(Port de Gros-Cacouna) Depuis le début du mois de mars, les pêcheurs de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk ont des semaines de « huit jours », raconte Guy Pascal Weiner, directeur des pêches commerciales de la communauté, en regardant l’équipage s’affairer sur le Bicois II.

La zone de pêche à l’oursin est située à une demi-heure au large du port de Gros-Cacouna, dans l’estuaire, entre l’île aux Lièvres et l’île Blanche, secteur Rivière-du-Loup.

Dans ce secteur, la pêche a lieu au printemps, de la mi-mars à la mi-mai environ, puis elle reprend à l’automne.

Dans la foulée de la fermeture de l’usine de transformation de la crevette nordique, à Matane, en mars, le Grand Conseil de sa communauté a renoncé aux quotas de cette pêche en 2024. Le haut dirigeant de la pêche explique que sa Première Nation avait droit à 136 000 livres de crevettes cette année.

« Dans les faits, nos pêcheurs perdaient leur temps là-dessus. On parle d’une perte de 130 000 $. Je ne crois pas que notre décision va changer le cours des choses pour la crevette. Elle est en train de mourir, c’est fini. La vie marine ne peut tout simplement plus être supportée par le réchauffement des eaux. Ce sont des courants océaniques planétaires. C’est irréversible. Ça nous dépasse », indique M. Weiner.

Transformation

Selon le dirigeant des pêches, il serait tout à fait envisageable de transformer l’oursin au Québec. Sa communauté a droit à un quota d’environ 200 000 livres. À l’heure actuelle, les revenus annuels de cette récolte s’élèvent à un demi-million de dollars (brut). Environ 2 $ la livre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Guy Pascal Weiner, directeur des pêches commerciales de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk

C’est rentable, mais on se fait avoir en vendant sur le marché des États-Unis. Nous ne sommes pas sur place pour négocier les prix selon la qualité. Il faut à tout prix exploiter son plein potentiel. Nous essayons de mettre de la valeur sur tout ce qu’on jette.

Guy Pascal Weiner, directeur des pêches commerciales de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk

« Pour la pêche au crabe des neiges, ça peut encore aller. Pour la crevette, c’est mort. C’est paniquant quand on regarde la situation aller. Alors, il y a l’oursin, mais il faudrait avoir notre propre usine de transformation », déclare-t-il. La quasi-totalité des pêches est exportée. « Le Québécois type ne saurait pas quoi faire de l’oursin [entier], comment l’apprêter, une fois sur son comptoir de cuisine. »

À peine 12 à 13 % de l’animal marin est propre à la consommation. Le reste est jeté.

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Une biologiste de Pêches et Océans Canada mesure la taille d’un oursin issu de la pêche du jour de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. En dessous de 50 millimètres, les oursins sont rejetés à l’eau.

À la fin de la journée de pêche artisanale à l’oursin, suivie par La Presse, une biologiste de Pêches et Océans Canada, Sophie Boudreau, était sur le quai pour échantillonner la cargaison du jour. Pour en mesurer la taille minimale de 50 mm, et s’assurer de la conformité. Son travail permet également d’évaluer la santé des animaux de l’estuaire. Sur le Bicois II, la table de tri fait en sorte que les oursins de moins de 60 millimètres retombent dans les eaux salées de l’estuaire.

À l’heure actuelle, au Québec, des travaux de recherche et développement voient le jour pour valoriser la biomasse de l’oursin. Par exemple, le liquide contenu dans l’oursin pourrait être transformé en produits nutraceutiques. Les piquants du petit hérisson marin sont munis d’un petit bulbe de collagène. Pourquoi ne pas le prélever ?

« Avec la coquille, on pourrait faire de la poudre de carbonate de calcium, ajoute le directeur commercial des pêches. Il y aurait certainement un moyen d’introduire cette poudre dans l’alimentation, par exemple pour les volailles. Ce serait bon pour les œufs. Il est impératif d’investir dans la recherche et les technologies pour qu’il n’y ait plus de perte. »

Concombre de mer

Un cap sera franchi au milieu de juillet, en Haute-Gaspésie, avec une première saison de pêche au concombre de mer. La Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk a obtenu un permis commercial fédéral après plusieurs années d’analyses en collaboration avec le gouvernement fédéral.

La pêche aura lieu au large de Mont-Louis, non loin de Sainte-Anne-des-Monts, dans un corridor de 10 mètres, à une profondeur située entre 32 et 42 mètres. La récolte sera séchée à la poissonnerie de Cloridorme, en Gaspésie. Mais, encore là, le concombre n’est pour ainsi dire pas consommé au Québec ni dans le reste du Canada, souligne M. Weiner. La majeure partie sera destinée au marché asiatique. Le concombre est entre autres très prisé comme ingrédient principal d’une soupe traditionnelle.

La communauté malécite entrevoit également l’avenir de la pêche au Québec à travers la pisciculture (élevage de poissons). Le gouvernement québécois a annoncé son intention de doubler la production piscicole d’ici 2025. Pour l’eau douce, des entreprises se spécialisent déjà dans la truite arc-en-ciel, l’omble chevalier et l’omble fontaine. Pour les espèces en eau salée, il reste beaucoup à développer autour des mollusques, dont la moule, l’huître et le pétoncle. Et de l’oursin. Et qui sait, peut-être un jour les crevettes nordiques.

Crise de la morue

La pêche à l’oursin vert en plongée a pris naissance à la fin des années 1980, avec le moratoire sur la morue. Jusqu’au début des années 1990, le nombre de permis était très restreint. Il s’agissait d’une pêche exploratoire, considérée comme émergente jusqu’en 2000, en raison du peu de connaissances scientifiques sur la pêche à l’oursin. Un diamètre minimum de 50 mm pour la coquille sans les piquants a été établi en 1988 pour permettre aux oursins verts de se reproduire au moins une fois avant d’être capturés. Ils ont une longévité estimée entre 7 et 10 ans.

Source : Pêches et Océans Canada