Les érables argentés et les frênes de Pennsylvanie, deux essences d’arbres très présentes à Montréal, ont été durement touchés par la tempête de pluie verglaçante qui a paralysé le Québec en avril dernier, révèle un recensement fait par La Presse dans sept rues de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie. Les arbres ravagés étaient aussi plus gros et plus vieux que la moyenne.

Méthodologie

Au lendemain de la tempête de pluie verglaçante, nous avons sillonné les rues entourant le parc Molson – un des endroits les plus durement touchés, selon notre équipe de photographes – et noté systématiquement les adresses devant lesquelles se trouvaient les arbres ayant subi les plus gros dégâts. Nous avons ensuite identifié 159 de ces arbres dans la base de données des arbres de rue de Rosemont–La Petite-Patrie, fournie par l’arrondissement. Ce fichier de quelque 23 000 arbres indique l’essence de chaque individu, son diamètre, son année approximative de plantation et certaines interventions d’entretien et d’élagage effectués par l’arrondissement.

Les érables argentés et les frênes de Pennsylvanie durement touchés

Parmi les arbres endommagés, 36,6 % étaient des érables argentés, alors que cette essence représente 18 % des arbres de sept rues que nous avons recensées. Il en va de même pour le frêne de Pennsylvanie, qui représente 36,4 % des arbres abîmés, pour 20 % du cheptel des rues analysées. « C’est bien connu, ces deux essences sont plus susceptibles d’être affectées par le verglas. Ce sont des arbres qui ont une croissance très importante et une belle capacité de refaire leur couronne rapidement après un élagage, mais dont le bois est moins solide », souligne le professeur en aménagement forestier et biodiversité de l’Université du Québec en Outaouais Christian Messier. On les retrouve beaucoup en ville parce que ces essences ont une excellente tolérance au sel de déglaçage, au sol compacté et à la pollution.

Les gros arbres plus touchés

Autre constat : « Ce sont les gros arbres qui brisent », résume Alain Paquette, spécialiste de la biodiversité au département de sciences biologiques de l’UQAM. Le diamètre moyen à la hauteur de la poitrine (DHP, une mesure standard en foresterie) des arbres abîmés était de 50 centimètres, alors que la moyenne des arbres des sept rues recensées était de 27 centimètres.

J’ose m’aventurer. Ce ne sont pas les petites branches, mais les grosses qui posent problème.

Alain Paquette, spécialiste de la biodiversité au département de sciences biologiques de l’UQAM

Certains arbres ayant une très grande taille, comme les peupliers, vont perdre beaucoup de petites branches lors d’un épisode de verglas, ce qui protège les grosses branches en les allégeant. Pour d’autres espèces, ce sont les grosses branches qui cèdent, causant plus de dégâts.

Des arbres plus vieux

L’âge des arbres montréalais est dans la plupart des cas approximatif, les bases de données informatiques étant inexistantes avant les années 1980. Notre analyse indique néanmoins que 90 % des arbres durement touchés étaient âgés de plus de 30 ans, alors que cette proportion est de 51 % dans l’ensemble de l’arrondissement. Cette donnée ne veut pas nécessairement dire que les arbres sont en fin de vie : « Les arbres sont immortels, souligne Christian Messier. Leurs cellules ne vieillissent pas comme celles des humains. Par contre, plus ils grossissent, plus ils ont de la difficulté à puiser l’eau et les nutriments dont ils ont besoin. Ils deviennent alors plus susceptibles aux attaques des insectes et doivent de plus en plus étaler leurs branches pour maintenir leur apport en lumière. » Les arbres peuvent perdre jusqu’à 30 % de leur feuillage sans impact, mais si on les élague trop, ils peuvent en mourir.

Pour une diversité des espèces

Le frêne de Pennsylvanie, un des arbres les plus communs à Montréal, incarne un important paradoxe. Au milieu du XXe siècle, des dizaines de milliers d’ormes ont été fauchés par un champignon microscopique originaire d’Asie, qui s’est répandu partout en Amérique du Nord. Ils ont alors été remplacés massivement par cette essence de frêne, très acclimatée au milieu urbain, qui représente environ 20 % des arbres montréalais. Aujourd’hui, ce sont ces frênes qui sont dévastés par un insecte, l’agrile du frêne, et qui disparaîtront du paysage d’ici une dizaine d’années.

Chaque espèce est susceptible de connaître des problèmes différents. La solution est d’augmenter la diversité. Comme ça, quand arrive un stress, on ne se retrouve pas avec des catastrophes à grande échelle. En plus, ça aide à diminuer les problèmes d’allergies.

Alain Paquette, spécialiste de la biodiversité au département de sciences biologiques de l’UQAM

Le chercheur est l’auteur d’un « guide stratégique » pour aider les responsables municipaux à mieux diversifier les espèces et faire côtoyer des arbres qui résistent aux vents violents, à la sécheresse, aux inondations, aux froids intenses, aux redoux soudains en hiver et aux maladies exotiques. Des espèces un peu négligées, comme le pin blanc du Japon, l’amélanchier et l’aubépine, sont appelées à faire un retour.

L’intelligence artificielle pour prédire les cassures

Christian Messier espère mettre au point, à moyen terme, une nouvelle technique de « foresterie urbaine de précision » pour prédire les bris de grosses branches, grâce à un inventaire réalisé avec un LIDAR mobile avant et après la tempête de pluie verglaçante. « On veut se servir de l’intelligence artificielle pour déterminer, avec cette base de données, quelles espèces et quelles branches sont problématiques, et développer un plan d’élagage qui diminue les risques », explique-t-il. Pour l’instant, ce projet n’en est qu’au stade de développement.

Avec la collaboration de Marion Laniel, équipe des sciences de données de La Presse