Le monde ne peut pas se permettre de perdre la forêt tropicale du bassin du fleuve Congo, dit en substance le ministre des Eaux, des Forêts, de la Mer et de l’Environnement du Gabon, Lee White.

Ce vaste massif forestier couvrant six pays, qui est la deuxième forêt tropicale humide en importance du monde, séquestre l’équivalent de 8 à 10 ans d’émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), souligne le ministre.

« Si on perd le bassin du Congo, on ne va pas réussir à limiter [la hausse de la température planétaire] à 1,5 ou 2 degrés, on va plutôt vers 3 ou 4 degrés », a-t-il illustré lors d’un entretien avec La Presse, dans le cadre de la 15e conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15).

Ce sont les rivières atmosphériques qui partent de la forêt tropicale d’Afrique centrale qui apportent la pluie au Sahel et alimentent le Nil, qui irrigue l’Égypte, souligne-t-il.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Le ministre des Eaux, des Forêts, de la Mer et de l’Environnement du Gabon, Lee White

Les bouleversements qu’engendrerait leur disparition pousseraient des millions d’habitants de ces régions plus au sud, déstabilisant le continent africain, ou vers l’Europe, prévient le ministre, qui déplore que la valeur des services écosystémiques soit ignorée.

Ces services, on va seulement les comptabiliser si on les perd, mais ce serait beaucoup plus intéressant de veiller à les maintenir.

Lee White, ministre des Eaux, des Forêts, de la Mer et de l’Environnement du Gabon

Les pays africains ne tirent pourtant pas les mêmes bénéfices que les pays développés pour les services écosystémiques de leurs forêts.

« Il est inconcevable que la tonne de carbone vaille 5 $ au sud et plus de 100 $ au nord », illustre Ève Bazaiba Masudi, vice-première ministre et ministre de l’Environnement et du Développement durable de la République démocratique du Congo, qui réclame une hausse.

« Ça nous permettra de financer nous-mêmes nos projets de conservation », dit-elle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

La vice-première ministre et ministre de l’Environnement et du Développement durable de la République démocratique du Congo, Ève Bazaiba Masudi

Il faut aussi lutter contre les « moteurs de déforestation » que sont l’agriculture sur brûlis, l’exploitation non contrôlée des ressources naturelles ou les besoins énergétiques, dit-elle.

« La population est prête à protéger, mais il faut lui donner des solutions de rechange », notamment pour les méthodes de cuisson, en développant le réseau électrique pour réduire l’utilisation du charbon, dit la ministre Bazaiba Masudi.

Méthode gabonaise

Les problèmes de gouvernance qui prévalent en Afrique contribuent à freiner les investissements provenant des pays développés, reconnaît Lee White, qui estime que le continent a « à la fois un vrai problème et un problème de perception ».

« L’Afrique est en transition, certains pays sont plus avancés, d’autres moins », dit-il, plaidant que le Gabon fait partie de ceux ayant « les gouvernements les plus forts », comme le Kenya et le Botswana.

Les investisseurs veulent aussi des garanties que la forêt est exploitée de façon durable, reconnaît le ministre White.

« Ça nous met sous pression pour bien gérer la forêt, et on veut ça », dit-il, vantant les transformations entreprises dans son pays vers une exploitation durable, avec une « exploitation sélective » de deux arbres par hectare par période de 25 ans.

« On peut couper 6 millions de mètres cubes par an avec cette méthode », affirme le ministre, ajoutant qu’il est également envisagé de planter des arbres dans des savanes pour permettre une exploitation forestière « du style du Canada : planter, couper, planter, couper ».

Le Gabon a aussi interdit l’exportation de grumes – des troncs d’arbre abattus possédant toujours leur écorce – en 2010, pour forcer les sociétés forestières à effectuer la transformation sur place, indique le ministre White.

« Aujourd’hui, notre économie forestière a été multipliée par quatre, avec des revenus qui sont passés de 250 millions de dollars des États-Unis à 1 milliard, et on a trois fois plus d’emplois, dit-il. Et on peut encore multiplier par 10 d’ici 10 ou 15 ans. »

Les peuples autochtones veulent être inclus

Les communautés autochtones qui vivent dans la forêt tropicale africaine réclament elles aussi d’être impliquées et aidées pour la protéger.

« Nous sommes un peuple qui dépend de la forêt », a déclaré à La Presse Valentin Engobo, président de l’association des paysans pygmées de Lokolama, qui vivent à côté du plus vaste complexe de tourbières du monde, en République démocratique du Congo.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le président de l’association des paysans Pygmées de Lokolama (République démocratique du Congo), Valentin Engobo

Il est venu jusqu’à Montréal pour porter les revendications de sa communauté, qui vit de pêche traditionnelle et d’artisanat.

Les Pygmées de Lokolama veulent protéger la tourbière, qui est sacrée pour eux, explique M. Engobo, mais ils s’inquiètent des impacts sur leurs activités économiques.

Ils réclament donc que ces impacts soient compensés, mais aussi d’être impliqués dans les initiatives de conservation, eux qui disposent de connaissances traditionnelles ancestrales sur les tourbières.

« On ne tient pas compte de nous », jusqu’à maintenant, déplore-t-il, reprochant à ses « propres frères » congolais leur déconsidération pour les droits des peuples autochtones. « Nous voudrions que notre voix soit entendue. »

En savoir plus
  • 2,6 millions de kilomètres carrés
    Couvert forestier du bassin du Congo, près de deux fois la superficie totale du Québec
    source : Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo