(Québec) Après avoir admis que sa nouvelle loi sur l’habitation n’était pas suffisante, la ministre France-Élaine Duranceau dépose un deuxième projet de loi, qui vient imposer un moratoire de trois ans sur les évictions. Un geste chaudement applaudi par Québec solidaire qui y voit une « révolution » dans le contexte de la crise du logement.

La ministre de l’Habitation a déposé mercredi le projet de loi 65 qui vise à limiter le droit d’éviction des locateurs et renforcer la protection des locataires aînés.

Le texte législatif prévoit qu’il sera interdit pour un propriétaire d’évincer un locataire pour « subdiviser un logement, l’agrandir substantiellement ou en changer l’affectation » pour une période de trois ans. Cependant, il sera encore possible pour un locateur qui voudrait reprendre un logement pour sa famille de le faire.

« Je vais être claire, on vise vraiment les spéculateurs avec cette mesure. On agit sur les actions qui changent le portrait du marché locatif sans réellement augmenter l’offre de manière constructive », a expliqué la ministre Duranceau en conférence de presse, mercredi.

La ministre a provoqué la surprise en déposant un projet de loi qui va bien au-delà des demandes de Québec solidaire, qui talonnait le gouvernement depuis des semaines pour qu’il élargisse la « loi Françoise David ». Le projet de loi 65 répond d’ailleurs en partie aux doléances de la formation de gauche.

« Le moratoire est une mesure qui est forte et qui est justifiée par l’importance de la pénurie de logements actuels », a plaidé Mme Duranceau, qui a aussi qualifié la mesure « d’exceptionnelle ».

Les députés de Québec solidaire, Christine Labrie et Andrés Fontecilla, n’ont d’ailleurs pas caché leur joie, se disant « agréablement surpris » par la décision de la ministre. « C’est une révolution dans le contexte de la crise actuelle », a résumé Mme Labrie.

1er juillet

Le projet de loi 65 vient modifier le Code civil de façon temporaire pour qu’aucun locataire ne puisse être évincé d’un logement pendant les trois prochaines années. Le gouvernement se garde néanmoins le droit de soustraire un territoire du moratoire. Mme Duranceau a expliqué que cela pourrait survenir dans une région où le taux d’inoccupation atteint 3 % par exemple (taux pour avoir un marché équilibré).

Pour l’ensemble des villes de 10 000 habitants et plus, le taux d’inoccupation se situe « légèrement » au-dessus de 1 %, selon les chiffres de la SCHL en 2023.

Il faut noter que les avis d’éviction et de reprise qui ont été envoyés par les propriétaires avant le dépôt du projet de loi ne seront pas couverts par le moratoire. Les effets seront donc limités pour le 1er juillet 2024.

Ceci dit, le moratoire vise tous les processus d’éviction qui seront entrepris après le dépôt du texte législatif, donc au 22 mai, sauf si un locataire accepte de quitter de lui-même et si le locateur entreprend des recours devant le Tribunal administratif du logement (TAL).

En ce sens, le gouvernement Legault veut éviter « la course aux évictions » et faire adopter son projet de loi le plus rapidement possible d’ici la fin de la session parlementaire, le 7 juin.

La « loi Françoise David » élargie

Le projet de loi élargit également la portée de la « loi Françoise David » pour protéger davantage d’aînés des évictions et des reprises de logement. Québec propose de faire passer le seuil d’âge admissible de 70 à 65 ans, comme le demandait Québec solidaire.

Québec hausse aussi le revenu maximal à 125 % du revenu d’admissibilité pour un accès au logement à loyer modique. On estime que ces mesures protégeront 24 000 ménages supplémentaires.

« J’ai souvent eu l’impression de parler à un mur et de me [demander] si j’avais raison dans ce que je disais », a exprimé le député Andrés Fontecilla qui a fait de la crise du logement son cheval de bataille.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire et Andrés Fontecilla, député de Laurier-Dorion critiquait le bilan financier du gouvernement de la CAQ lors de cette journée de dépôt de budget.

Dans l’opposition, obtenir des petits gains, c’est une grande victoire […], mais là aujourd’hui, on voit que nos arguments ont fini par percoler dans la machine gouvernementale […] ça nous conforte, ça nous donne de l’espoir dans notre travail, ça nous motive. On ne prêche pas dans le désert tout le temps.

Andrés Fontecilla, député de Québec solidaire

Mardi, Mme Duranceau a admis que sa loi sur l’habitation (projet de loi 31) n’apportait pas « d’effets immédiats » sur les locataires. Il s’agit d’un changement de cap important pour le gouvernement Legault.

« Ma réflexion a évolué », a-t-elle ajouté mercredi. « Il y a plusieurs éléments. Je continue de rester à l’affût de ce qui se passe. Puis, on a eu des données importantes en matière d’immigration qui exacerbent la situation dans plusieurs villes, qui ramènent les taux d’inoccupation à des niveaux qu’on n’a jamais connus », a plaidé la ministre pour expliquer ce revirement.

Québec a accepté l’hiver dernier d’appeler le projet de loi de Québec solidaire visant l’élargissement de la « loi Françoise David ». Il est peu fréquent que le gouvernement appelle les projets de loi de l’opposition. Dans ce cas-ci, cela avait été négocié dans la foulée du recours au bâillon pour l’adoption de la réforme en santé de Christian Dubé, en décembre.

Malgré ce geste, Mme Duranceau avait démontré peu d’ouverture à aller plus loin, assurant que sa loi faisait le travail.