Les évènements climatiques extrêmes peuvent affecter la santé mentale bien après leur passage, montre une vaste enquête menée après les inondations qui ont frappé le sud du Québec en 2019.

Près d’un an après la crue printanière, plus du tiers des personnes inondées percevaient encore leur santé mentale comme mauvaise ou passable et présentaient de la détresse psychologique. Ces symptômes étaient six fois plus présents que chez les résidants des mêmes régions épargnés par la montée des eaux.

Après une autre année, les résidants inondés allaient mieux, mais demeuraient quatre fois plus nombreux à déclarer une santé mentale mauvaise ou passable et à présenter de la détresse psychologique.

PHOTO MAXIME PICARD, ARCHIVES LA TRIBUNE

La Dre Mélissa Généreux, chercheuse et professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Nous en avons discuté avec la Dre Mélissa Généreux, chercheuse principale de l’étude et professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke.

Près de deux ans après les évènements, des Québécois inondés affichaient toujours une moins bonne santé psychologique que les résidants des mêmes quartiers restés au sec. Est-ce significatif ?

Nos personnes inondées vont être quatre fois plus enclines à rapporter de la détresse psychologique ou à rapporter que leur santé mentale est de passable à mauvaise, soit une santé mentale jugée non positive. On dira ce qu’on voudra, mais par chez nous, on appelle ça un écart assez important, qui demeure au fil du temps.

Vivre un évènement climatique extrême, est-ce un traumatisme ?

Ça dépend vraiment pour chaque personne, mais est-ce que ça peut entrer dans le camp des évènements traumatiques d’une vie ? Certainement, sans l’ombre d’un doute. Des parents me disaient : « Mon enfant refuse de dormir sans son gilet de sauvetage. » Permettez-moi de faire un lien avec les inondations ! Maintenant, la question est de savoir combien de temps ça va durer. Est-ce que son sommeil est perturbé, est-ce qu’il fait des cauchemars récurrents, est-ce qu’il a des pensées envahissantes, est-ce qu’il est hypervigilant ?

Dormir avec le gilet de sauvetage, c’est anecdotique, mais dans nos enquêtes, il y avait quand même chez nos inondés, après un an, 44 % des gens qui, selon une échelle de mesure standardisée, avaient des symptômes de stress post-traumatique qu’on qualifie de modérés à sévères. C’est sûr que 44 % ne sont pas allés consulter, mais plein de gens ont quand même des symptômes récurrents, des pensées, des flashbacks, des cauchemars. Ça, pour moi, c’est sans équivoque, nos données sont très claires.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

À Sainte-Marthe-sur-le-Lac, les sinistrés ont dû vider leur maison et jeter aux rebuts leurs meubles et leurs effets personnels à la suite des inondations de 2019.

Vous vous êtes aussi intéressés aux stresseurs dits secondaires (assurances, aide reçue, finances, etc.). Pourquoi ?

Le stress secondaire, c’est le stress des mois qui suivent, de devoir passer à travers toutes les démarches administratives et financières. C’est un parcours du combattant, Les 12 travaux d’Astérix. Et il n’y a pas encore de système gouvernemental formel pour accompagner les gens.

Vous donnez l’exemple de ce sinistré de Gatineau dont les problèmes avaient été tournés en dérision par une fonctionnaire du ministère québécois de la Sécurité publique⁠1. Pourquoi ?

Je suis pas mal convaincue que ce genre de situation revient assez souvent. Ce sont probablement des fonctionnaires qui ne sont pas formés, tout le monde n’est pas rendu là. Juste avant la pandémie, la Ville de Gatineau nous avait demandé de former l’ensemble de son personnel – loisirs, inspection municipale, premiers répondants, etc. Autant vous pouvez nuire par vos interventions, autant vous pouvez, par votre bienveillance, un petit sourire, de l’empathie, changer vraiment la donne pour la personne.

Plusieurs sinistrés dénoncent la complexité des programmes d’indemnisation gouvernementaux. Que devrait faire Québec ?

Dans mes rêves les plus fous, tout le monde aurait une formation de base pour comprendre la notion de stress primaire et secondaire, et qu’on a tous un rôle à jouer dans la trajectoire de bien-être et de résilience des sinistrés ou des communautés touchées. Je verrais aussi une équipe qui peut se déployer à la suite d’un sinistre de plus grande ampleur et pas juste sur le court terme. Ça, c’est dans mes rêves les plus fous, mais je ne trouve pas que c’est si fou que ça : ce n’est pas inatteignable !

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Grand nettoyage à Sainte-Marthe-sur-le-Lac à la suite des inondations de 2019. En faisant les travaux de décontamination eux-mêmes, les sinistrés risquent de s’exposer aux produits chimiques et aux moisissures qui découlent de l’inondation de leur maison.

Les résidants inondés étaient aussi trois fois plus susceptibles de signaler des symptômes respiratoires ou otorhinolaryngologiques (ORL) dans les huit à dix mois suivant le sinistre. Faut-il s’en inquiéter ?

C’est important parce qu’on parle de personnes qui ont vu leur asthme empirer, de problèmes de sinusite ou de congestion chroniques. Et c’est encore moins bien reconnu que le lien entre la santé mentale et les inondations.

Les moisissures s’installent en 24 à 48 heures, mais quand vient le temps de réintégrer les lieux, est-ce qu’on a facilement accès à un expert en sinistres ? Et beaucoup de gens ne savent pas encore s’ils ont des assurances. Donc ils décident de le faire eux-mêmes et s’exposent aux produits chimiques, à toute la contamination. Sans compter que les travaux ne sont probablement pas faits avec la même qualité, donc de l’humidité peut persister dans les murs.

Il y a probablement des gens qui attrapent plus souvent des infections respiratoires parce que leurs voies respiratoires sont déjà enflammées à cause des moisissures – en plus des problèmes de sommeil, de stress, d’anxiété, d’état dépressif, de trouble de stress post-traumatique.

Je parle de « mes rêves les plus fous », mais je suis pas mal certaine que si on faisait une analyse coûts-bénéfices, si c’était un seul et même portefeuille qui gérait les coûts de santé, les pertes de productivité au travail et tout, ça coûterait pas mal moins cher de s’assurer qu’on a bien décontaminé et enlevé tout le stress psychologique et financier. Je suis pas mal certaine qu’on gagnerait au change.

Note : Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de clarté.

1. Lisez l’article « Inondations du printemps : un sinistré tourné en dérision par une fonctionnaire » Lisez le rapport « Conséquences des inondations à long terme sur la santé mentale en situation d’urgence » Lisez le rapport « Respiratory and Otolaryngology Symptoms Following the 2019 Spring Floods in Quebec » (en anglais)

L’enquête

La première collecte de données a été réalisée entre décembre 2019 et février 2020 auprès de 3437 ménages des six régions sociosanitaires les plus touchées par les inondations printanières de 2019 (Laurentides, Laval, Mauricie – Centre-du-Québec, Montérégie, Montréal, Outaouais). La seconde collecte a été menée entre décembre 2020 et février 2021, auprès de 680 des ménages du premier échantillon.