(Blainville) Sans grand écho au Canada, le Parlement européen a franchi un cap sans précédent ce printemps en adoptant une proposition d’« écocide ». L’ultime condamnation environnementale. Si la notion se rend jusqu’à la Cour pénale internationale, les crimes environnementaux seront au même rang que les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et les crimes de guerre ou d’agressions.

Une fois adopté, l’écocide aurait le potentiel d’envoyer en prison les responsables de destruction à grande échelle de forêts ou de milieux humides, de pêche illégale de thon rouge, de marées noires, de contamination des eaux au chlordécone, d’exportation illégale de déchets vers des pays d’Afrique, de pollution agro-industrielle ou encore de fraude aux marchés de carbone.

  • En se promenant dans la grande tourbière de Blainville, une oasis de 3,6 km2 riche en biodiversité, La Presse y a croisé des barils rouillés…

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    En se promenant dans la grande tourbière de Blainville, une oasis de 3,6 km2 riche en biodiversité, La Presse y a croisé des barils rouillés…

  • ... une bonbonne de propane…

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    ... une bonbonne de propane…

  • ... et même une toilette.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    ... et même une toilette.

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Les pourparlers des pays européens entourant l’écocide ne datent pas d’hier. Ils ont commencé il y a plus de 50 ans, quand l’armée américaine a utilisé un puissant herbicide, l’agent orange, pour détruire la canopée de la jungle servant de couverture aux militaires du Viêtnam. Aujourd’hui, une alliance internationale de parlementaires contre l’écocide milite afin que des gens ou des pays soient dorénavant jugés devant le plus grand tribunal.

L’écocide est défini comme un « acte causant des dommages graves et étendus ou durables ou irréversibles sur l’environnement ».

Au Canada, la notion d’écocide n’est pas à la table des élus fédéraux. Pas pour l’instant, du moins. Les infractions majeures à l’environnement sont passibles de différentes amendes, d’interdictions, de règles strictes. Existe également la fameuse taxe carbone. Et des lois pour chaque province.

Protection du fleuve

Au printemps 2022, le député Alexandre Boulerice, du Nouveau Parti démocratique (NPD), a déposé à la Chambre des communes un projet de loi afin que le fleuve Saint-Laurent soit protégé comme entité à part entière.

En entrevue avec La Presse, le député rappelle qu’il a défendu le statut juridique de nos eaux fluviales devant les Nations unies, l’an dernier, en compagnie de l’Observatoire international des droits de la nature. Il estime qu’il est essentiel de renforcer les lois afin d’éliminer les « trous et échappatoires ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Boulerice, député du Nouveau Parti démocratique (NPD)

C’est une nouvelle possibilité de donner des droits à la nature. Ça existe dans la Constitution de l’Équateur, il y a des projets en Bolivie, des gens dans certaines régions du Mexique et de l’Espagne travaillent là-dessus.

Alexandre Boulerice, député du Nouveau Parti démocratique (NPD)

« L’idée est de trouver de nouveaux angles pour protéger nos écosystèmes. Parce qu’à l’heure actuelle, il n’existe rien si on détruit des écosystèmes, des régions entières d’animaux, ou qu’on annihile des espaces vivants », souligne M. Boulerice.

Milieux humides en péril

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Les tourbières, comme celle de Blainville, forment 14 % du territoire canadien.

Au Québec, un rapport rendu public fin avril par la commissaire au développement durable, Janique Lambert, prévient que les milieux humides et hydriques sont en péril. Qu’il y a d’« importantes lacunes » dans leur gestion par le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Des citoyens craignent qu’un de ces milieux humides soit menacé par un projet d’agrandissement d’un site d’enfouissement de déchets dangereux. Il est situé juste au nord de Montréal. Il s’agit de la grande tourbière de Blainville.

  • Drosera rotundifolia ou droséra à feuilles rondes

    PHOTO FOURNIE PAR CARNIVOREX

    Drosera rotundifolia ou droséra à feuilles rondes

  • Sarracenia purpurea ou sarracénie pourpre

    PHOTO FOURNIE PAR CARNIVOREX

    Sarracenia purpurea ou sarracénie pourpre

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Drosera intermedia, Drosera rotundifolia et Sarracenia purpurea : ce sont les noms des plantes carnivores rares que l’on peut y observer. Une oasis d’une superficie de 3,6 km2 où vivent des orignaux. Des couleuvres vertes.

Lors d’une promenade au cœur de la tourbière, l’écologiste fondateur de l’organisme Carnivorex, Mathieu Brien, explique que les tourbières sont les « reins de la planète. » Elles forment 14 % du territoire canadien, selon la Fédération canadienne de la faune. Mais ici, elle est encerclée de pneus abandonnés, de barils rouillés, on a même aperçu une cuvette de toilette.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Mathieu Brien, écologiste et fondateur de l’organisme Carnivorex

C’est criminel de dévaloriser ce milieu.

Mathieu Brien, écologiste et fondateur de l’organisme Carnivorex

« Pour résumer, une tourbière, c’est un ancien lac qui a stocké du carbone, elle agit comme un filtreur. Au premier coup d’œil, ce n’est pas majestueux, mais les tourbières sont connectées, elles sont essentielles à l’équilibre de nos écosystèmes. Ici, on rate la chance d’en faire un endroit écotouristique. »

Membre du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), MAnne-Julie Asselin estime que sur le plan scientifique, les discussions sont mûres pour élargir « l’imputabilité » en matière d’environnement.

« Dans le cas de l’écocide, il faudra réviser le Statut de Rome pour ajouter les atteintes graves à l’environnement. Si on prend l’exemple du Viêtman, la question à se poser était de savoir s’il y avait réelle intention de détruire la végétation. Il reste beaucoup de questions à éclaircir. Mais ce qui est devenu clair, c’est que la survie de l’humain passe par la pérennité des écosystèmes. »

Présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement, la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers ajoute que l’écocide agirait comme levier afin de reconnaître l’impact de la pollution de l’eau, de l’air, des sols, sur la santé. « On est souvent en réaction à l’exposition chronique. C’est malheureux, mais la Loi canadienne sur la protection de l’environnement n’a pas été rouverte depuis une vingtaine d’années. »

Qui est Mathieu Brien ?

Écologiste, fondateur de l’organisme Carnivorex, il a accompagné La Presse au cours d’une promenade dans la tourbière de Blainville pour nous permettre de découvrir la biodiversité. Chemin faisant, nous avons croisé des déchets de toutes sortes, même une vieille cuvette de toilette.