L’alerte de tornade à peine levée, la météo s’est déchaînée dans le Grand Montréal en début de soirée jeudi avec de nombreux éclairs, des vents violents et des pluies torrentielles qui ont provoqué de grandes accumulations d’eau sous des ponts d’étagement. La succession d’évènements météorologiques intenses des derniers jours est en quelque sorte appelée à devenir la nouvelle normalité, et 2023 pourrait marquer un « point de rupture », estime un expert.

Au moins deux tornades ont été confirmées par Environnement Canada jeudi, l’une à Ottawa et l’autre à Mirabel, tandis qu’on rapportait des « vents violents » à 90 km/h à l’aéroport Montréal-Trudeau.

Environnement Canada ne pouvait toujours pas, en fin de soirée, confirmer s’il y avait eu passage d’une troisième tornade ou non, à Salaberry-de-Valleyfield. « Sur le radar, on a vu de la rotation. C’est la signature d’une tornade, mais on a encore besoin d’une confirmation. On pourrait avoir des nouvelles [vendredi]. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La circulation a été ralentie jeudi à Montréal par les conditions météorologiques.

La puissance du front orageux qui a balayé tout le sud-ouest du Québec avant de frapper la métropole en fin de journée en a surpris plusieurs, notamment le professeur d’hydroclimatologie à l’UQAM, Philippe Gachon.

« J’ai rarement vu un ciel s’obscurcir comme ça, avec un rideau de fumée et cette identité. Ça m’est arrivé dans les endroits tropicaux, lorsqu’il y a des lignes de grains, comme on les appelle, qui arrivent. »

De tels épisodes de pluie intense seront-ils la nouvelle norme climatique de Montréal ? « Je ne l’espère pas, mais la réponse, c’est oui », tranche l’expert. Après les incendies de forêt historiques, les températures très chaudes des dernières semaines et maintenant les pluies intenses, au Québec et au Vermont, « l’année 2023 vient de marquer un point de rupture », selon lui.

En fin de soirée, Environnement Canada a confirmé à La Presse que 82 mm de pluie étaient tombés à Montréal durant la journée, incluant 75 mm en deux heures seulement. C’est plus que deux fois l’ancien record pour un 13 juillet, qui datait de 1977.

La ville de Québec a elle aussi été touchée, avec une cinquantaine de millimètres forçant l’annulation des spectacles du Festival d’été de Québec. Pour Mirabel, où une tornade a touché terre, l’organisme parle de 35 à 50 mm de pluie.

L’intensité des épisodes de pluie est appelée à augmenter davantage que la quantité de pluie totale sur de plus longues périodes, explique M. Gachon. « Et c’est extrêmement inquiétant pour nos infrastructures puisqu’elles ne sont pas adaptées », souligne-t-il en pointant l’accumulation d’eau à de nombreux endroits à Montréal.

Un avis partagé par le météorologue à la retraite d’Environnement Canada, Gilles Brien.

« L’orage est passé à la vitesse d’un train. S’il était resté sur place, on aurait pu avoir autant de pluie qu’à Rivière-Éternité », explique-t-il, faisant référence aux averses survenues plus tôt ce mois-ci au Saguenay qui ont emporté des tronçons de route.

Rues inondées à Montréal

  • Des voitures peinent à s’extirper de l’eau, à l’angle du boulevard L’Assomption et de la rue Hochelaga.

    PHOTO TIRÉE DES CAMÉRAS DE SURVEILLANCE DE LA VILLE DE MONTRÉAL

    Des voitures peinent à s’extirper de l’eau, à l’angle du boulevard L’Assomption et de la rue Hochelaga.

  • PHOTO TIRÉE D’INSTAGRAM

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Les trombes d’eau ont d’ailleurs donné bien des maux de tête aux automobilistes. Certains sont restés coincés sous des viaducs en raison des accumulations d’eau. Dans le métro de Montréal, aucun passager ne pouvait monter ou descendre à la station Square-Victoria–OACI en raison d’infiltrations d’eau.

« L’eau est montée jusqu’aux genoux et est entrée dans l’immeuble », décrit le propriétaire d’un immeuble résidentiel à l’intersection de l’avenue Greene et de la rue Workman, dans le quartier Saint-Henri, Romaean Alam. Des images ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des gens avec de l’eau jusqu’à la taille.

« Il y a de gros dégâts à l’intérieur et l’odeur est horrible », ajoute celui qui s’est rendu sur place après avoir reçu un appel de ses locataires inquiets. Malgré plusieurs appels aux services d’urgences, qu’il devine débordées, personne ne s’était encore rendu sur les lieux.

De fait, en quelques heures à peine, près d’un millier d’appels ont été reçus au 311 pour des refoulements d’égouts, des puisards obstrués ou des branches d’arbre cassées, a indiqué le porte-parole administratif de la Ville de Montréal, Philippe Sabourin.

Cependant, la police n’a rapporté ni dégâts majeurs ni blessés.

« Les égouts ont sauté »

Dans le quartier montréalais du Sud-Ouest, la rue Saint-Marie Ouest a été durement touchée par des refoulements d’égout. Vers 21 h 30, près d’une dizaine de pompiers et une représentante de la Croix-Rouge étaient sur place, marchant sur un asphalte boueux.

« C’est à la grandeur de l’île les inondations, c’est ma sixième aujourd’hui », entend-on un pompier lancer à un collègue.

Assise sur un morceau de béton en face de son logement, Johanne, qui n’a pas donné son nom de famille, est visiblement ébranlée. « J’ai tout perdu. Mon frigo flotte dans l’eau. J’habite en bas depuis cinq ans et j’ai tout perdu, je n’ai rien eu le temps de sortir. Ça fait des heures que je suis ici. »

« Dans la grosse pluie, les égouts ont sauté, explique-t-elle. Il y avait de l’eau partout dans la rue, ça enveloppait les voitures. »

« Je suis encore sous le choc »

À Sorel-Tracy aussi, le vent a soufflé fort alors que le front orageux qui a parcouru une bonne partie du sud-ouest du Québec au courant de la journée progressait vers l’est.

Le toit du concessionnaire Ford situé près de la sortie 141 de l’autoroute 30 a été partiellement arraché par le vent. « Il y a eu un vacarme épouvantable, je n’ai jamais eu peur comme ça », confie Francine Gilbert, une employée du commerce qui se trouvait sur place quand le vent a frappé. Les clients et le personnel ont été invités à se mettre en sécurité loin des fenêtres.

PHOTO KEVIN ARSENAULT TIRÉE DE FACEBOOK

« Il n’y a eu aucun blessé, assure Mme Gilbert. En une fraction de seconde, tout est devenu noir. Je suis encore sous le choc. On ne s’attend pas à ça. »

Steve Péloquin, un résidant du secteur qui habite à environ 200 mètres du concessionnaire automobile, affirme que des débris de tôle provenant du toit ont atterri dans la rue près de sa maison. Un arbre a été déraciné dans sa cour et des débris d’arbres jonchent les rues. « Il y a un éclair qui est tombé, un transformateur a sauté, puis tout s’est mis à revoler dans ma cour : le barbecue, la balançoire, tout est parti au vent », dit M. Péloquin.

PHOTO DRONE ORBITAL

Un éclair frappe la région de Saint-Jérôme et de Mirabel, à 15 h 26, jeudi après-midi.

Mais à Mirabel, au cœur des principales artères de Mirabel et du secteur de Saint-Canut, dans les Laurentides, il n’y a essentiellement aucun dégât. Hormis quelques cônes de circulation gisant sur l’autoroute, la tornade n’a pas emporté grand-chose sur son passage, a observé La Presse.

125 bâtiments endommagés

Les Ottaviens aussi y ont goûté jeudi alors qu’une tornade a touché terre à Barrhaven, un quartier du sud d’Ottawa.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Selon le dernier bilan des autorités, 125 bâtiments, surtout des résidences, ont été endommagés par la tornade à Ottawa

À une exception près, seuls des dommages matériels sont à signaler, a rapporté Le Droit. En effet, une seule personne a été blessée, par des débris et transportée à l’hôpital pour y faire soigner des blessures sans gravité, a indiqué le Service paramédic d’Ottawa.

Selon le dernier bilan des autorités, 125 bâtiments, surtout des résidences, ont été endommagés par la tornade.

« J’ai eu la peur de ma vie. La tourmente s’est éternisée pendant environ trois minutes, mais le choc dure beaucoup plus longtemps que trois minutes. Mon cœur débat toujours et mon adrénaline est encore dans le tapis », a raconté au Droit Wayne Richard, quelque deux heures après que les vents violents eurent secoué des logements de la promenade Exeter.

La police d’Ottawa a indiqué qu’elle s’efforçait d’« évaluer les dégâts et aider les habitants ». « Cet incident a une large empreinte et les agents et les partenaires travaillent avec diligence pour aider tous ceux qui ont besoin d’aide », précise-t-on.

Avec Patrick MacIntyre, Tristan Péloquin, Josée Lapointe et Alice Girard-Bossé, La Presse