Comment se portent l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent ? Les eaux se réchauffent rapidement, sont plus acides et contiennent de moins en moins d’oxygène, signalent des chercheurs québécois dans un bilan où les principaux indicateurs « sont tous dans le rouge ». Zoom sur le bilan de santé d’un écosystème appelé à subir des bouleversements importants.

Plusieurs pressions sur le Saint-Laurent

Des scientifiques de l’Institut Maurice-Lamontagne, situé à Mont-Joli, dans le Bas-Saint-Laurent, ont présenté mercredi un bilan de l’état de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. Quatre chercheurs ont abordé tour à tour les enjeux touchant le réchauffement des eaux, l’oxygénation et l’acidification, les projections à long terme ainsi que les impacts sur l’une des espèces présentes, soit le hareng.

« Presque tous les indicateurs sont dans le rouge. On est à des températures presque record. On a les valeurs les plus basses pour l’oxygénation et les plus hautes pour l’acidification presque jamais enregistrées. C’est difficile de [tirer un autre bilan] que le Saint-Laurent n’a jamais été aussi sollicité en termes de pression sur les ressources », signale Peter Galbraith, océanographe à l’Institut Maurice-Lamontagne.

Des records de chaleur qui s’accumulent

Dans le cadre du programme de monitorage de la zone atlantique, les chercheurs évaluent notamment les températures dans les trois couches d’eau du Saint-Laurent, soit la couche de surface, la couche intermédiaire froide et la couche de fond.

Dans le golfe, on a enregistré un nouveau record de surface en juillet supérieur de 2,5 °C à la moyenne mensuelle des 30 dernières années. Cette marque a été battue en octobre, pointant à 2,8 °C. « Mais la grosse histoire s’est passée dans l’estuaire, explique Peter Galbraith. Fin septembre, début octobre, on était à 12 °C en moyenne, ce qui est aussi chaud que ce qu’on s’attend à voir à la fin de juillet, début août. On a eu des records [de hausse] de 4,8 °C en septembre et de 5 °C en octobre. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Groupe de phoques au large de Tadoussac

De moins en moins d’oxygène

Alors que le réchauffement des eaux entraîne une diminution de l’oxygène, la hausse des émissions de CO2 provoque une acidification des océans, deux phénomènes observés par les scientifiques dans le Saint-Laurent. D’entrée de jeu, la biologiste Marjolaine Blais précise que des eaux considérées comme faibles en oxygène ont un taux de saturation de 30 % ; à 20 %, le niveau peut être fatal pour certaines espèces aquatiques. Les espèces les plus tolérantes, comme le flétan et la crevette nordique, ne peuvent survivre à des taux inférieurs à une fourchette de 10 à 15 %. Or, depuis 2022, les eaux profondes situées en face de Rimouski affichent un taux d’oxygène d’environ 10 %. « C’est un seuil d’hypoxie sévère, précise Mme Blais. Il n’y a pas d’espèces commercialement intéressantes qui peuvent survivre à ce niveau sur une longue période. »

Des eaux de plus en plus acides

Le Saint-Laurent n’est pas à l’abri par ailleurs d’une acidification de ses eaux. Les chercheurs ont notamment enregistré une hausse de l’acidité de l’eau de 60 % en 15 ans en face de Rimouski. « L’estuaire et le golfe du Saint-Laurent connaissent actuellement des changements sans précédent au niveau des conditions chimiques et biologiques. Ce qui se passe avec la baisse de l’oxygène et l’acidification des eaux, ce sont des pressions qui vont venir s’ajouter aux hausses de température et les organismes [présents dans le Saint-Laurent] vont devoir faire face à tout ça, affirme Marjolaine Blais. On en rajoute une couche avec ce qui se passe avec les cycles de production, la chaîne alimentaire. Ce sont des changements qui ajoutent une couche de pression sur des organismes qui doivent s’adapter à de multiples pressions », précise-t-elle.

Plusieurs perdants et quelques gagnants

« Les eaux de surface du nord-ouest de l’Atlantique sont parmi celles qui se réchauffent le plus rapidement au monde », rappelle de son côté Hugues Benoît, chercheur à l’Institut Maurice-Lamontagne. Or, le hareng compte parmi les espèces de poisson dont la taille peut être influencée par les effets du réchauffement des eaux. Pour les populations situées au sud du golfe, on a observé une baisse de la taille des harengs de l’ordre de 11 à 22 %, tandis qu’au nord, elle a été limitée à 5 %, souligne le chercheur. « On voit que des populations locales s’adaptent aux conditions en place », ajoute-t-il pour expliquer les différences entre les populations de harengs du nord et du sud.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Comptoir d’une poissonnerie à Kamouraska

« C’est clair qu’il y a des changements importants avec une tendance qui n’est pas encourageante, mais en même temps, avec un réchauffement, il y a aussi des espèces qui s’en tirent très bien, fait aussi remarquer M. Benoît. Je pense qu’il y a des pêcheurs de homard de la Côte-Nord qui sont très heureux. Si je suis un thon rouge, je suis très heureux de rentrer dans le golfe, ce sont des conditions qui sont très favorables. »

En savoir plus
  • 70 %
    En 50 ans, les concentrations en oxygène à une profondeur de 300 mètres ont diminué de 70 % dans l’estuaire du Saint-Laurent.
    Source : Institut Maurice-Lamontagne
    1969
    Le volume maximal de glace de mer dans le Saint-Laurent s’est établi à 6 km⁠3 en 2024, soit le niveau le plus faible à avoir été enregistré depuis 1969.
    Source : Institut Maurice-Lamontagne