À peine le tiers des Montréalais qui peuvent composter le font régulièrement. Si la collaboration des citoyens est indispensable pour améliorer la situation, la Ville devra aussi réduire les inconvénients liés à la collecte des matières organiques, soulignent des experts.

« On a vraiment besoin qu’il y ait un effort collectif »

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À ce jour, près des trois quarts des Montréalais ont accès au compost.

Lorsqu’ils ont accès à un bac brun, deux Montréalais sur trois ne l’utilisent pas. Un taux d’adhésion très loin de l’objectif de la Ville, qui vise à le rehausser à 60 % d’ici 2025. Si, d’ici là, la participation des citoyens n’augmente pas, c’est l’efficacité du système de collecte des déchets qui sera compromise, prévient une élue.

« Je recycle, mais je ne composte pas », lance Krastev Krassimir, qui demeure dans le quartier Ahuntsic. « Je n’ai pas assez de matières organiques pour faire le compostage, en réalité. Je mange souvent à l’extérieur et avec mon mode de vie, ce n’est pas fait pour moi. »

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Krastev Krassimir recycle, mais ne composte pas.

Son cas n’est pas unique. Seuls 35 % des Montréalais qui ont accès au bac brun ou à un sac de compostage participent activement au système de collecte, selon des données de la Ville de Montréal.

Charles-Émile Robin-Chabot, lui, composte depuis plusieurs années, mais il reconnaît que les barrières à l’utilisation sont encore nombreuses.

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Charles-Émile Robin-Chabot

Ce n’est vraiment pas tout le monde qui est conscientisé de la même manière. Souvent, c’est sale, il y a des mouches, donc les gens n’ont pas nécessairement envie de composter. Mais l’essentiel est de penser au prochain, en essayant de voir plus grand.

Charles-Émile Robin-Chabot, Montréalais qui composte depuis plusieurs années

Le principal élément irritant, poursuit-il, est que les fameux bacs bruns sont régulièrement endommagés lors de la collecte. « En un an, chez nous, ça fait trois bacs qui sont cassés complètement. Tantôt les travailleurs ne font pas attention, tantôt on se retrouve avec beaucoup d’écureuils dans nos bacs. Ça a l’air banal, mais c’est un facteur important pour l’adhésion, selon moi. »

« De l’or brun »

Convaincre des citoyens de composter leurs restes de table plutôt que de les jeter à la poubelle sera « crucial » dans les prochaines années, juge la responsable de l’environnement au comité exécutif montréalais, Marie-Andrée Mauger.

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Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement au comité exécutif montréalais

Nos sites d’enfouissement se remplissent à la vitesse grand V. On ne peut pas continuer à penser que nos matières disparaissent comme par magie.

Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement à la Ville de Montréal

Autrement dit, si le taux de participation n’augmente pas rapidement, de sérieux défis risquent de se poser pour la Ville de Montréal. « On a vraiment besoin qu’il y ait un effort collectif. Certes, c’est un changement d’habitude et on le reconnaît, mais les résidus alimentaires, c’est de l’or brun. On peut en faire un compost de qualité agricole pour nous nourrir, ou encore le transformer en gaz naturel renouvelable. C’est la voie de l’avenir », persiste Mme Mauger.

« Ça va être vraiment important qu’on se concentre sur la sensibilisation de la population pour renverser la tendance. Ce n’est clairement pas suffisant en ce moment », déplore quant à elle la conseillère municipale Stéphanie Valenzuela, critique en environnement pour l’opposition, qui juge le faible taux de participation « extrêmement inquiétant » pour la suite.

Le défi, pour Marie-Andrée Mauger, est surtout lié à la communication. Récemment, le cas du promoteur immobilier Mondev, qui avait annoncé mettre fin à la collecte du compost en raison de mauvaises odeurs dans son immeuble Le Neuf Cents, dans Ville-Marie, a poussé la Ville à rectifier le tir : les promoteurs n’ont pas autorité sur la collecte des matières.

« C’est sûr qu’il y a de la résistance. Mais chaque fois qu’on est mis au courant d’une situation pareille, on organise une rencontre, on trouve des solutions », affirme l’élue, qui dit s’être assurée que la collecte soit offerte dans l’immeuble en question.

L’urgence de faire mieux en compostage est, pour plusieurs, une question écologique de premier plan.

« Les matières organiques représentent 55 % des matières résiduelles envoyées à l’enfouissement à Montréal. La présence de ces résidus dans les lieux d’enfouissement technique produit plusieurs effets néfastes sur l’environnement, comme la production de gaz à effet de serre (GES) et la contamination des eaux, en plus de participer à la saturation des sites d’enfouissement », explique la doctorante en biologie à l’Université de Montréal spécialisée en transformation biologique des résidus organiques, Vanessa Grenier.

Comment Montréal se compare-t-il ?

  • Montréal : 77 311 tonnes de matières organiques collectées en 2021 pour 1 762 949 habitants
  • Laval : 37 171 tonnes de matières organiques collectées en 2022 pour 446 000 habitants.
  • Vancouver : 48 300 tonnes de matières organiques collectées en 2021 pour 662 248 habitants.
  • Toronto : 141 800 tonnes de matières organiques collectées en 2022 pour 2 794 356 habitants.

Source : Ville de Montréal 

Bientôt plus de capacité

Montréal disposera bientôt de deux centres de traitement des matières résiduelles. L’un sera dans Montréal-Est et fonctionnera par biométhanisation ; il entrera en rodage en 2024. L’autre sera dans Saint-Laurent, traitera les matières par compostage, et sera en activité d’ici la fin de 2023.

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Le centre de compostage Saint-Laurent sera en activité d’ici la fin de 2023.

« Le compostage et la biométhanisation sont des processus biologiques et naturels réalisés en milieu contrôlé et basés sur l’action de différents microorganismes qui vont décomposer la matière organique. En misant sur ces procédés, on peut gérer la production des biogaz et les capter tout en produisant du compost ou du digestat qui peuvent ensuite être utilisés comme fertilisant », précise Mme Grenier à ce sujet.

Avec la construction de ces deux nouvelles usines, la Ville pense pouvoir atteindre d’ici peu un taux de valorisation de 70 %. Ce chiffre, qui se définit par la proportion de matières organiques qui est ultimement réutilisé après avoir passé dans un centre de tri, est actuellement d’à peine 52 %. Ce faible taux s’explique notamment par le fait que des matières non-compostables sont trop souvent mises dans le bac brun.

Objectif 100 %

À ce jour, près des trois quarts des Montréalais ont accès au compost. Dans les logements de 8 unités et moins, ce qui représente quelque 542 000 foyers, le déploiement des bacs bruns est déjà terminé depuis 2020. Pour les immeubles de 8 logements et plus, toutefois, il reste encore du chemin, seuls 135 000 des 370 000 habitations ayant pour l’instant été « branchées » au compost.

Bref, sur un total d’un peu plus de 910 000 immeubles, plus de 675 000 ont accès aux bacs bruns, ce qui équivaut à environ 74 % d’entre eux.

« On est sur notre cible de desservir 100 % du résidentiel d’ici 2025. Dans les écoles, on est à plus de 300 établissements scolaires, dont 100 % des cégeps dans la ville de Montréal et 11 universités comme l’UQAM et l’UdeM. Pour les industries et les commerces, on est à environ 10 000 membres jusqu’ici, et on vise à être à 17 000 d’ici la fin de l’année », précise Mme Mauger.

En revanche, un constat s’impose clairement : la quantité de Montréalais qui compostent et la quantité de matières résiduelles ramassée n’augmentent pas aussi rapidement que le nombre de bacs bruns disponibles dans la métropole.

Matières organiques collectées à Montréal

  • 2018 : 66 592 tonnes
  • 2019 : 74 113 tonnes
  • 2020 : 84 674 tonnes
  • 2021 : 77 311 tonnes

Source : Ville de Montréal 

Matières organiques collectées dans l’agglomération de Montréal

  • 2018 : 95 329 tonnes
  • 2019 : 104 168 tonnes
  • 2020 : 117 263 tonnes
  • 2021 : 77 311 tonnes (agglomération : 107 560 tonnes)

Source : Ville de Montréal

Même si composter est obligatoire, Montréal n’impose que très peu d’amendes aux récalcitrants jusqu’ici. En principe, des amendes allant jusqu’à 2000 $ pour une première infraction et jusqu’à 4000 $ pour une récidive peuvent être données. On ignore néanmoins combien de constats ont été formulés. Chose certaine : sévir ne va pas de soi. « Il faut pouvoir trouver des preuves permettant d’identifier les personnes coupables et ce n’est vraiment pas simple », explique une porte-parole du Plateau-Mont-Royal, Geneviève Allard.

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Antonietta Careriro

Antonietta Careriro, une Montréalaise qui composte depuis des années, espère surtout voir les mentalités changer. « On vit de façon dispendieuse, on produit beaucoup de déchets, ça doit être valorisé. C’est juste normal de faire notre part quand c’est possible », conclut la Montréalaise.

Un casse-tête de gestion

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Daphné Jerbi se questionne sur l’implantation du compostage dans les immeubles de 9 logements et plus.

Daphné Jerbi habite au Murray, un immeuble de 15 étages à Montréal. Quand elle voit comment la récupération est gérée dans son immeuble, elle voit mal comment l’implantation du compost pourrait réussir.

Selon la locataire, l’ajout de nouvelles mesures pourrait complexifier la gestion des ordures, qui s’avère déjà un casse-tête.

Preuve à l’appui, le conseil d’administration de l’édifice situé au cœur du quartier Griffintown a récemment lancé un avertissement à ses résidants : si vous ne découpez pas vos boîtes de carton destinées au recyclage de manière convenable, vous pourriez recevoir une amende de 250 $. D’après Daphné, cette mesure incitative pourrait décourager certains locataires. Elle craint que plusieurs abandonnent et décident de tout jeter aux poubelles, par le vide-ordures, communément appelé « chute à déchets ».

De plus, les nombreux locataires disposent de seulement trois chariots pour transporter leur récupération au sous-sol, où sont situés les bacs.

La gestion du compost devra être plus accessible, sinon personne n’y participera, renchérit Mme Jerbi.

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Daphné Jerbi

Avec la construction continuelle, les bacs bruns vont se retrouver n’importe où sur la rue. Courir après les bacs, ça découragerait les gens plus qu’autre chose.

Daphné Jerbi, résidante du centre-ville de Montréal

Un exemple parlant

La situation au Murray illustre les nombreux défis que devra surmonter la Ville de Montréal, qui souhaite instaurer le compostage dans tous les immeubles de 9 unités et plus d’ici 2025.

Devant une densification urbaine en pleine croissance, la métropole devra adapter la pratique pour susciter l’intérêt de tous : locataires et propriétaires.

« Ce sera un défi de créer des espaces aménagés pour le compost dans des bâtiments déjà construits […], surtout au centre-ville, où tous les mètres carrés comptent et sont maximisés », explique Mark Kilajian, directeur des acquisitions de l’entreprise d’investissement immobilier Black Ridge.

« Actuellement, ce qu’on voit, c’est les gros bacs devant les immeubles à appartements. Non seulement [les propriétaires] doivent mandater quelqu’un pour les laver et les déplacer, mais il faut aussi avouer que ce n’est pas très esthétique », ajoute Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.

L’implantation du système de collecte de matière résiduelle dans les tours de condos engagera des dépenses importantes, ce qui fera assurément bondir les charges de copropriété.

Il faut se demander si les résidants des tours seront prêts à payer pour la gestion de compost au sein de l’établissement, parce que ce genre d’initiative entraînera une gestion qui devra être faite par un employé.

Mark Kilajian, directeur des acquisitions de l’entreprise d’investissement immobilier Black Ridge

Les propriétaires d’immeubles à logements multiples recevront une amende s’ils ne mettent pas de dispositif pour le compost à la disposition de leurs locataires.

« Si on oblige les propriétaires d’immeubles à condos à instaurer un système de compost, il faut se poser la question : qui va payer pour ça ? », demande Mark Kilajian.

Nouveaux projets

Le contexte est différent du côté des nouveaux projets, indique Mark Kilajian. « C’est primordial que les nouveaux projets soient verts et que, dès la construction, des systèmes de recyclage et de compost soient inclus dans les plans […]. Ce genre d’installation apportera une plus grande valeur aux immeubles. »

Même son de cloche chez Karel Ménard. « Les nouvelles bâtisses qui se munissent de système de compostage pourront même capitaliser là-dessus, souligne-t-il. Ce type d’installation augmente la valeur d’un immeuble parce qu’il facilite la vie des gens qui y résident. »

Ces systèmes pourront responsabiliser les citoyens à gérer leurs matières résiduelles puisque le système de collecte sera facilité et adapté.

« La collecte des matières résiduelles n’a pas évolué »

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Le bac brun est l’outil principal pour collecter les matières résiduelles à Montréal.

Bac brun, panier beige, sac mauve. Plusieurs outils de compostage sont mis à la disposition des citoyens qui résident dans des immeubles de 8 unités et moins à Montréal. Est-ce toujours le moyen de composter en ville ? Non, répondent les experts.

« La collecte des matières résiduelles n’a pas évolué, souligne Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets. Il est temps d’adapter cette pratique au XXIsiècle pour que ça soit facile et beau. On ne peut pas juste mettre des bacs bruns et laisser les citoyens et les propriétaires à eux-mêmes. »

Doctorante en biologie spécialisée en transformation des matières organiques, Vanessa Grenier abonde en ce sens. Selon elle, la mairesse Valérie Plante doit proposer un système pratique et adapté à une grande ville comme Montréal.

« La Ville de Longueuil propose à ceux qui ne veulent pas gérer de bacs bruns à la maison huit points de chute pour déposer les sacs de compost, signale-t-elle. Or, à Montréal, la plupart des gens se promènent en transport en commun. La plupart des gens ne trimbaleront pas leurs sacs de compost dans le métro en direction du point de chute. »

Des options plus modernes

Selon les deux experts, on doit adapter nos pratiques en prenant en considération la densité croissante de la population à Montréal puisque l’espace peut être un enjeu. Dans un arrondissement moins densément peuplé, on peut garder les bacs à l’extérieur, près des espaces de stationnement. Par contre, au centre-ville, les bacs bruns cohabitent plus difficilement avec les automobilistes, les voies réservées, les cyclistes et les piétons.

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Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Ça serait intéressant de réfléchir aux conteneurs semi-enfouis, comme le font plusieurs pays en Europe.

Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets

Le spécialiste explique que ces conteneurs semi-enfouis « débourberaient » les rues de Montréal et empêcheraient la dispersion des bacs bruns. « Les citoyens n’ont pas envie de faire du slalom entre les bacs jonchés sur les coins de rues de leur quartier quand ils se promènent à vélo ou à pied », ajoute-t-il.

« C’est sûr que, pour atteindre les cibles souhaitées par la Ville de Montréal, il va falloir s’assurer qu’il n’y ait pas d’irritants pour le citoyen et que le compost ne devienne pas une corvée », rappelle Vanessa Grenier.

Quoique certains implorent une meilleure gestion de la part de la Ville, la collaboration des citoyens est de mise.

« Une part de la responsabilité revient aux Montréalais. On doit arrêter de voir la gestion du compost comme une tâche ménagère et commencer à l’intégrer à notre routine, insiste Karel Ménard. On est capable de trier notre sac d’épicerie et de placer les aliments aux bons endroits, on est capable de faire la même chose avec nos déchets et nos matières résiduelles. »