Tout l’été, La Presse vous fait parcourir le Québec en vous racontant la vie des rivières. Des histoires humaines, scientifiques ou historiques qui ont toutes une rivière pour attache. Cette semaine : la sauvegarde d’une rivière grâce au travail acharné de deux hommes dévoués.

De leur chaloupe de chasse, Alexandre Joly et Martin Gauthier scrutent les berges de la rivière Yamaska à la recherche de leur proie. Elle est abondante, se reproduit rapidement et flotte sur le cours d’eau.

Les deux hommes sont à l’affût de la châtaigne d’eau, une plante envahissante originaire d’Asie détectée pour la première fois en 2018 dans les eaux brunes de la rivière par un kayakiste.

Depuis cinq ans, l’organisme du bassin versant de la Yamaska (OBV Yamaska) s’emploie à éradiquer cet envahisseur par des campagnes estivales d’arrachage. Leur objectif principal : protéger le lac Saint-Pierre, en aval, et ses herbiers.

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Alexandre Joly scrute les berges.

Si on la laisse aller, la châtaigne d’eau forme un tapis épais et dense. Il n’y a plus de lumière qui passe, il y a moins d’oxygène – donc la faune, les poissons, il y en a moins –, et le reste des végétaux n’arrive pas à se frayer un chemin. C’est un de nos grands projets.

Alexandre Joly, gestionnaire du projet

Une cible a été localisée. Un canot est déployé, afin de pouvoir s’approcher de la berge. Martin Gauthier, technicien en environnement, tente de tirer lentement sur la plante afin que la « noix », ancrée dans le fond de la rivière grâce à des crochets, soit elle aussi arrachée.

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Rosette de châtaigne d’eau

Parce qu’il faut empêcher sa reproduction. « Un seul plant de châtaigne d’eau peut produire jusqu’à 15 rosettes, et chaque rosette peut produire jusqu’à 15 noix, indique le ministère de l’Environnement sur son site web. La croissance d’une colonie peut donc être très rapide. » Comme si ce n’était pas assez, « les noix qu’elle produit peuvent rester en dormance et survivre plusieurs années dans les sédiments ».

Les équipes de l’OBV Yamaska patrouillent donc la rivière sur plus de 100 kilomètres afin d’accomplir leur travail. L’équivalent d’un petit conteneur de châtaignes a été arraché le premier été du programme, en 2019. « On était six techniciens à temps plein, relate Martin Gauthier. C’était un tapis bondé, bondé. Il n’y avait rien d’autre qui poussait. »

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Martin Gauthier et Alexandre Joly collaborent pour arracher des châtaignes d’eau.

Les récoltes sont en diminution importante depuis, ce qui réjouit M. Joly et ses collègues : « C’est encourageant. »

« Ce serait désastreux »

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Grand héron sur la Yamaska

À une soixantaine de kilomètres en aval du tronçon où les deux hommes arrachent des châtaignes se trouve le lac Saint-Pierre, un renflement où le Saint-Laurent atteint une quinzaine de kilomètres de large. Les lieux constituent une réserve de biodiversité extrêmement importante, notamment pour certaines espèces de poissons et d’oiseaux migrateurs. La majorité des milieux humides de l’ensemble du fleuve s’y trouvent.

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La Yamaska est l’une des rivières les plus polluées au Québec.

Alimenté par plusieurs affluents infectés par la châtaigne d’eau, le plan d’eau ne pourra peut-être pas éternellement en être préservé. Mais c’est le cas jusqu’à maintenant, souligne Louise Corriveau. C’est elle qui dirige l’organisation de sauvegarde du lac Saint-Pierre.

« On n’en a pas encore vu. Ça se rapproche tranquillement, c’est vraiment une crainte qu’on a », explique-t-elle en entrevue téléphonique. Depuis l’été dernier, son organisation patrouille notamment avec un drone afin de lui permettre d’observer même les zones les plus difficiles d’accès.

Au cœur de ses craintes : la possibilité que la châtaigne d’eau s’installe dans les herbiers du lac, des zones de végétation aquatiques situées en eaux peu profondes.

Les herbiers du lac Saint-Pierre, « ce serait un milieu idéal » pour la plante envahissante, dit-elle. « Ce serait désastreux si ça commençait à entrer dans les herbiers. » Les efforts pour y rétablir la perchaude, par exemple, pourraient être sérieusement compromis.

Appel aux agriculteurs et aux plaisanciers

Pour protéger le lac Saint-Pierre – et la Yamaska elle-même, il ne faut pas l’oublier –, la campagne d’arrachage n’est pas suffisante, souligne Alexandre Joly.

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Les engrais et le fumier qui trouvent leur chemin jusqu’aux eaux de la Yamaska favorisent la croissance de la châtaigne d’eau.

La rivière, qui traverse des milliers d’hectares de terres agricoles, est l’une des plus polluées au Québec. Les engrais et le fumier qui trouvent leur chemin jusqu’aux eaux de la Yamaska favorisent la croissance de la châtaigne d’eau, mais aussi des algues néfastes pour la vie aquatique. L’eau est si contaminée que certains travailleurs de l’OBV Yamaska ont fait des réactions cutanées en y mettant les mains pour effectuer l’arrachage.

Si on avait toutes les meilleures pratiques agricoles, on aurait – je pense – 90 % d’amélioration dans la rivière.

Alexandre Joly, gestionnaire du projet

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L’activité agricole est très importante dans la région.

L’érosion des berges jette des quantités effarantes de terre gorgées de nutriments dans l’eau. « Les pires champs en aval perdent 33 tonnes de terre par hectare et par année », dit-il, soulignant que l’aménagement de bandes riveraines protégées peut atténuer ce phénomène.

Les agriculteurs ne sont toutefois pas les seuls qui doivent faire un effort. Les plaisanciers aussi ont un rôle à jouer.

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Les terres riveraines sont victimes d’érosion.

« Les colonies de châtaignes sont très, très, très souvent en aval d’une mise à l’eau. Je ne veux pas dire que ce sont les bateaux, mais... il y a des chances, dit Alexandre Joly. C’est vraiment la manière dont les animaux et les végétaux exotiques envahissants se promènent d’un plan d’eau à l’autre. »

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Les plaisanciers sur la Yamaska peuvent contribuer à disperser la châtaigne d’eau.

En plus de la Yamaska, la châtaigne d’eau a été identifiée dans le Richelieu, dans la rivière Saint-François, dans la rivière des Outaouais et dans un plan d’eau situé près de la rivière L’Assomption. Elle a été observée au Québec pour la première fois en 1998.