ses services de clinique mobile ponctuellement pour l’aide au logement, entre autres), indique à La Presse qu’a priori, cet homme n’était pas connu des deux organismes.

Quoi qu’il en soit, ce drame a fait monter les inquiétudes déjà très présentes quant à la cohabitation obligée entre le CPE et la Mission St-Michael, relatées dans un reportage de CTV la semaine dernière.

Sur son site internet, la Mission St-Michael (qui a emménagé à côté du CPE il y a un an) précise que sa clientèle « est composée d’hommes et de femmes en situation d’insécurité alimentaire, d’itinérance, d’isolement, de maladie mentale, de dépendance et de pauvreté ».

Le CPE et le refuge louent tous deux des locaux dans l’église St. George de la rue Stanley, explique la mère interviewée.

L’église loue le sous-sol à la Mission. Le CPE, lui, se trouve dans la partie de l’ancien presbytère depuis plus de 20 ans. Je ne comprends pas que la Ville de Montréal ait pu accorder un permis à un refuge à cet endroit. Des enfants se trouvent tout à côté et il y a deux autres CPE tout près.

Mère d’un enfant fréquentant le CPE La Petite Colonie

La mère interrogée indique qu’elle et son fils ont peur à leur arrivée et à leur départ du CPE.

Un homme qui fonce avec un autobus sur une garderie à Sainte-Rose, comme c’est arrivé l’an dernier, c’est hautement improbable, fait-elle valoir. Mais qu’un enfant puisse être blessé dans une altercation avec un usager au comportement erratique en raison des drogues qu’il consomme, « ça, c’est très prévisible ».

Enquête du coroner

Véronique Dubuc, responsable des relations médias au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), confirme que l’homme a bel et bien été découvert dans la cour du CPE (et non sur le trottoir, comme l’indiquait la première dépêche de presse) et qu’« il y avait présence de sang ». Cette tragédie est maintenant entre les mains du Bureau du coroner parce que selon les constats initiaux du SPVM, « ça ne semble pas criminel ».

Au besoin, après l’autopsie, le SPVM réactivera son enquête.

Simon Charron, attaché de presse de la mairesse Valérie Plante, indique que des responsables de la Ville ont échangé jeudi avec le CPE et avec l’église, qui loue les locaux. « Nous avons convenu d’organiser une rencontre la semaine prochaine […] afin d’évaluer la situation et de trouver des pistes de solution. »

Il y a des enjeux importants d’itinérance dans ce secteur et la Mission St-Michael fait un travail essentiel pour aider les personnes à s’en sortir.

Simon Charron, attaché de presse de la mairesse Valérie Plante

Les appels de La Presse au CPE La Petite Colonie sont restés sans suite, vendredi. La fonction de directrice générale est vacante, comme l’indique un affichage de poste sur le site de l’Association québécoise des centres de la petite enfance.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La façade du CPE La Petite Colonie, à Montréal

Au refuge St-Michael, un agent de liaison communautaire qui s’est décrit comme le représentant de l’organisme, mais qui n’a pas voulu se nommer, a indiqué qu’il ne ferait pas de commentaire sur la situation. « On préfère travailler en collaboration avec le CPE pour gérer la cohabitation. »

Un sentiment d’insécurité très légitime

Interpellée au sujet de ce drame, Émilie Fortier, vice-présidente aux services de la Mission Old Brewery (située en diagonale avec le palais de justice de Montréal), commence par dire que le sentiment d’insécurité exprimé par des parents est très légitime et qu’elle le comprend parfaitement.

Son organisme et elle-même connaissent très bien le refuge St-Michael, qui, dit-elle, « fait beaucoup avec peu de moyens ». Mme Fortier souligne aussi que les refuges doivent eux aussi composer ces dernières années « avec une augmentation des comportements dérangeants », les problèmes de dépendance ayant changé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

La vice-présidente des services de la Mission Old Brewery, Émilie Fortier

Quelqu’un qui prend de l’héroïne risque de mourir de surdose, mais habituellement, il est calme. Mais depuis quelque temps, on voit de plus en plus des stimulants, comme du crack ou de la cocaïne. Avec les stimulants, la personne en surdose a davantage l’air psychotique… tout en ne l’étant pas. Ça fait une grosse différence sur les interventions qu’on doit faire.

Émilie Fortier, vice-présidente des services à la Mission Old Brewery

Depuis quelques années, les grands refuges ont commencé à s’adapter à ces nouvelles réalités et à l’augmentation des personnes en détresse. Par exemple, indique Mme Fortier, ils fonctionnent maintenant pour la plupart 24 heures sur 24, sept jours sur sept, de sorte que les usagers ne doivent pas sortir des refuges le matin et qu’il y a donc moins d’errance dans les alentours.

Cela a beaucoup amélioré les choses, selon elle, tout comme l’augmentation de travailleurs de rue présents autour des refuges. La Ville, ajoute-t-elle, est aussi consciente qu’aux abords de ces endroits, un nettoyage plus fréquent doit être fait par ses employés.

Mais il reste que peu importe où seront situés les refuges, « l’impact zéro est impossible ».

Un CPE tout à côté, n’est-ce pas tout de même contre-indiqué ? « À l’Old Brewery Mission, nous avons la chance d’être dans une enclave, sans voisins autres que l’autoroute Ville-Marie, le palais de justice, La Presse, etc. Ailleurs, s’il n’y a pas de CPE autour des refuges, il peut très bien y avoir des familles qui habitent tout près. »

« Il est de plus en plus difficile pour notre genre de services de trouver des locaux », fait observer Mme Fortier, ajoutant que les personnes dans la rue ont besoin d’endroits où aller.

Elle le dit tout en soulignant aussi à quel point les refuges sont loin d’être les seuls grands points de chute, désormais.

À l’entrée du Vieux-Montréal, près de la Mission Old Brewery – comme ailleurs dans la ville –, un grand campement de personnes dans la rue a été installé. Du jamais vu, note Mme Fortier, qui demeure tout de même optimiste. « Je pense que d’ici un an, avec ce désir de mieux faire les choses que je sens de toutes parts, les choses vont changer. »