Personne n’a le monopole des bonnes idées. En mettant de côté la partisanerie, qui empêche trop souvent les propositions des partis de l’opposition de faire leur chemin, on peut faire avancer le Québec.

Cette semaine, on en a vu un bel exemple lorsque la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a décidé de s’inspirer d’une proposition de Québec solidaire (QS) pour mettre un baume sur la crise du logement.

Avec son projet de loi 65, elle impose un moratoire de trois ans sur la plupart des évictions (mais pas les reprises pour loger un membre de la famille). En plus, elle étend la « loi Françoise David » qui interdit de mettre à la porte un locataire à faible revenu âgé de 70 ans et plus. Désormais, cette protection s’appliquera dès 65 ans.

Lisez « Crise du logement : un moratoire de trois ans sur les évictions »

Avec ce geste « humain » qui soutiendra les locataires plus vulnérables, la Coalition avenir Québec (CAQ) prouve deux choses.

D’abord, elle est capable de travailler avec les oppositions, comme le premier ministre l’avait promis lors de la dernière campagne électorale. À ceux qui l’accusaient d’arrogance, François Legault assurait que la pandémie l’avait rendu plus humble que jamais.

Aujourd’hui, c’est peut-être la chute brutale de la CAQ, qui n’obtient plus que 23 % des intentions de vote, qui lui donne une meilleure écoute.

Ensuite, la CAQ peut changer d’idée quand les circonstances l’exigent sans passer pour une girouette. Dans le cas présent, le gouvernement justifie son changement de cap par l’augmentation sans précédent de la population québécoise, due à l’explosion du nombre de résidents non permanents (travailleurs temporaires, étudiants étrangers, demandeurs d’asile) qui est particulièrement frappante à Montréal.

+4,3 %

C’est l’augmentation de la population à Montréal, qui s’est accrue de 89 600 personnes entre juillet 2022 et juillet 2023. Jamais une région n’a connu une croissance aussi élevée.

Source : Institut de la statistique du Québec

Cette hausse récente met effectivement de la pression sur le logement. Mais le déséquilibre du marché immobilier a des racines bien plus profondes. Dans trois ans, rien ne sera réglé si on ne redresse pas la barre.

Le défi est immense. L’an dernier, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) estimait qu’il faudrait construire 1,2 million de logements au Québec d’ici 2030 pour revenir au niveau d’abordabilité du début des années 2000. Pour y arriver, il faudrait plus que tripler les mises en chantier, soit construire quelque 150 000 logements par année, au lieu du rythme annuel d’environ 50 000 de la dernière décennie.

C’est très mal parti. Alors que les autres provinces roulaient à fond, en 2023, le Québec a connu une baisse historique de 32 % des mises en chantier, à 38 900 logements, un creux historique. Avouez que c’est paradoxal en pleine crise du logement.

Les locataires y goûtent.

Prenez la région métropolitaine de Montréal. Faute de logements, le taux d’inoccupation a glissé de 3 % en 2021 à 1,5 % en 2023… et il devrait fondre à 0,9 % en 2026. Les prix vont prendre l’ascenseur. Le loyer d’un logement moyen de deux chambres qui coûtait 1096 $ en 2023 s’élèvera à 1390 $ en 2026, soit 27 % de plus, selon la SCHL.

Bref, il y aura encore plus de familles prises à la gorge.

Pourtant, la crise du logement n’a jamais fait partie des priorités de la CAQ, alors que le gouvernement Trudeau a pris le dossier à bras le corps, dans son dernier budget.

Québec s’est insurgé de cette intrusion du fédéral dans ses champs de compétence. Avec raison. Mais la meilleure défense, c’est l’attaque, n’est-ce pas ?

Si Québec ne veut pas se faire dire quoi faire, il est temps qu’il prenne les choses en main et présente un plan complet pour résoudre la crise du logement.

On ne viendra pas à bout d’un enjeu aussi complexe avec des réformes en pièces détachées.

Oui, la CAQ a fait de belles avancées, notamment avec le projet de loi 51 adopté cette semaine. La réforme de l’industrie de la construction permettra plus de flexibilité dans un domaine où la productivité bat de l’aile. Après tout, on n’a pas besoin de sept corps de métier différents pour changer une porte !

Mais il reste beaucoup à faire pour accélérer la construction.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau

Un exemple : vaincre le réflexe du « pas dans ma cour » qui tue dans l’œuf les projets de construction. Il est vrai que le projet de loi 31, adopté par Québec en février, donne des leviers aux maires. Mais il est loin d’être clair qu’ils auront le courage d’aller à l’encontre des citoyens qui s’opposent à la densification. Ce serait à Québec de prendre les choses en main, au lieu de refiler la patate chaude aux villes.

Autre défi énorme : trouver du financement pour développer des infrastructures municipales. Sans réseau de distribution d’eau et sans égouts, comment voulez-vous que les promoteurs bâtissent de nouveaux logements ? Or, des sommes colossales sont requises. Ottawa vient d’offrir six milliards pour aider à payer la note. Sauf que les provinces devront faire ses quatre volontés pour que l’argent coule.

Prévoyez des tiraillements.

Chose certaine, on est mûr pour une vaste réflexion sur le logement. La province a besoin d’un vrai plan d’action, comme en Ontario et en Colombie-Britannique. Les bonnes idées peuvent venir de partout. Mais il est temps que Québec plonge, au lieu de laisser Ottawa et les villes se mouiller.