Le ministère québécois des Forêts planifie des coupes forestières dans des aires protégées dûment constituées, ce qui est pourtant interdit, a découvert Nature Québec, qui déplore « un non-sens ».

Une vingtaine d’« écosystèmes forestiers exceptionnels » et de « refuges biologiques » sont ainsi menacés par les tronçonneuses, a compté l’organisme, notamment dans le secteur de la rivière Mistassibi, au nord du lac Saint-Jean.

Ces coupes apparaissent dans la planification 2023-2028 du Ministère – appelée « plans d’aménagement forestier intégré opérationnels » (PAFIO) dans le jargon gouvernemental –, qui a fait l’objet de consultations publiques durant l’hiver.

Les refuges biologiques sont de petites aires protégées forestières d’environ 200 hectares créées au bénéfice des espèces fauniques ou floristiques qui s’y trouvent, indique le site web du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF).

Les écosystèmes forestiers exceptionnels présentent quant à eux « un intérêt particulier » parce qu’il s’agit de forêts rares ou anciennes ou parce qu’ils abritent une ou plusieurs espèces végétales menacées ou vulnérables, explique le MRNF, dont relève leur gestion.

Dans les deux cas, les « activités d’aménagement forestier » sont interdites ; des exceptions sont prévues, mais toute coupe doit être autorisée par le ministère de l’Environnement, prévoit la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier.

« Et s’il y a des coupes forestières, ce sont des coupes au service de la biodiversité, comme des aménagements pour favoriser la faune, ce n’est pas de la foresterie business as usual », explique Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec

J’ose espérer que le ministère des Forêts n’essaie pas de faire volontairement quelque chose d’illégal.

Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts n’a pas expliqué pourquoi il planifie des coupes dans des aires protégées ni précisé si des autorisations de coupes ont déjà été accordées, affirmant dans un courriel anonyme qu’il faudrait plusieurs jours pour faire ces vérifications.

Le rapport des consultations publiques sur la planification 2023-2028 pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean n’a par ailleurs pas encore été publié par le Ministère.

D’autres forêts touchées

Le ministère québécois des Forêts « se dépêche » aussi de planifier des coupes forestières dans des secteurs névralgiques pour le caribou avant que le ministère de l’Environnement n’adopte la stratégie de rétablissement de l’espèce, en juin, accuse Nature Québec.

Des coupes planifiées par le Ministère pour la période 2023-2028 « touchent directement » au moins sept projets d’aires protégées du Saguenay–Lac-Saint-Jean, a découvert l’organisme après la publication d’un article de La Presse évoquant une situation similaire sur la Côte-Nord, en février.

Lisez « Caribou forestier de la Côte-Nord : Québec envisage des coupes dans des secteurs protégés »

Nature Québec a aussi constaté que des coupes sont planifiées dans des forêts que la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, mise sur pied par le ministère des Forêts lui-même, recommandait de protéger dans son rapport publié en août.

« Pendant que la main gauche du gouvernement essaie de prévoir des protections du territoire, notamment pour protéger le caribou, la main droite planifie des coupes forestières », illustre Alice-Anne Simard, qui déplore ce « manque de cohérence au sein de l’appareil gouvernemental ».

La coupe éventuelle de ces forêts en fera « des secteurs qui ne sont plus pertinents pour le caribou », s’inquiète-t-elle.

Nature Québec juge anormal que l’industrie poursuive ses activités dans les forêts névralgiques pour le caribou, alors qu’il est demandé aux partisans de la conservation de faire preuve de patience en attendant le dépôt de la stratégie gouvernementale pour le rétablissement de l’espèce, maintes fois reportée.

On devrait tous être sur un pied d’égalité. L’industrie, c’est la seule qui n’a pas besoin d’attendre la stratégie.

Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec

Le cabinet du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, n’avait pas encore réagi au moment de publier ces lignes.

La pointe de l’iceberg ?

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts refuse d’indiquer si d’autres coupes sont planifiées dans des projets d’aires protégées ou des forêts d’intérêt pour le caribou ailleurs au Québec.

Le MRNF a préparé une carte qui superpose les coupes planifiées pour 2023-2028 aux projets d’aires protégées à l’étude, mais il refuse depuis le début du mois de la transmettre à La Presse, affirmant que les questions concernant les aires protégées doivent être adressées au ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.

Le service des relations de presse du MRNF refuse aussi de rappeler La Presse, se limitant à des courriels laconiques.

Le MRNF a également refusé de transmettre à La Presse les fichiers informatiques cartographiques des coupes forestières planifiées, bien que ces fichiers soient transmis aux parties intéressées lors des consultations publiques sur la planification forestière et que le Ministère en tire des cartes qu’il affiche sur son site web, affirmant que La Presse devait recourir au mécanisme de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels pour les obtenir.

La Presse n’avait pas reçu de réponse à cette demande au moment d’écrire ces lignes.

En savoir plus
  • 3713
    Nombre de refuges biologiques au Québec
    Source : ministère des Ressources naturelles et des Forêts
    256
    Nombre d’écosystèmes forestiers exceptionnels au Québec
    Source : ministère des Ressources naturelles et des Forêts